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A l’ombre de la grue

Grue contrechamp

La grue vue depuis le trottoir d'en face. En arrière-fond, la Vieille ville de Zurich

A-t-elle fait couler de l’encre, cette grue!

Œuvre d’art ou tas de ferraille? Cette question résume les débats. Tas de ferraille, c’est incontestable. On voit qu’elle a subi les intempéries – elle rouille. Art? Les avis divergent.

Elle est là à la suite d’un concours international pour une «intervention artistique» au bord de la Limmat. L’idée de donner à Zurich un parfum de port maritime a plu au jury, qui défend son choix en termes lyriques.

Grue tot AC

La grue venue de Rostock est installée sur le quai au bord de la Limmat.

 Il y a sept ans que l'idée a surgi au sein d'un petit groupe d'artistes et de fonctionnaires, qui voulaient faire de la ville au bord de la Limmat Zurich transit maritime. Après tout, il y a de nombreux siècles, à l'époque où le transport fluvial et lacustre tenait lieu d'autoroutes, à l'embouchure de la rivière il y avait eu un port. Et l'idée de refaire un port à l'embouchure de la Limmat a ressurgi – et vite été abandonnée – dans la première moitié du XXe siècle. Le port de Rostock, qui se trouvait en Allemagne de l'Est, avait été laissé à l'abandon (comme beaucoup d'autres infrastructures industrielles) et ne retrouve la vie que maintenant. On a considéré qu'il fallait changer les grues – celles qui étaient là auraient certes pu continuer à servir si on les avait entretenues, mais comme on les avait laissées à l'abandon, on a décidé de les changer. Et un petit groupe de Zurichois a eu l'idée de faire d'une de ces grues, avant qu'elle ne finisse au vieux fer, une «intervention artistique».

J'imagine que dans leur esprit, cela devait fonctionner un peu comme l'idée du poète Lautréamont, cela créerait le choc d'une rencontre inattendue – ce serait «comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d'une machine à coudre et d'un parapluie.» Ou comme les Readymades de Marcel Duchamp, qui prend un pissoir, un cintre à chapeaux, un porte-bouteilles, une roue de vélo, et ainsi de suite, les signe, les met dans une exposition ou un musée et les déclare oeuvres d'art. Provocation intéressante, qui date cependant d'un siècle. Cela se passait, même, à Zurich – à deux cents mètres de là. Refaire ça, maintenant?

La population a été dès le départ hésitante. Le plus souvent, les gens ne comprenaient pas. Les choses sont devenues encore plus complexes lorsque les partis politiques s'en sont mêlés. Les milieux culturels eux-mêmes sont restés très partagés. Finalement, lorsqu'il s'est agi de prendre une décision ferme, il a fallu soumettre le crédit nécessaire au vote populaire. Une votation assez confuse: personne ne saisissait très bien, et l'enthousiasme des promoteurs passait mal. On a beaucoup dit que les Zurichois était de pauvres médiocres qui ne savaient pas apprécier une intervention artistique qui allait sans doute apporter à la ville célébrité, touristes, commerce. Osez, c'est le moment!, leur disait-on. Je vous avoue que c'était tellement confus que moi aussi, qui suis pourtant historienne de l'art, qui n'ai jamais craint les provocations, ai hésité sur comment voter. Mais pour finir le crédit a été accepté, et le projet s'est mis en route.

Grue

De près, on se rend bien compte que le travail, les années et les embruns ont peu à peu rongé ce témoin d'un autre temps - et d'un autre lieu.

Beaucoup de curieux ont assisté au montage de la grue en avril.

Une fois qu'elle a été installée, j'ai voulu savoir ce que pensaient les gens et par un jour de beau temps, je suis allée m'asseoir sous la grue, sûre que je passerais une journée très animée.

Que non. Personne ne passe sur le trottoir, personne, à part moi, ne s'assied sur les  bancs. Les passants du trottoir d'en face ne tournent pas la tête, ne lèvent pas les yeux.

Je finis par comprendre que si je veux entendre et solliciter des avis, ce n’est pas sous la grue que je dois me tenir, mais justement sur le trottoir d’en face, où il y a tout de même des gens.

