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Vive les vacances

Chien en ouaf-cances

Ploc, ploc, ploc.

L’aurore aux doigts impatients déchirait les derniers lambeaux du déshabillé vaporeux de la lune. Le jour avait déjà commencé à s’immiscer par les interstices du mince rideau, pour filer tout droit vers le bout de nez rubicond qui agitait la couette de ronflements caverneux. Émergeant soudain, l’homme s’était redressé d’un seul coup, le poing sur l’oreiller.

– Errhmmm… Ça ne faisait pas plic plic, tout à l’heure ? expectora-t-il d’une voix pâteuse.

La bassine cabossée, posée au milieu de la pièce sous la plus menaçante gouttière lorsque l’orage l’avait arraché à la moiteur du premier sommeil, allait bientôt déborder. Pieds nus dans son slip grisâtre à l’élastique fatigué, il ne put déplacer le lourd baquet que de quelques centimètres, inondant copieusement le parquet disjoint. Cette fois, il était tout à fait réveillé.

Trois nuits qu’il cherchait le sommeil, ballotté entre les cauchemars et les remords, au fin fond de cette bourgade saint-galloise au nom plein de w, de tsch et de ü qu’il ne s’était pas risqué à prononcer. C’était la seule location pas trop lourde pour son maigre budget, parmi toutes les petites annonces épluchées sur le panneau d’affichage à l’entrée de la Coop. Il avait quand même voulu se payer des vacances malgré les traites de la voiture, malgré la pension léonine que lui soutirait son ex, malgré ce bâtard aboyant et encombrant hérité de sa fille, cette ingrate partie s’installer en ville, sans un merci ni un adieu, après leur énième dispute.

Le zonzonnement acidulé du radio-réveil constellé de chiures de mouches l’arracha à ses idées noires. Il tripota les boutons en tâtonnant.

…sept heures. Le journal, Didier Duployer. – Tout d’abord cette statistique inquiétante: les chiens abandonnés au bord de la route des vacances n’ont jamais été aussi nombreux que cette année dans notre p…

– Non mais tu t’y mets toi aussi ? Ferme-la ! grommela-t-il en éteignant l’appareil d’un poing rageur.

Décidément, cet épisode peu glorieux le poursuivrait longtemps. Tout affairé à boucler ses valises, il n’avait pas pensé à résoudre le problème du chien. Pas question de l’enfermer seul une semaine: faute de mieux, il avait donc fallu lui dégager une petite place à l’arrière de la voiture. Sur la route, il s’était mis à douter. L’animal n’allait-il pas laisser de saletés dans cette maison inconnue ? Ne sera-ce pas trop compliqué de devoir l’emmener partout ? Que faudra-t-il lui donner à manger ? Il en avait soupiré une bonne partie du chemin.

Soudain résolu, il s’était arrêté sur une aire de repos déserte, quelque part avant Zurich. Tout heureux d’avoir pu se dégourdir les pattes, le chien l’avait gratifié de baveuses marques d’affection malgré sa réticence bourrue. Vaguement honteux, il avait attaché la laisse à une poubelle proche avant de reprendre le volant.

Mal couché sur le lit froid et grinçant, il avait passé sa première nuit de vacances à se retourner entre les draps froissés, essayant d’imaginer si quelqu’un avait déjà retrouvé le chien. Au petit matin, un sentiment de culpabilité l’avait envahi. Mais qu’avait-il donc fait ? Depuis, le nœud n’avait plus quitté son estomac.

Il sortit sur le balcon pour sa première cigarette de la journée. L’air était encore frais. Le tintinna­bulement des cloches de vaches montait d’une prairie proche. Un soleil primesautier caressait les toitures en contrebas, qui offraient éperdument leurs tuiles au matin neuf. Une porte de garage se releva dans un chuintement soyeux, ouvrant le passage à une limousine cossue qui obliqua vers la plaine. Il la suivit du regard jusqu’au premier virage. Au détour de la route, des jappements attirèrent son attention. Un vif petit bolide roux folâtrait à travers les hautes herbes encore gorgées de rosée. Mais… ? Il n’en croyait pas ses lunettes. Ah non, impossible, elle est à plus de cent cinquante bornes, cette aire d’autoroute ! Quoique… Un fol espoir le submergea. Il enfila son pantalon à cloche-pied en dévalant les escaliers et déboula dans l’allée. Les jappements galopaient tout proches. Une tornade haletante lui slaloma entre les jambes sans s’arrêter.

