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Le droit à l’information sur la toile

Il m’arrive souvent de travailler pour les syndicats. Et bien sûr dans l’urgence quand on connaît les délais dans mon métier de graphiste. En général, c’est plutôt dans le domaine des imprimés, mais aussi – et de plus en plus souvent – le web design. J’ai donc dû réaliser un site il y a deux semaines sur commande d’un comité référendaire contre l’ouverture prolongée des commerces dans le canton de Neuchâtel. Deux jours pour le faire, avec quelques données au départ qui me compliquaient considérablement la tâche… Enfin, à condition de bien s’organiser, c’était faisable.

Comme le site était statique, et le graphisme déjà établi, pas question de le réaliser en WordPress. Trop long. Une version simple en html suffisait.

J’ai donc contacté mon fournisseur d’accès habituel : ip Worldcom à Préverenges. Rien à voir avec Worldcom USA qui a fait faillite il y a 10 ans, entraînant l’éclatement de la bulle Internet !

Comme il n’était pas possible de prendre un abonnement pour une courte période correspondant à la votation, j’ai demandé un abonnement d’un an, non renouvelable, pour une somme très modique, je le précise. J’ai donc rempli le formulaire en ligne, avec toutes les informations habituelles. Et j’ai transféré le nom de domaine (un .com qui était déposé au Canada).

Puis j’ai téléphoné à Worldcom pour demander l’ouverture du dossier, en leur précisant que c’était urgent… Ils m’ont répondu «OK, pas de problème».

Le lendemain matin, je prend des nouvelles : «ça sera fait en fin d’après-midi», me disent-ils… Vers 16 heures, je vois que le DNS à été transféré sur leur serveur, je ne m’inquiète pas. Et quelques minutes plus tard, une dame me téléphone, l’air très embarrassée : «Monsieur, on a un problème !»

Ah bon, quel problème ? Et bien ils refusent de mettre en ligne mon site. Pourquoi ? «C’est un site syndicaliste, donc de la politique, c’est contraire à notre charte !»

Dans ces cas-là, soit on hurle, soit on s’évanouit, ou alors on garde son sang-froid en se disant qu’il va très vite falloir trouver une solution. C’est cette dernière option que j’ai choisie, en informant mon client, et en faisant le tour des providers les plus performants.

Le choix s’est très vite fixé sur Infomaniak, une entreprise qui héberge des milliers de sites. Je leur téléphone ; un délai de quelques heures est demandé pour l’ouverture du dossier. Mais là, ils ont réagi au quart de tour : à 18 heures, j’ai pu télécharger le site chez eux ! Ouf, délai respecté, qu’ils en soient chaleureusement remerciés !

Ils m’ont simplement demandé de lire les conditions générales, et j’ai bien noté qu’ils garantissent la liberté d’information, sauf dans quelques cas. Je cite :

Infomaniak Network SA se réserve le droit de refuser et/ou résilier l'hébergement de pages estimées contraire à la moralité ou à la ligne de conduite recherchée par ce dernier, cela sans justification. D'autre part, si les pages hébergées devaient contenir des indications, propos ou n'importe quel élément contraire à la loi suisse actuelle ou future, ainsi qu'à celle des pays membres de l'OCDE, le Client, dont le nom figure ci-dessous, en est seul et unique responsable devant les tribunaux. Par sa signature, il s'engage à rembourser Infomaniak Network SA de tous les débours ou autres, sans exclusions, si par la faute des pages hébergées auprès de Infomaniak Network SA, Infomaniak Network SA devait être reconnu complice des actes illégaux du Client. En effet, le Client dispose d'une totale liberté quant à son espace web, dans la mesure où il est conforme aux lois et règlements de la Suisse et des pays membres de l'OCDE. Il est notamment exclu de publier toute forme ou contenu associé directement ou indirectement :

• à la pornographie

• à l'érotisme sous toutes ses formes

• à la pédophilie

• à des programmes piratés

• à un caractère raciste

• aux formats MP3 et dérivés soumis à un copyright

• aux jeux de hasard en ligne (casinos électroniques, etc.)

• aux logiciels peer to peer (e2dk, torrent, etc.)

• à des activités illégales

Une fois ce travail terminé, j’ai bien sûr cherché sur le site Worldcom.ch la trace d’une quelconque charte éthique, me disant que je m’étais mal informé. Que dalle ! Je n’ai rien trouvé du tout…

Je précise également que non-ouvertures-prolongees.com n’est pas un blog mais un site purement statique: aucun risque de dérive dans les propos des internautes…

Alors voilà, je ne condamne personne, je pose simplement la question : un fournisseur d’accès n’est il pas astreint à une stricte neutralité, comme un fournisseur d’électricité, qui ne va pas vous la couper parce que votre radio dérange les voisins? Ou une autoroute privée, qui ne va pas sélectionner les marques de voitures autorisées à la traverser?

Ou alors est-ce un média comme les autres, avec un choix éditorial, un droit à la censure, etc… ?