J’y vais. Je fais les cent pas, j’écoute, je sollicite des avis.

Ceux des touristes que j’interroge (on avait assuré que la présence de la grue les ferait arriver par hordes) ignoraient tout de l’attraction. La grue aurait dû exciter les curiosités. Ç’a été vrai pendant qu’on la construisait. Maintenant, il n’est même pas sûr que les gens la voient. Ce n’est en tout cas pas évident.

Ce qui est évident, par contre, c’est que les milieux artistiques dont l’idée est venue ont réussi à faire passer leur discours dans la partie (minoritaire) de la population qui est à l’affût de nouveautés culturelles. Pour eux, la grue serait un catalyseur, le fait qu’on se demande si c’est une œuvre d’art provoquerait une discussion bienvenue; sans la présence de cette grue, prétend-on, le débat n’aurait pas lieu. Le nom du projet, Zurich transit maritime, la transformerait en un de ces objets dont les rêves sont faits.

Nous sommes maintenant mi-juillet. La grue a provoqué deux événements. Il y a d'abord eu un apéro organisé par la dernière épicière de ma rue (puisque la grue est plantée dans mon quartier), la merveilleuse Hélène Faigle, qui résiste à vents et marées dans sa petite boutique, entourée de légumes frais qu'elle va choisir au marché lorsque nous dormons encore tous, de bonne bouteilles, de croissants croustillants, de fromages succulents… et de tout ça, et de tout le reste.

Grue Hélène

Hélène Faigle, grande organisatrice de fêtes, a essayé de faire revivre l'ambiance du port jusque dans le costume, créé pour l'occasion.

 Le quartier s'est retrouvé sous la grue, Hélène a donné un petit concert de mélodies sifflées (c'est une virtuose) accompagnée de l'orphéon du quartier, elle s'était habillée en marin, les musiciens aussi. Elle a offert la bière, nous avons apporté les canapés et les gâteaux.

Grue Hélène2

Et voici l'«intervention artistique» d'Hélène Faigle, virtuose de la mélodie sifflée, et de son orchestre.

 Et il y a eu dimanche dernier la fête prévue dès la conception de l'«intervention», avec quelques stands qui vendaient nourritures et gadgets proches et lointains, l'obligatoire orchestre assourdissant, et beaucoup de monde sur le quai dont les trams étaient bannis. Ici et là quelques coins (un pour les enfants, un autre pour qu'on puisse se parler en toute tranquillité, dit Speakers' Corner), quelques promenades en bateau sur la rivière, un tournoi de pétanque (mais en été la pétanque est pratiquée avec acharnement à Zurich, fête ou pas).

En dehors de ces deux événements, je m'avance peut-être, mais… pas grand-chose.

Les initiants restent lyriques et on sent que pour eux cette action est un sommet culturel, ils tissent autour d'elle des descriptions mirobolantes, projettent pour Zurich des conséquences culturelles inouïes de leur initiative. Ils sont vraiment touchants, et je les écoute toujours avec intérêt.

Mais j'ai eu beau faire l'effort, je n'ai jamais réussi à me défaire de la sensation que le roi est nu. J'ai beau cligner des yeux, j'ai beau les fermer et tenter de rêver: lorsque je les rouvre, je ne vois qu'un tas de ferraille, et je ne me sens pas transportée dans un port, même pas celui de Bâle, où de telles grues sont chez elles et où l'on sait que les bateaux qui passent finiront très loin, là-bas, à Rotterdam puis, qui sait, en Amérique ou en Australie. Rien à faire, dans mon esprit la Limmat reste la Limmat.

Voilà pourquoi, une ou deux fois, je suis allée m'asseoir sur un banc pour essayer de comprendre ce que les autres voient que je ne perçois pas. J'ai en tout cas fini par conclure que lorsque l'on sort du cercle finalement limité des partisans, le citoyen ordinaire paraît relativement indifférent. Le débat, artistique ou poétique, ne l’intéresse guère.