C’était presque le même.

19 commentaires
1)
Philob
, le 29.06.2010 à 10:07

Bonjour

Beau texte, mais la photo de carte postale pour blaireau gâche tout …

2)
Le Corbeau
, le 29.06.2010 à 10:28

ben alors?
tout le monde est sorti attacher son chien à une poubelle ou quoi?

c’est vrai qu’il est difficile de commenter une nouvelle.

3)
Eniotna
, le 29.06.2010 à 11:13

mais la photo de carte postale pour blaireau gâche tout …

Ben zut alors. J’avais osé croire qu’il ne serait pas nécessaire de surligner le second degré en jaune fluo sur Cuk…

Je vois bien le beauf de l’histoire (car c’en est quand même un specimen de toute beauté, non?) descendre à l’épicerie du village et y acheter une carte postale de ce genre pour envoyer de gros becs de son bled perdu à la voisine qu’il a chargée de vider sa boîte aux lettres et d’arroser ses bégonias chaque soir. Pas vous?

4)
levri
, le 29.06.2010 à 12:19

Le sujet est tellement banal qu’il n’appelle pas vraiment de commentaire, la question qu’il suscite serait plutôt “pourquoi les “gros dégs” (et les autres) éprouvent ils le besoin de posséder un ou des animaux ? “

PS : on se croirait presque dans Reiser … mais sans les images :P

J’écoute I Wanna Be Your Dog des Stooges sur leur album éponyme

5)
kronos
, le 29.06.2010 à 13:10

Je me demande si ce genre de personnage est vraiment capable de ressentir du remord.

6)
Modane
, le 29.06.2010 à 13:43

Bien sûr que si! À en renverser un peu de leur petit blanc sur le comptoir, quand les lâchetés se sont accumulées…

7)
Lebarron
, le 29.06.2010 à 14:39

Moi c’est l’inverse, c’est mon chien qui me laissait en plan, le roi de la fugue. Deux jours dans le même camping, et le voilà parti vagabonder, cela m’est arrivé en Yougoslavie, dans de sud de la France, je suis retourné une semaine après mon départ le récupérer. Même pas dit merci…

8)
Modane
, le 29.06.2010 à 15:07

Ingrats, les chiens sont…

10)
levri
, le 29.06.2010 à 17:30

On pourrait aussi chialer sur le bébé mordu par un pitbull qui est scandaleusement toujours vivant!

On n’achève plus les bébés ?

Tonnerre de Brest !

11)
Caplan
, le 29.06.2010 à 18:33

On n’achève plus les bébés ?

En écrivant cette phrase à rallonge, je me suis dit qu’elle allait être mal comprise, mais, la flemme aidant… ;-)

Je corrige donc.

12)
zit
, le 30.06.2010 à 08:46

J’aime pas les chiens !
C’est bruyant, ça pue, c’est bêêêêêêête…

Mais c’est pas une raison pour les abandonner avant de partir en vacances, d’abord, je n’en ai pas, et puis de toute façon, je ne part pas en vacances non plus.

z (sinon, bienvenue Eniotna, je répêêêêêêêêêêête : sympa, cette tranche de vie glauque)

PS : Lu très récemment dans l’excellent et hilarant  :

Le chien se payait du bon temps.
Le fait est, quand on est un labrador retriever – c’est qu’on est né pour le fun. Il est rare que votre mental loufoque et indépendant s’encombre de méditation transcendantale et jamais, au grand jamais, d’idées noires; chaque jour, c’est le pied. Que demander d’autre à la vie ? Bouffer, c’est la fête. Pisser, un délice. Chier, la joie. Et se lécher les couilles ? La félicité suprême. Et où que l’on aille, plein d’humains crédules vous caressent, vous serrent dans leurs bras, tout à vos petits soins.

[…] Les labradors sont mus par la philosophie que la vie est trop brève pour la passer à autre chose que s’amuser, faire des bêtises et se livrer à leurs pulsions charnelles spontanées.

[…] Les labradors ont tendance à vivre l’instant présent, exclusivement, joyeusement, en oubliant tout le reste.

Bon, ça a été une révélation, pour moi, de m’apercevoir que j’étais un labrador retriver !

13)
Invite
, le 30.06.2010 à 08:53

Je vois bien le beauf de l’histoire

Bof, on est toujours le beauf de quelqu’un et s’il est déconseillé d’être ennuyant pour décrire l’ennui, on peut aussi éviter l’écriture ton sur ton pour décrire la beauferie.

