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New York, New York

Bonjour, 

Aujourd’hui, je laisse ma place à un pote qui s’est mis à écrire il y'a maintenant dix ans, et qui voulait partager une de ses nouvelles au-delà du cercle familial et amical. Je lui laisse donc la parole. Quant à moi, agenda académique oblige, vous ne me subirez plus jusqu’en juillet. Portez-vous bien !

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Un ballon coloré s’envole dans le ciel d’automne, tournoyant dans le vent entre les quelques nuages visibles ce jour là. Les arbres sont encore ornés de feuilles déclinant du rouge au beige, s’accrochant pour le bonheur des gens qui savent les regarder, charmés par cet éphémère tableau. Certaines se sont déjà détachées, prêtes à poursuivre leur cycle de vie, fleurissant le sol à la plus grande joie des enfants les propulsant une dernière fois dans les airs avant qu’elles ne disparaissent sous la neige de l’hiver.

Mais le temps n’est pas encore à l’hiver, le soleil rayonne encore, réchauffant le visage de ceux qui sont là aujourd’hui, certains pour dire au revoir, d’autres pour se souvenir et quelques-uns simplement pour dire bonjour. Cet endroit n’est pas simplement décoré des feuilles de l’automne, on y trouve aussi quelques pierres bien alignées sur lesquelles on peut lire des inscriptions, les fleurs venant couvrir le pied de certaines, constituant une transition entre roche et herbe, entre solide et vivant. Il y'a quelques bancs verts au bord des allées. Un vieil homme est assis sur un de ceux-ci, sa canne posée à côté de lui, son regard fixé sur une de ces pierres, sa bouche souriante semblant lui articuler quelques mots.

Un peu plus loin, un homme habillé en noir parle à d’autres personnes vêtues de couleurs sombres qui sont réunies en un demi-cercle autour de lui. Des pas résonnent au loin. Un jeune homme descend l’allée, les yeux émerveillés par le spectacle de la saison romantique. De son visage se dégage une impression de paix intérieure, une certaine tranquillité.

La voix de Sinatra chante dans ses oreilles, That’s Life, un de ses enregistrements préférés de celui qui fut le plus grand crooner de tous les temps.

Il arrive bientôt à hauteur du vieux monsieur qui est toujours assis sur son banc. Les deux ont le même regard, bien que cela soit probablement pour de très différentes raisons.

Un coup de vent fait vaciller la canne appuyée là qui vient finalement à tomber au pied du jeune homme passant par là.

Il la ramasse, et la tend au vieil homme en lui souriant. Celui-ci le remercie et lui demande ce qu’un jeune comme lui fait dans un endroit comme celui-ci un dimanche, intrigué par ce personnage. Le jeune lui répond alors qu’il est venu voir sa marraine qu’il n’a pas vue depuis ses quatre ans, et à qui il avait toujours souhaité pouvoir parler.

Le vieux lui propose alors de s’asseoir un moment avec lui, il est aussi venu voir quelqu’un qu’il n’a pas vu depuis quelques temps, cinq ans en fait. Mais à son âge, le temps n’a plus la même signification.

Sur ce banc, au bord de cette allée dans ce grand espace verdoyant au bord de la ville se trouvent maintenant deux hommes, un vieux et un jeune, deux personnes que à priori tout oppose, l’un ayant sa vie devant lui, l’autre derrière lui. Ils ne le savent pas encore, mais au bout de leur conversation, tous deux repartiront avec un nouvel ami, une personne avec laquelle on peut partager ses histoires, ses craintes et ses joies.

Le jeune homme s’est assis et reprend la conversation en demandant si la personne que son compère de siège est venu saluer est la femme se trouvant en face d’eux. C’est bien le cas, si ce n’est que cette femme est sa femme, celle avec laquelle il avait passé sa vie, avec laquelle il avait tout vécu, celle qu’il avait aimé et aimait toujours, qu’il avait parfois aimé détester, celle qu’il se réjouissait de pouvoir bientôt rejoindre, sans pour autant conditionner sa vie entière autour de cette attente.