Ce qui ne laisse pas indifférent et passe mal, par contre, c’est le coût de l’opération: 600’000 francs (+/- 500'000 euros), pris dans la bourse communale, plus des sommes, dont je n'ai pas trouvé le total, attribuées par divers sponsors, mais il doit probablement s'agir d'encore une fois plus ou moins la même somme.

C'est évidemment là que le bât blesse. Dans une ville où, comme ailleurs, on taille volontiers dans les dépenses sur la culture, et où les sponsors donnent de plus en plus chichement, l'installation d'une vieille grue pour faire contraste était-elle vraiment le meilleur placement possible des deniers publics? Ça tombait d'autant plus mal qu'au même moment, la Commune décidait qu'elle ne pouvait plus financer le petit Musée du Strauhof, un musée de la littérature pourrait-on dire où des expositions merveilleuses (je vous en ai parlé plusieurs fois) sont organisées avec des moyens modestes.

Le week-end dernier, les Zurichois sont venus voir ce qu'on avait fait de la grue, et la manifestation a été bon enfant. Mais en circulant dans la foule, on a entendu vraiment très souvent que si c'était à refaire, on ne revoterait pas 600'000 francs pour ça.

Les organisateurs répondent à ces hochements de tête en s'extasiant sur le magnifique débat qu'ils ont provoqué: nous avons intéressé des Zurichois lambda aux problèmes culturels, roucoulent-ils.

A la question souvent posée: fallait-il vraiment dépenser une telle somme pour provoquer le débat?, le conseiller communal responsable du projet répond avec indignation que ça coûte moins de deux francs par habitant, les Zurichois peuvent bien se payer ça. C’est vrai. On espère simplement qu’il tiendra le même raisonnement lorsqu’il s’agira de pérenniser l'existence du musée du Strauhof: pour l'instant, la Commune a reculé devant les protestations innombrables, mais le Musée de la littérature reste en sursis, et pourrait tout de même disparaître dans trois ans.

La grue sera démontée en décembre, et partira alors véritablement à la ferraille.

Je ne sais pas si on peut se faire une idée de la question à distance, avec les quelques explications et les quelques photos (prises avec mon iPhone 5) que je donne ici. N'empêche, l'avis des cukiens m'intéresse.

 

29 commentaires
1)
fxc
, le 14.07.2014 à 00:28

J’y vais. Je fais les cent pas, j’écoute, je sollicite des avis.

Cette grue c’est le pied(;D

2)
Anne Cuneo
, le 14.07.2014 à 05:49

Et là-dessus tu es sorti, j’espère! Après t’être excusé, bien sûr.

3)
Macramé
, le 14.07.2014 à 05:59

Je pense que certaines formes d’art ont toujours dérangé en leur temps … L’amas de ferraille que représente la Tour Eiffel n’a pas été apprécié par tous à l’époque de sa construction …
Il m’arrive assez souvent de ne pas apprécier telle ou telle oeuvre, mais de penser que c’est bien que tel artiste en ait eu l’idée et l’ait réalisée…

A part cela, je ne suis pas fan de cette grue… Mais pourquoi pas après tout !

4)
fxc
, le 14.07.2014 à 07:04

Désolé de t »avoir choquée par ce jeu de mots

définition: »
Apparue au XVIIe siècle, l’expression « faire le pied de grue » a remplacé « faire la jambe de grue ». Celle-ci provenait du verbe « gruer » qui signifiait « attendre ».

5)
Diego
, le 14.07.2014 à 08:26

Moi je l’adore cette grue ! Elle donne une dimension tout à fait exceptionnelle au quai, elle ouvre l’horizon de la ville. J’ai entendu des Zurichois dire qu’elle donnait à la Limmat des airs bâlois, ce qu’il faut bien sur comprendre comme une critique pour eux, mais un bienfait pour moi.

@PhB : tous les plongeurs lémaniques en ont rêvé de ton idée®, on a même tenté d’y faire couler l’Italie en son temps ;-)

6)
Modane
, le 14.07.2014 à 08:43

Cette initiative me rappelle la presse Bliss de Gennevilliers… Mais dont l’installation est, elle, définitive.