Je ne connais pas grand chose en droit, mais il me semble que les législations ont l’air très différentes d’un pays à l’autre. Ce qui semble invraisemblable face à l’universalité du Web ! Est-ce qu’un fournisseur d’accès peut invoquer des problèmes d’image, de réputation, ou d’exigences particulières de gros clients, dans la mesure où personne ne sait qui héberge tel ou tel site ?

Peut-être que certains lecteurs de Cuk ont été confrontés à ce genre de problème ? Et peut-être y a t-il des réponses juridiques à ce genre de désagréments ?

12 commentaires
1)
François Charlet
, le 29.10.2013 à 00:50

Le problème n’est pas Internet ou les lois y relatives, juste la liberté contractuelle (en Suisse, article 1 du Code des obligations).

Un hébergeur a le droit de poser ses conditions, même cela limite la liberté d’expression des utilisateurs. Tant qu’ils en ont été avertis avant de conclure le contrat. Si on n’est pas content, on va voir ailleurs, c’est simple. Ce qui est un brin douteux, c’est le fait de refuser un site “syndicaliste” sans autre motif, en particulier si le site est statique, a un but informatif, et aussi si les conditions d’utilisation de l’hébergeur ne précisent rien à ce sujet. Cependant, c’est à la discrétion de l’hébergeur. De la même manière qu’on peut accepter ou refuser qui entre chez soi à la maison, un hébergeur peut faire de même. Il s’expose essentiellement à de la mauvaise publicité.

Là où il est possible de contester quelque chose, c’est si l’hébergeur résilie le contrat unilatéralement et avant le terme fixé en invoquant une clause contractuelle dont la condition ne serait pas remplie. Mais avant la conclusion du contrat, la liberté contractuelle s’applique et un hébergeur a le droit de refuser d’héberger des sites qu’il estime poser problème pour son image, ses clients, son personnel, etc.

Quant au fournisseur d’accès, c’est un peu différent car il est soumis à d’autres obligations découlant de lois fédérales comme la LTC (loi sur les télécommunications).

2)
cerock
, le 29.10.2013 à 08:30

A mon avis dans un cas comme le tiens,, le seul risque qu’ils ont prit c’est de ce faire de la mauvaise publicité. D’autant plus que le nom de l’hébergeur n’est pas publié en grand sur le site.

Mais après chacun est libre de refusé quelque chose qui serait contre sa morale. Exemple si je réalise des site et qu’un parti de droite dur ou d’extreme droite me demande de réaliser une page, je vais refuser.

3)
ToTheEnd
, le 29.10.2013 à 09:11

FC a bien résumé l’affaire. Les conditions générales d’une entreprise sont là pour définir un cadre et ce n’est pas parce que personne les lit qu’elles ne sont pas valables.

Après, dans cet exemple, c’est parce que tu en as parlé de vive voix que les mecs ont tiqué car d’après moi, tu aurais mis en ligne ton site tout seul de ton côté et personne ne se serait rendu compte de rien. Il y a certainement des dizaines de sites qui sont mis en ligne tous les jours et les mecs réagissent sur dénonciation ou plainte.

4)
Tristan Boy de la Tour
, le 29.10.2013 à 09:26

J’ai de la peine à comprendre la logique de l’hébergeur… OK, c’est la liberté contractuelle qui s’applique, mais en quoi le contenu d’un site – s’il respecte la loi – peut le gêner? Personne n’est censé savoir où il est hébergé, si l’hébergeur ne le souhaite pas. Et si c’est le droit privé qui prime, rien ne l’empêche de sous-traiter l’hébergement à une autre entreprise, non?

Ou alors, est-ce que ce sont des très gros clients qui font la loi en menaçant de se retirer si l’hébergeur accueille un site qui ne leur plaît pas?

5)
Tristan Boy de la Tour
, le 29.10.2013 à 09:31

@TTE

Je n’ai absolument pas parlé du contenu du site, c’est simplement le nom de domaine qui les a fait réagir…

6)
ToTheEnd
, le 29.10.2013 à 09:56

Oui mais le nom de domaine était bien assez explicite.

Il y a des dizaines de raisons qui font que l’hébergeur fait ce qu’il veut mais d’une manière générale, toutes les sociétés privées rechignent à être impliquées de près ou de loin avec l’actualité politique.

Ca ne veut pas dire qu’elles s’en moquent mais les enjeux peuvent avoir une mauvaise influence sur les activités de l’entreprise… que ce soit en terme d’image ou de parti pris.

7)
Le Corbeau
, le 29.10.2013 à 11:02

Alors voilà, je ne condamne personne, je pose simplement la question : un fournisseur d’accès n’est il pas astreint à une stricte neutralité, comme un fournisseur d’électricité,

Attention :
tu fait l’amalgame entre fournisseur d’accès (neutre) et hébergeur qui est responsable du contenu à postériori (il doit enlever tout contenu illégal signalé). Ce sont deux fonctions différentes et ce n’est pas parce que les fournisseurs d’accès ajoutent du stockage à leurs offres, qu’ils sont obligés de tout accepter dans leurs datas center. Cela leur évite d’éventuels problèmes comme Twitter, en a connu récemment en France.

Ta question serait valable, si en sa qualité de fournisseur d’accès, cette entreprise t’interdisait d’accéder à un site parce que c’est un site syndicaliste.