Le jeune lui demande alors en riant d’attendre avant de la rejoindre, souhaitant de tout cœur pouvoir entendre son histoire. Le vieux rit alors et s’apprête à lui raconter, heureux de voir qu’il reste encore dans la jeune génération des gens s’intéressant aux autres sans les connaître au premier abord, des gens comme lui.

Il l’avait rencontrée lors d’un bal quand ils avaient encore vingt ans. Il portait ce soir-là son plus beau costume, et il l’avait remarquée dès qu’il était entré dans la salle, elle rayonnait au milieu de la foule et des couples qui tournoyaient au rythme d’un boogie woogie. Leurs regards s’étaient croisés et il avait manqué à ce moment-là de tomber sur le sol, trébuchant sur le pied d’un des danseurs. Elle avait rit sans pour autant se moquer et il s’était approché d’elle. À ce moment avaient commencé les premières notes de New York New York et il l’avait invitée à danser.

Il ne pouvait s’empêcher de regard son sourire et ses magnifiques yeux verts. Ses longs cheveux bruns tournoyaient dans les airs, détachés, ce qui était assez rare à l’époque.

Quand la musique s’était arrêtée, ils s’étaient longuement promenés dans la nuit, avant qu’il ne la raccompagne chez elle. Ils s’étaient alors donné rendez-vous pour le weekend suivant et il était rentré chez lui. 

Un sourire ému se dessine sur le visage du jeune homme qui voyage dans le passé du vieil homme, qui poursuit son histoire.

Ils avaient continué à se voir jusqu’à ce qu’ils décident un jour de commencer une vraie relation, poussés par un amour grandissant. Ils s’étaient mariés peu de temps après, un magnifique mariage. Pas somptueux mais magnifique de simplicité et de bonheur. Il travaillait à l’époque dans une compagnie de forage en tant qu’ingénieur et il lui avait été annoncé qu’il allait devoir partir pour deux ans au Nicaragua, où un gisement avait été trouvé. Sa femme travaillait alors dans une agence de publicité et ne pouvait pas se permettre de quitter son emploi s’ils voulaient pouvoir se permettre de garder la petite maison qui leur avait été léguée lors de leur mariage. Il était donc parti seul, il allait pouvoir revenir la voir au bout d’une année pour un mois avant de repartir pour terminer son mandat, deux ans de séparation en tout et pour tout, tout de même.

Ils communiquaient par lettres, le téléphone n’était pas encore une constante à cette époque dans cette région d’Amérique du Sud. Cela faisait quatre mois qu’il était sur place quand il reçut un long message de sa femme qui lui annonçait qu’elle était enceinte. Il allait être père ! Il avait connu des moments difficiles quand il était là-bas, la solitude et le manque auraient pu le propulser dans une dépression complète et le faire tout abandonner. Mais il s’était battu pour elle, pour leur futur et pour pouvoir vivre pleinement le moment où ils seraient enfin réunis.

Quand il était revenu à la maison après une année pour pouvoir profiter de son mois de vacances, il avait pu retrouver sa femme encore plus belle qu’elle ne l’était avant son départ, un tout petit garçon dans les bras. La joie qu’il avait ressentie à ce moment avait été immense, indescriptible. Et ils avaient ensuite vécu un des plus beaux mois de leur vie avant qu’il ne doive repartir, un déchirement complet.

Le vieux fait une pause dans son récit pour montrer une photo qu’ils avaient prise à cette époque. Il avait raison, sa femme était vraiment magnifique, sa famille heureuse. Un fois sa photo rangée, le vieil homme reprend son histoire.

Il était donc reparti pour une année entière. Ce fut le départ le plus difficile de sa vie. Laisser derrière lui sa femme et son fils, son bonheur et au final une partie de lui-même lui était parfaitement insupportable.