La présence des usines Chausson a marqué la vie et l’histoire de Gennevilliers. Au moment de la démolition des bâtiments de l’usine, la Ville a conservé une presse d’emboutissage « Bliss » de 155 tonnes et 7 mètres de haut. Son volume, sa masse, ses couleurs, tout concourt à en faire une véritable sculpture à forte charge émotionnelle.
Après plus d’un siècle de présence en plein coeur de Gennevilliers, l’emprise des anciens établissements Chausson laisse place à un vaste projet urbain : l’écoquartier Chandon-République.

Soucieuse de rendre un hommage particulier aux générations de « Chausson », la Ville de Gennevilliers a décidé d’installer définitivement cette presse dans l’espace public sur les lieux mêmes d’entrée des anciennes usines. La valorisation artistique de cet ouvrage hors du commun a été confiée à deux artistes, Michel Verjux et Philippe Daney.

7)
Diego
, le 14.07.2014 à 09:01

@PhB Quel artiste ce capitaine ! Je ne l’avais jamais vu comme ça non plus note °°°8<)

8)
ysengrain
, le 14.07.2014 à 09:11

Rien que pour nous voir montré Hélène Faigle, Anne: mercis.

Les manifestations artistiques interrogent souvent: j’ai vu un reportage sur un événement qualifié « artistique » hier. Il s’agissait entre autres autres objets d’un empilement en forme de pyramide de rouleaux de papier-toilette, en vente pour … 90000$ !!

Bon, un happening (ça s’appelle comme ça ?) à 600000 CHF, pourquoi pas ?

Enfin, au delà de l’aspect qualifié « artistique », que l’espace soit habité par cette géométrie ne me perturbe pas.

9)
François Cuneo
, le 14.07.2014 à 09:21

C’est moche.

Ça ne signifie rien.

Ça m’énerve que ça coûte si cher au détriment d’autres choses.

L’art m’agace, souvent. Mais je pense que c’est le but, tu le dis d’ailleurs, provoquer le débat.

En fait je n’en ai même pas envie.

Et Modane, la presse de Gennevilliers est belle, elle rappelle une histoire.

Cette grue aussi, peut-être, mais alors pourquoi ne pas avoir « retapé » celles qui ont été détruites juste avant?

10)
coacoa
, le 14.07.2014 à 09:49

J’ai vu cette grue quand nous sommes venus jouer à Zurich début juin. Comme Diego, je l’aime bien. En fait, je l’aime même beaucoup. Je l’aime – le jeu de mot est involontaire mais les dadaïstes nés à quelques pas de là auraient sans doute apprécié – parce qu’elle est « incon-grue ». Elle n’a rien à faire là mais elle est là. Ou, comme dirait Marc Augé en parlant du rôle de l’art, elle opère un « décalage ». Et où pourrait-on opérer un décalage de ce type mieux qu’à Zurich, ville riche et propre et nette (que par ailleurs j’adore) ? Cette grue, je l’aime comme un bouton au milieu du visage d’un mannequin non photoshopé. Tout le monde trouve que le bouton est moche et gâche tout. A moi, il rappelle que le mannequin est un semblable.

Sur la question du coût, bien sûr, de tels chiffres semblent énormes, mais comme toujours dans le cas d’installations monumentales de ce type, l’argent est allé dans les poches des ouvriers qui ont démonté et remonté la grue, dans celles de ceux qui l’ont transportée, dans celles des gens qui ont conçu l’installation, etc, etc… Bref, c’est de l’argent qui n’est pas allé dans la Limmat mais qui a payé des salaires.

Cela étant dit, merci pour les photos, je suis vraiment amoureux de cette ville.

11)
PhilSim
, le 14.07.2014 à 09:58

Mais, plutôt qu’éphémère, ne pourrait-on pas en faire un événement durable ?

En particulier en « retapant » cette belle machine (j’aime bien ces grues de port aux formes tarabiscotées), dont je suis sûr qu’elle serait rapidement intégrée dans l’environnement aux yeux des riverains.

