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Le maître de Garamond, à vous couper le souffle

Pendant des années, j'ai utilisé la police Garamond pour toutes mes productions "papier".

J'ai toujours personnellement adoré l'élégance absolue de son G, qu'il soit majuscule ou minuscule et apprécié son haut degré de lisibilité, son équilibre.

Or quel n'a pas été mon bonheur de recevoir la semaine passée un livre magnifique de 600 pages ayant pour titre "Le maître de Garamond".

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Merci à Anne Cuneo, l'un des écrivains marquants de Suisse romande et surtout l'auteur de ce magnifique ouvrage de m'avoir autorisé de le retranscrire ici le texte écrit sur le rabat de son livre.

Prenez la peine de lire ce qui suit, vous verrez que cette période est tout à fait passionnante et que l'histoire de Claude Garamond et d'Antoine Augereau, son maître d'apprentissage (et sans doute le véritable père de la police Garamond, italique mis à part) ne pourra plus vous laisser indifférent.

Au crépuscule du 24 décembre 1534, pendant que dans les familles parisiennes on s'apprêtait à fêter Noël, on pendait place Maubert un homme suspecté d'hérésie dont on brûlait ensuite le corps et les livres:

Antoine Augereau, imprimeur, éditeur et graveur de caractères typographiques. Il était accusé d'être l'auteur des Placards contre la messe.

Antoine Augereau était une de ces personnalités à l'autorité naturelle qu'on remarque non pas parce qu'elles veulent se faire remarquer, mais parce qu'elles dépassent du moule commun. C'était un homme de lettres, un érudit, probablement un théologien. Il savait non seulement le latin comme tout un chacun, mais aussi le grec, qu'il écrivait, gravait et publiait. C'était un grand imprimeur, et il a sans doute été un grand pédagogue. Il a créé et transmis les caractères typographiques qui ont --directement ou indirectement- modelé ceux dont nous nous servons encore de nos jours. Il était l'imprimeur (c'est-à-dire l'éditeur) de Marguerite de Navarre, la sœur du roi François Ier

Les accusations qui lui ont valu d'être condamné étaient infondées, et Antoine Augereau n'était qu'un bouc émissaire.

Comment en était-on arrivé là?

Son histoire est racontée par le plus célèbre de ses apprentis, Claude Garamond (qui, dans un même mouvement, raconte aussi la sienne propre). Il relate la naissance d'Antoine Augereau dans un milieu où se côtoient artisans et quelques-uns des intellectuels les plus brillants des débuts de la Renaissance française, qu'il s'agisse de droit, de médecine ou de mathématiques, son enfance à Fontenay-le-Comte à l'ombre du couvent où a vécu François Rabelais, son apprentissage à Poitiers, son immersion dans le milieu le plus érudit du Paris de son temps, ses discussions avec Geoffroy Tory, Robert Estienne, Clément Marot, avec lesquels il inventera l'usage des accents et de la cédille, ses premiers contacts avec la pensée des humanistes et avec celle de la Réforme naissante. Et enfin, son édition du Miroir de l'âme pécheresse, écrit par la sœur du roi de France, dont les théologiens de la Sorbonne désapprouvent la pensée; comme la Sorbonne, gardienne jalouse d'une orthodoxie qu'elle voudrait figée et sans faille, ne peut pas condamner la sœur du roi, c'est Augereau qui paiera pour elle.

Mais Le maître de Garamond est aussi autre chose: c'est un voyage aux sources de la typographie, de l'imprimerie et de l'édition modernes. C'est le grouillement de la Grand-Rue Saint-Jacques du temps où elle abritait plusieurs imprimeurs par maison. C'est la pensée la plus moderne en train de se forger, une pensée humaniste, loin de tout fanatisme, ouverte, généreuse, qui rêve d'universalité: des hommes et des femmes lui sont à tel point attachés qu'ils sont prêts à mourir pour la défendre. À Antoine Augereau, elle coûtera la vie.

J'aimerais terminer en précisant d'une part que si cette période est particulièrement intéressante, c'est aussi parce qu'elle a vu la naissance de la multiplication des livres et par conséquent du savoir, et qu'elle représente d'une certaine manière la même révolution que celle que nous venons de traverser avec l'avènement de l'informatique.

Enfin, sachez que le livre a été entièrement composé à l'aide de la police 1530 Garamond, qui a été reconstituée (et non pas interprétée comme c'est souvent le cas) avec grande minutie par William Ross Mills, de la société Tiro. Vous pouvez en voir certains exemples ici.

Le moins que l'on puisse dire, c'est que le résultat est au rendez-vous. Un très beau livre, vraiment.

Au fait, vous avez remarqué? Le fond de la jacquette n'autait-il pas un petit quelque chose à voir avec MacOS X?

Non, je délire… Je vois du Mac partout.

Références

Le maître de Garamond, d'Anne Cuneo

pour la Suisse Bernard Campiche Éditeur

pour la France: Stock

19 commentaires
1)
an7re
, le 11.12.2002 à 08:54

Damned ! "Ils" sont partout…
Noe derrière l’ecran, Papa derrière la toile, François derrière le clavier et désormais Anne en piles chez les meilleurs libraires…
Gene Vincent (j’aurais bien mis la musique du générique de cette série ici :-)

Je galège : merci pour cette info !