Alors quand il revint à la maison au terme de son mandat, sa femme et lui se promirent de ne plus jamais se quitter comme cela avait été le cas.

Sa femme et son fils le suivaient dans chacune de ses nouvelles affectations, et ils avaient habité sur chaque continent.

Ils avaient probablement plus vécu en vingt ans que ce que la plupart des gens vivent en une vie, alors une fois que leur fils eût quitté la maison, ils décidèrent de s’installer définitivement dans la petite villa reçue à leur mariage.

Il avait pour tradition d’offrir une journée exceptionnelle à sa femme le jour de leur anniversaire de mariage, des repas spéciaux, des nuits dans des endroits exceptionnels ou encore des voyages avaient ponctué cette date.

Mais c’est de leur dernier anniversaire ensemble qu’il se souvenait le mieux, qui l’avait le plus marqué.  Le soixantième. Il avait organisé pour ce soir-là un repas dans le restaurant préféré de sa femme. Mais elle lui fit une surprise plus belle encore. Elle lui donna rendez-vous devant le lieu de leur rencontre, cette grande salle de bal qui en était restée une, lui demandant de se vêtir de son plus beau costume. Une fois arrivé, il fut accueilli par son fils qui l’amena à l’intérieur. Toute leur famille et leurs amis étaient là, discutant tranquillement un petit verre à la main.

Et, alors qu’il se demandait ce que tout cela signifiait, la musique s’arrêta. Les gens s’écartèrent, dévoilant sa femme qui se tenait là, le regardant avec le même sourire que soixante ans plus tôt.

Il s’était alors approché, l’avait enlacée, et les première notes de New York New York avaient résonné dans la salle.

Cette danse avait été magnifique, un dernier moment en valant plus que cent autres. Elle était partie dix jours plus tard, après qu’ils aient pu se dire au revoir. Elle lui avait promis qu’elle l’attendrait, lui qu’il la rejoindrait bientôt, là-haut.

Le silence s’est fait sur le cimetière. Le jeune homme, ému, ne trouve rien à ajouter. Une larme coule sur son visage. Le vieux lui dit alors qu’il n’y a pas à pleurer, au contraire, il y a seulement à se souvenir avec bonheur de ce qui fut une relation exceptionnelle.

À se souvenir de celle qui fut toujours là, dans les bons comme dans les mauvais moments et qui les regardait probablement tendrement, de là-haut.

Le jeune se lève alors et va déposer des fleurs sur la tombe de la femme de ce vieux monsieur si attachant.

‘’- Il commence à faire froid, venez, je vous invite à manger, vous entendre me redonne confiance en la beauté des gens qui vivent dans ce monde.’’

Le vieux se lève, dit au revoir du bout des lèvres à sa femme, et les deux hommes remontent l’allée, le ciel crépusculaire s’étant joliment coloré au-dessus d’eux, annonçant une nuit découverte et étoilée.

L’une d’elle brille d’ailleurs déjà, se reflétant sur les yeux du vieil homme à la canne.

Cette nuit, elle brillera encore de mille feux.

 

Jack Sira

 

6 commentaires
1)
Daniel
, le 15.04.2014 à 07:16

Merci pour cette bouffée de bonheur matinale
Daniel

2)
barijaona
, le 15.04.2014 à 12:02

Magnifique. Difficile à mettre en valeur dans notre époque pressée, mais magnifique.

3)
youwillneverwalkalone
, le 15.04.2014 à 13:41

Plein de tendresse et d’humanité. Vive Jack

4)
JeMaMuse
, le 15.04.2014 à 22:24

Faut-il dire que l’on n’aime pas… ou ne rien dire ?
Pour être sincère, j’ai l’impression d’être sur FB….

5)
Jack Sira
, le 16.04.2014 à 00:34

Le but est justement d’avoir des critiques, qu’elles soient positives ou négatives. Tant qu’elles restent plus ou moins constructives!

6)
Tom25
, le 17.04.2014 à 13:09

J’ai bien aimé. Merci.