Et même l’utiliser, par exemple en fixant au bout du fil une nacelle permettant de voir l’environnement depuis quelque hauteur, ou même une table et organiser des repas aériens, comme j’ai vu que cela se fait parfois (mais je suis sûr qu’il existe au moins 35 règlements ne permettant pas ce genre de chose, snif)…

12)
Jaxom
, le 14.07.2014 à 10:18

Personnellement je ne dirais pas que j’aime cette grue. Et il est possible qu’en tant qu’événement artistique ce soit un raté.

Cependant, est-ce pour ces raisons qu’il aurait fallu y renoncer ? On ne peut pas savoir à l’avance si ce genre d’événement sera une réussite ou non.

Personnellement j’ai vraiment regretté le refus des lausannois pour le musée au bord du lac. J’étais sur qu’il aurait donné quelque chose de très bien.

Et comme l’a dit coacoa, cet argent n’a pas disparu dans un trou noir. Une très grosse partie est d’ailleurs retournée dans les caisses publiques via impôts et taxes.

13)
Karim
, le 14.07.2014 à 10:34

Il suffit de la basculer, elle peut servir de pont…

Mais avec ce genre de commentaire, on est inévitablement catalogué et passé le premier sourire (?) on s’attire le mépris de ceux qui ont accédé au sens profond de l’œuvre… C’est la vieille opposition entre artiste incompris d’une part, et d’autre part bourgeois réacs ou peuple ignorant (réunis pour une fois ! Les vertus de l’art…)

Dans le cas de cette grue, tu as bien dit Anne que Marcel Duchamp est déjà passé par là avec son urinoir, et cette grue me semble plus relever du procédé que d’un acte créatif… Mais elle est au légitimée par ceci, au moins : elle a fait l’objet d’un vote. C’est la grandeur de la Suisse.

Je ne connaissais pas cette grue, elle m’a tout de suite fait penser à cette réflexion au sujet de l’âne de Paola Pivi :
où va cet âne ?

14)
ToTheEnd
, le 14.07.2014 à 11:23

Je vais pas donner le fond de ma pensée parce que sinon, ça va encore faire un drame… et les drames en période estivale, c’est moche. Je souhaite quand même revenir sur ça:

Dans une ville où, comme ailleurs, on taille volontiers dans les dépenses sur la culture, et où les sponsors donnent de plus en plus chichement, l’installation d’une vieille grue pour faire contraste était-elle vraiment le meilleur placement possible des deniers publics? Ça tombait d’autant plus mal qu’au même moment, la Commune décidait qu’elle ne pouvait plus financer le petit Musée du Strauhof, un musée de la littérature pourrait-on dire où des expositions merveilleuses (je vous en ai parlé plusieurs fois) sont organisées avec des moyens modestes.

Donc la question, c’est de demander à des quidams de Cuk si mettre de l’argent dans un projet qui ne trouve pas tellement grâce à tes yeux vaut plus que de mettre de l’argent, au hasard, dans le musée du Strauhof qui est « un musée de la littérature pourrait-on dire où des expositions merveilleuses (je vous en ai parlé plusieurs fois) sont organisées avec des moyens modestes. »

Vendu comme ça, forcément, on serait tenter de dire: mais quel scandale de financer ce truc alors que ce génial musée de la littérature est menacé.

L’approche du dossier étant totalement biaisée, pourquoi ne pas faire une liste complète des éléments sponsorisés par la ville de Zurich et demander à tout le monde si c’est bien raisonnable de mettre de l’argent ici ou là?

A Lausanne, l’encouragement à la Culture a représenté environ CHF 62 millions en 2013. C’est donc environ CHF 475.- par habitant. Pour Zurich (budget annuel de CHF 186 millions?), j’imagine que la somme par habitant doit être semblable voire supérieure ce qui veut dire que CHF 2 représente moins de 0.4% du budget culture par habitant.

Même si j’ai la plus haute opinion du lectorat de Cuk, je doute que de présenter des éléments sous un forme aussi partiale fasse avancer le débat d’une quelconque façon. Combien de projets culturels seraient recalés si on les soumettaient à l’approbation du bon peuple? Des dizaines si ce n’est pas des centaines.