Après, comme le dit FC, éliminer par avance les problèmes qui pourraient découler de l’orientation d’un site, sans réelle motivation, est peu commerçant mais pas illégal.

8)
François Cuneo
, le 29.10.2013 à 18:04

C’est vrai que d’un côté, si j’apprenais que mon fournisseur était le même que celui d’un parti qui me dérange grandement (suivez mon regard), je serais peut-être assez enclin à partir.

Alors peut-être que d’autres pourraient être gênés qu’un site syndicaliste soit chez le même hébergeur qu’eux et partir.

Et peut-être que l’hébergeur veut justement éviter ça.

Mais bon, c’est dans tous les domaines pareils alors… Tu n’héberges pas le Lausanne Sport parce que tu perds les servettiens etc…

Bref, c’est compliqué, et je trouve cela dit dommage qu’ils aient refusé chez Worldcom de vous prendre…

9)
Tom25
, le 30.10.2013 à 14:36

C’est vrai que d’un côté, si j’apprenais que mon fournisseur était le même que celui d’un parti qui me dérange grandement (suivez mon regard), je serais peut-être assez enclin à partir.

Mais tu es sûr que les gens que je vois en suivant ton regard n’utilisent ni Mac, ni iPhone, ni ITrucs divers et variés ?

10)
Le Corbeau
, le 31.10.2013 à 11:05

C’est vrai que d’un côté, si j’apprenais que mon fournisseur était le même que celui d’un parti qui me dérange grandement (suivez mon regard), je serais peut-être assez enclin à partir.

Et tu trouves des magasins non fréquentés par les membres d’un parti qui te déranges grandement?

Je sens que tu vas mourir de faim toi ;-)

HS
j’ai l’impression que la notification ne fonctionne plus

11)
Jean Claude
, le 01.11.2013 à 10:33

Simplement pour un petit mot sur infomaniak (sans pub).

Cela fait presque dix ans que je travaille avec eux, ils ont toujours été d’une rapidité exemplaire. Sur le plan technique, au moindre problème je suis toujours tombé au téléphone sur un technicien expérimenté. Dans les cas importants, c’est même leur “big boss” à eux qui prend la ligne.

Seul problème, étant en Suisse, moi en France, pas de TVA récupérable… mais au vu du service rendu ce n’est pas bien grave.

PS : jamais un mot sur le contenu des presque 10 sites que j’héberge chez eux.

12)
maxim
, le 02.11.2013 à 10:52

Droit à l’information ou droit de se faire entendre?

C’est pas vraiment pareil (le titre est trompeur)

Vu le nombe d’hébergeurs sur la planète, il y en aura bien un qui acceptera toujours…

Mais est-ce bien là la question, ou le problème est pris à l’envers?

Car le “droit à l’information” c’est autre chose.

Ce serait par exemple, le droit à une information:

– objective neutre et impartiale;

– dont l’un des devoirs du diffuseur serait d’éditer une charte dans laquelle il s’engagerait à ne livrer au public qu’une information complète, rigoureuse, honnête et morale et conforme aux faits et aux événements constatés et vérifiés;

– financée par autre chose que des deniers issus des sphères d’influence;

– sans diktat, ni politique, ni étatique, ni militaire, religieux ou que sais-je;

– sans arrière pensée commerciale, économique ou financière;

– établie par des journalistes au-dessus de tout soupçon;

– établie dans le respect de régles éthiques et déontologiques;

– traitant les débats contradictoires avec un souci d’équitté permanent entre opinions divergeantes…;

– dont le vecteur (media) veillerait à ne pas se faire instrumentaliser par des techniques de “manipulation des foules” (commes celles utilisés par des organes de pouvoir, pour véhiculer de fausses informations, de la propagande, où cherchant à rallier des populations à une quelconque idéologie);

– hors tout autre conflit d’intérêt potentiel, présent ou futur;

– respectueuse des minorités autant que des corps constitués jusqu’aux individus isolés, sans aucune distinction entre genres, races, religions, appartenances, opinions, choix individuels quels qu’ils soient etc (pour autant que tous soient respectueux du droit);

… et la liste est bien plus longue encore. Juste un exemple ici:

Responsabilité et exigeances à l’égard du respect du droit à l’information…>

Et ces exigences peuvent évidemment évoluer avec le temps!

Alors pour un hébergeur (je ne veux pas ni les défendre ni les pointer du doigt) ça ne doit pas être simple pour adopter une règle d’usage à cet égard, ça doit être quelque chose qui doit complètement les dépasser! La diffusion d’information n’est pas leur métier.

Par contre ça pose la vraie question de savoir si avec les mille milliards de pages que compte le web, le droit à l’information est respecté eu égard aux principes qui devraient en régir son fondement… Et surtout, si ce droit pèse encore assez lourd face à la pléthore de ceux qui n’en ont cure!?

Car au fond, je ne crois pas qu’il faille compter sur les hébergeurs pour nous garantir ce droit!

Donc, bon article et bonne question! Même si la réponse devrait aller de soi(?) au moins autant sur le fond que sur la forme! ;-)