Certes cuk.ch est un site où on parle de photo(s), mais était-ce bien nécessaire de décrire un monde où les ronflements sont caverneux, les budgets maigres, les poings rageurs, les valises bouclées, les aires de repos désertes (surtout les jours de grand départ), les draps froissés et l’espoir fol ?

Il serait temps d’abandonner les œuvres complètes d’Alexandre Jardin. Écrire ce n’est pas ouvrir un dictionnaire de synonymes, ce n’est pas non plus accumuler des mots un peu rares, c’est encore moins affubler chaque substantif d’un adjectif et chaque verbe d’un adverbe.

Voilà pour la forme, sur le fond le texte est aussi empreint de délicatesse que les chroniques de Philippe Val ou les dessins de Cabu. On est bien loin du monde de Reiser, lui n’avait aucun mépris pour Gros dégueulasse.

14)
levri
, le 30.06.2010 à 09:14

Bon, ça a été une révélation, pour moi, de m’apercevoir que j’étais un labrador retriver !

Bin dis donc, t’es souple !

15)
Madame Poppins
, le 30.06.2010 à 15:06

Invite,

Professionnellement, je suis souvent confrontée à des demandes genre “pourrais-tu m’écrire des statuts, un contrat, un courrier ?”

A cette question, en grosse flemmarde que je suis, j’aime bien répondre “envoie-moi ton projet, je corrigerai”.

Parce que, forcément, c’est souvent plus facile de travailler sur un texte existant que d’en rédiger un de toutes pièces.

Il en va de même avec les articles publiés sur cuk : de toute évidence, il est plus facile de critiquer – avec une “virulence” peu appropriée je trouve – que d’écrire soi-même ! Remarque, il se trouve simplement que je suis sensible à la forme, même d’une critique : est-il réellement nécessaire d’écrire “c’est surtout l’écriture qui est beauf” alors qu’un “je n’apprécie pas (voire pas du tout) ce style” aurait fait l’affaire.

Enfin, je te rejoins au moins sur un point : on est toujours le beauf de quelqu’un !

16)
Eniotna
, le 30.06.2010 à 17:57

@Invite

Ah mais c’est un peu court, jeune homme / Vous eûtes pu dire, odieux, bien d’autres choses en somme / Et nous prouver ainsi que tant de vinaigre gaspillé / Eût pu avoir un usage mieux approprié…

… par exemple pour assaisonner des salades un peu plus goûteuses, et nous prouver ainsi la finesse et la subtilité de vos incommensurables talents d’auteur trop injustement méconnu. Nul doute que les contributeurs réguliers de Cuk sauront les apprécier à leur juste valeur sur ce forum.

Saints Reboux et Müller, Bienheureux Jourde et Naulleau, priez pour moi! Eh oui, on vit une époque formidable – à tous les sens du mot. Heureusement, à l’heure du sarkozysme et de l’anelkisme décomplexés, ce n’est pas forcément du côté où elle est déversée que la boue éclabousse le plus…

Sur ce, je partage avec plus de délectation que jamais avec ce cher Courteline le plaisir qu’il considérait comme une volupté de fin gourmet, et que Madame Poppins ci-dessus a su elle aussi exprimer avec d’autres mots – in cauda venenum – ce dont je la remercie cordialement ;-).

17)
Invite
, le 30.06.2010 à 23:26

est-il réellement nécessaire d’écrire “c’est surtout l’écriture qui est beauf”

Ce n’est pas moi qui ai commencé :

mais la photo de carte postale pour blaireau gâche tout

Je vois bien le beauf de l’histoire (car c’en est quand même un specimen de toute beauté, non?)

Je trouve que la photo de carte postale est du Henri Cartier-Bresson comparé à la qualité du texte.

Enfin, je te rejoins au moins sur un point : on est toujours le beauf de quelqu’un !

Sauf toi, tu es belle-sœur (si j’ai bien compris le texte sur la fierté et le Bac).

Mais tu as raison, j’édite et j’amende avant qu’Antoine ne réponde d’une manière qui pourrait laisser croire que c’est encore pire que ce que je décrivais.

18)
Madame Poppins
, le 01.07.2010 à 00:17

:-) François ayant un quart-frère, il peut bien aussi avoir une “non belle-soeur” (et je suis sérieuse) !

19)
Invite
, le 01.07.2010 à 00:40

C’est donc grâce à toi que François est non-beauf(rère) ?