T

15)
Anne Cuneo
, le 14.07.2014 à 11:53

Et même l’utiliser, par exemple en fixant au bout du fil une nacelle permettant de voir l’environnement depuis quelque hauteur, ou même une table et organiser des repas aériens, comme j’ai vu que cela se fait parfois (mais je suis sûr qu’il existe au moins 35 règlements ne permettant pas ce genre de chose, snif)….

C’est, à vrai dire, ce qui m’a le plus choquée, personnellement. Qu’on n’utilise pas la grue sous quelque forme que ce soit. J’ai vu dans un reportage qu’on peut entrer dans la cabine. Je me suis attendue à ce que, une fois que cette grue a été là, elle soit intégrée à la vie quotidienne de façon animée, je veux dire par là qu’il se passe des choses, qu’on retape la grue comme tu dis. Mais à part la fête officielle, il ne se passe RIEN – il a fallu l’épicière du coin pour qu’on danse une fin d’après-midi.

16)
Anne Cuneo
, le 14.07.2014 à 12:08

Donc la question, c’est de demander à des quidams de Cuk si mettre de l’argent dans un projet qui ne trouve pas tellement grâce à tes yeux vaut plus que de mettre de l’argent, au hasard, dans le musée du Strauhof

Il ne faut pas me faire dire ce que je n’ai pas dit.
Ce qui a choqué, dis-je, est la CONJONCTION du crédit de 600’000 francs pour la grue et l’annonce de la fermeture du Strauhof par «manque de fonds».

A la question souvent posée: fallait-il vraiment dépenser une telle somme pour provoquer le débat?, le conseiller communal responsable du projet répond avec indignation que ça coûte moins de deux francs par habitant, les Zurichois peuvent bien se payer ça. C’est vrai. On espère simplement qu’il tiendra le même raisonnement lorsqu’il s’agira de pérenniser l’existence du musée du Strauhof

Je suis par principe opposée à râler parce qu’on a donné de l’argent à un projet artistique plutôt qu’à un autre. Aussi à un raisonnement qui n’est pas le mien, j’ai proposé qu’on applique le même raisonnement au musée. Qu’on donne aux deux, en d’autres termes. Il y avait un petit sourire en coin là-dedans, M’sieur.

A part ça, TTE, je ne sais vraiment pas ce que j’ai fait pour qu’à chacune de mes interventions tu déverses tant de hargne sur moi. Je ne te connais pas, je ne sais pas ce que je peux t’avoir fait. Et tu es tellement hargneux que tu déformes complètement mes propos. Après avoir annoncé bien entendu en entrée que «tu ne donnerais pas le fond de ta pensée parce qu’autrement on en ferait encore un drame.» Rassure-toi: le fond de ta pensée est bien là. Une fois de plus, tu ne m’as pas loupée.
Et là-dessus, que tu t’étales ou pas sur ce sujet, je t’ignorerai.

17)
ToTheEnd
, le 14.07.2014 à 12:25

L’affirmation « qu’à chacune de mes interventions tu déverses tant de hargne sur moi » est erronée… mais déjà que tu as de la peine à voir des prompteurs de chaque côté d’Obama, je ne pense pas que tu reviendras sur cette affirmation.

J’ai bien compris l’affaire concomitante du crédit pour une grue et l’annonce du musée… mais mon malaise est bien là, une commune ou une commission culturelle doit tous les jours prendre une décision de ce type. Combien de projet sont rejetés chaque jour? Combien de projets sont sacrifiés pour un autre? Combien d’idées passent la rampe? C’est bien tout le problème, il n’y aura jamais suffisamment d’argent pour la culture et je trouve maladroit de poser le problème Grue vs Musée… alors qu’on ne sait même pas de combien se monte le budget allouer à ce musée.

Bref, j’aurais utilisé les mêmes arguments si Saluki ou je ne sais qui aurait posté cette histoire mais libre à toi de penser que j’ai que ça à faire de mes journées que d’attendre tes publications pour venir te casser du sucre sur le dos.