2)
an7re
, le 11.12.2002 à 08:55

Etait-ce d’ailleurs Gene Vincent ? Trou de mémoire :-)

3)
Obi1
, le 11.12.2002 à 09:16

Et je suis sûr que dans le livre de Anne Cuneo, on trouve dix pages nous vantant les mérites de cuk.ch. Qui lui-même nous fait la pub pour la peinture du père. Sûrement que le deuxième tableau présenté dans l’humeur consacrée habilement à une prétendue méprise de portable représente Anne Cuneo ! Ils sont vraiment malins. Mais là, avec Garamond, ça devient un peu gros.

4)
Denis
, le 11.12.2002 à 10:20

Même des fois quand on allume la télé on les retrouve.
ARGGGGHHH !

5)
an7re
, le 11.12.2002 à 10:55

Est-ce qq un a approché François ces derniers temps ? Alors ?!!
4 ou 5 doigts :-)

6)
François Cuneo
, le 11.12.2002 à 11:05

Obi<Mais là, avec Garamond, ça devient un peu gros.>
Damned, je suis fait!
Juste un truc, Cuk.ch n’existait pas encore (à ma connaissance) en 1530, et donc, il a été très difficile (voire impossible mais je n’ai pas encore fini le livre, donc je ne me prononce pas) d’intégrer les fameuses dix pages vantant cuk.ch.
On verra:-)

7)
yvouf
, le 11.12.2002 à 11:22

Pendant des années, j’ai utilisé la police Garamond pour toutes mes productions "papier".

Est-ce à dire que tu n’utilises plus Gramond?

8)
laronche1
, le 11.12.2002 à 11:41

Deux petits commentaires :

C’était DAVID Vincent (sauf erreur, Gene Vincent fut un chanteur de rock, période sixties)

J’aurais aimé savoir (ce n’est pas précisé) si miss Cuneo (auteur) était apparentée avec François Cuneo (aka anciennement CUK)

Curiosité quand tu nous tiens…

Bonjour chez vous

9)
an7re
, le 11.12.2002 à 13:15

Whhaaaa c’est ça : David Vincent, celui qui avait déjà compris qu’il y a avait un complot planétaire !
Merci pour la précision :-)

10)
cuk
, le 11.12.2002 à 13:16

laronche1: merci de m’avoir éclairé! Je ne voyais pas le rapport avec Gene, donc je me tirais des balles en ne comprenant pas le coup des doigts d’an7re (et je n’osais rien dire, j’avais trop la honte!).
Maintenant, tout est en place!
et au niveau du rapport familial? Il se trouve qu’Anne est un petit peu ma tante…

yvouf: non, je n’utilise plus Garamond, je trouve les polices à empattement un peu lourdes maintenant. Je prends Avant-Garde. Question de mode, je vais peut-être revenir à Garamond un jour.

11)
sebsto
, le 11.12.2002 à 13:41

est-ce quelqu’un connait une version de la police Garamond gratuite ?

Je ne suis ni editeur, ni imprimeur et les $249 demandés par Tiro me semblent excessifs pour mes petits besoins personnels :-)

Sauf erreur de ma part, cette police n’est pas reprise dans les polices de OS X. Je suppose qu’elle est fournie avec ATM mais de nouveau : pas trop envie d’ouvrir le cordon de la bourse.

Merci pour vos infos

Seb

12)
an7re
, le 11.12.2002 à 13:52

C’est de ma faute, si, si de ma faute ! j’ai pas de mémoire des noms propres d’ou Gene Vincent (neurones en panne)

13)
nic
, le 11.12.2002 à 15:14

cuk: >Je prends Avant-Garde. Question de mode

noooon, il ne faut pas suivre les modes… en plus la avant-garde est une espece de copie de la futura…

je dois vous dire que j’ai croisé Anne Cuneo dans la salle de presse du festival de locarno et, devinez, elle utilise un iBook!!!

14)
Noé
, le 11.12.2002 à 16:28

Nic:
Ce n’est pas demain que vous la verrez avec un PC. Elle déteste tout ce qui est Microsoft.
a+
Noé

15)
François Cuneo
, le 11.12.2002 à 17:31

… et elle a écrit son livre entièrement sous Nisus (mis en page ensuite sous QuarkXPress.
Ne luis parlez jamais de Word, je ne connais personne qui le déteste autant!

16)
Olivier
, le 11.12.2002 à 17:41

C’est vrai que j’avais lu il y a pas mal d’années une interview d’Anne Cunéo. Elle disait tout le bien qu’elle pensait du Mac et de Nisus. Elle le pense toujours d’ailleurs apparemment…

Lui as-tu déjà parlé de Palladium, etc.? Etant donné qu’Anne Cunéo n’est pas n’importe qui, il y aurait peut-être une idée à creuser là-derrière? Bon c’est pas vraiment son domaine, l’informatique, mais ça apporterait du crédit au opposant à ce projet.

Je me souviens d’un superbe documentaire qu’elle avait fait sur Adrian Frutiger. J’ai d’ailleurs la cassette VHS.

17)
nic
, le 11.12.2002 à 17:57

olivier: il me semble que c’est en travaillant au documentaire sur frutiger qu’elle a eu l’idee d’ecrire ce livre.

18)
DanMac
, le 11.12.2002 à 19:22

Et en plus il y a eu Roger Cuneo, chanteur romand! Qu’est-t-il devenu ?
Il y a longtemps (seventies) je travaillais pour une boite de disques lausannoise qui l’a édité.

19)
François Cuneo
, le 11.12.2002 à 23:45

Roger donne des cours de pose de voix et continue à proposer des spectacles Boby Lapointe et Prévert… En plus, il peint, comme vous avez pu le voir.