T

18)
Saluki
, le 14.07.2014 à 15:40

Vous avez remarqué que le Saluki, évoqué plus haut par TTE n’a pas pointé sa truffe dans ce fil de commentaires.
En fait je suis particulièrement mal à l’aise car cela me rappelle une situation de choix/dilemme un peu similaire à laquelle j’ai eu à faire face il y a bien vingt ans de temps.
Je ne suis toujours pas certain d’avoir bien choisi.
Ou pas.

19)
Anne Cuneo
, le 14.07.2014 à 16:58

J’espère que tu auras compris Saluki, que mon dilemme à moi était grue ou pas et non grue ou musée. Ceci dit, une fois que le choix de la grue a été fait, je reprocherais plutôt aux organisateurs de ne pas avoir sollicité davantage d’argent, dans le sens du post No 13 de PhilSim.
Cette grue est, dans l’état actuel des choses, une présence morose, qu’on aime ou qu’on n’aime pas. Alors qu’on aurait pu organiser autour d’elle une animation régulière, qui, j’en suis certaine, aurait apprivoisé beaucoup de sceptiques. Comme dit PhilSim, on aurait pu la retaper en public, on aurait pu s’en servir, la faire marcher. On aurait même pu en faire un plaidoyer contre le gaspillage… que sais-je. Je suis convaincue qu’il se serait trouvé des volontaires enthousiastes.
L’autre jour, le patron du bistrot où je vais souvent déjeuner exposait ce qu’il aurait fait, lui, si on lui avait confié l’animation de la grue: c’était un véritable feu d’artifice d’idées, souvent drôles, parfois très originales.
Il aurait, bien entendu, fallu investir cent ou deux cents mille francs de plus.
Mais au-delà du vote pour le crédit, on n’a pas sollicité la population du tout, sinon à consommer, à la fête du week-end dernier, ou en achetant quelques gadgets très chers dans un container ad hoc qui n’est même pas placé près de la grue.

20)
Mirou
, le 14.07.2014 à 19:12

Mais pour moi, tout l’intérêt artistique de cette grue est justement qu’elle ne sert à rien.

Il ne viendrait à personne l’idée de retaper en public Maman de Louise Bourgeois, ni de faire grimper les enfants sur un chien géant de Koons..

… Enfin du moins j’espère pas!

21)
Mirou
, le 14.07.2014 à 19:53

Ah j’ai oublié dans mes exemples: on imaginerait jamais faire uriner le public dans un des Urinoirs de Duchamp…

Quoique pour le coup, la transformation de l’Oeuvre par la Performance aurait quelque chose d’assez intéressant.

22)
Anne Cuneo
, le 14.07.2014 à 20:15

Mais pour moi, tout l’intérêt artistique de cette grue est justement qu’elle ne sert à rien.

D’accord avec toi. Et les activités ludiques qu’on pourrait imaginer autour de cette grue, serviraient-elles à quelque chose? A amuser ceux qui les pratiquent, peut-être, à intégrer l’objet dans la vie des gens. Même ainsi, selon moi, la grue resterait aussi inutile que le pissoir de Duchamp, qui sert tout de même à faire déplacer les gens au musée, à faire des photos et des reproductions miniature ou non.
La grue ne peut pas être comparée directement à une oeuvre de Koons, qui n’a certes pas pensé à faire grimper dessus des enfants (du moins c’est ce que nous pensons). La grue a été faite pour être une grue portuaire. La retaperait-on en public, que sur le quai de la Limmat elle resterait magnifiquement inutile.
C’est philosophique, tout ça… ;–))

23)
Mirou
, le 14.07.2014 à 22:54

En fait je crois que je serais choqué qu’on la retape: une grue neuve n’aurait plus la signification faussement historique que j’apprécie. La distorsion de réalité qu’elle induit en étant toute pourrie serait diminuée si elle paraissait neuve. Je suis étonnamment conservateur au point de vouloir la laisser comme ça…. Ça me provoque en interne un débat. C’est ce que j’attends d’une œuvre!

Mais si le voisinage veut se l’approprier alors tant mieux. Il faudrait déposer une pétition pour la sauvegarder! Et organiser un festival de la Grue tous les premiers dimanche de juillet pour célébrer la fin des travaux portuaires.

24)
PhilSim
, le 15.07.2014 à 07:48

Pourquoi parle-t-on d’art en l’occurrence ? Ne faudrait-il pas plutôt parler d’art décoratif (je sais, cela fait trivial au regard du « grand art »), mais entre regarder cette grue vert délavé et rouillée s’étioler et prendre de plein fouet les effets de l’entropie (peut-être pour nous rappeler notre propre décrépitude et finitude), ou la voir en couleur « revivre », s’animer et jouer un (petit) rôle dans la vie du quartier, il me semble qu’il n’y a pas photo.

Je fais le parallèle avec ces vieilles locomotives à vapeur restaurées par des passionnés, qui éructent (les locos, pas les passionnés), halètent, sifflent, et prennent à bord des wagons accrochés à elles un lot de gens qui apprécient ce moment. On est dans le divertissement ? Peut-être, mais quel plaisir !

Cela me fait penser aussi aux créations mobiles de Jean Tinguely, qui bougent, grincent, bref, sont vivantes et joyeuses (même avec une tête de squelette animal pour l’une d’entre elles, si je me souviens bien). Ces objets, me semble-t-il, nous aident à ne pas trop nous appesantir sur la perspective de notre décrépitude et finalement de notre propre passage à la casse, plutôt que de la contempler avec morosité.

Et ne pas oublier non plus dans tout cela la valeur ajoutée de la préservation du patrimoine industriel !

25)
Diego
, le 15.07.2014 à 08:22

Ah j’ai oublié dans mes exemples: on imaginerait jamais faire uriner le public dans un des Urinoirs de Duchamp…

Note …

26)
Anne Cuneo
, le 15.07.2014 à 08:51

entre regarder cette grue vert délavé et rouillée s’étioler et prendre de plein fouet les effets de l’entropie (peut-être pour nous rappeler notre propre décrépitude et finitude), ou la voir en couleur « revivre », s’animer et jouer un (petit) rôle dans la vie du quartier, il me semble qu’il n’y a pas photo

J’aurais dû l’exprimer plus clairement dès le départ: c’est exactement de là que vient ma déception. Je n’étais pas sûre que j’avais envie de voir cette grue, je me demandais si ça valait ce que ça coûtait, mais en fait, je crois que si une fois placée là, elle avait été sollicitée d’une manière ou d’une autre, si on avait fait revivre son passé, si on l’avait repeinte pour l’avenir – je me sais pas moi, il y a mille possibilités, j’aurais sans doute fini par être réconciliée à l’idée.
Mais il n’y a pas eu ça, seulement de grands discours sur l’art (qui continuent d’ailleurs allègrement) et cette pauvre grue, que je trouve en soi attendrissante si je pense à tout son poids d’histoire, plantée là et vite devenue indifférente à (presque) tous. Si on parle d’intervention artistique, je trouve qu’en quelque sorte elle a été arrêtée à moitié.

27)
djtrance
, le 15.07.2014 à 11:45

Peu importe le prix, ce vieux tas de ferraille n’apporte rien au paysage, au contraire je trouve qu’il le dénature totalement. C’est immonde!

C’est une totale aberration d’allouer 600’000 balles à un truc pareil (quel que soit la part financière individuelle de chaque citoyen et quel que soit le pourcentage que cela représente) et qu’il y a mille et un projets (on ne va pas en faire la liste) qui feraient du bien à la communauté!

28)
François Cuneo
, le 24.07.2014 à 23:50

Ben au risque de passer pour un pauvre type qui n’a rien compris à l’AAAAArt: je suis d’accord avec toi, djtrance.

Purée, et dire qu’il y en a qui n’ont pas à bouffer.

29)
ToTheEnd
, le 16.01.2015 à 16:58

Hip hip hourra… cette grue sera démontée à partir de lundi…

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