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Gruyères, lac, ville et château

Moi, qui tout en n’étant pas d’origine suisse, ai eu une éducation helvétique, jusqu’à samedi dernier je savais (dans cet ordre)

a) qu’il y avait le fromage de Gruyère

b) qu’il y avait une région appelée la Gruyère (sans s)

c) qu’il y avait un lac de Gruyère (très beau, c’était unanime, il était artificiel, conséquence d’un barrage, et il datait de 1948 – je ne l’avais jamais vu)

d) qu’il y avait un château de Gruyères (avec s). 

Le château était la seule chose à propos de laquelle j’étais vaguement informée, car j’ai toujours aimé les leçons d’histoire, et l’histoire des comtes de Gruyère m’avait toujours intéressée. Mais entendons-nous bien, j’étais informée dans l’abstrait, je ne l’avais jamais vu.

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Je me suis souvenu jusqu’à samedi dernier du fait que le dernier comte, Michel de Gruyère, avait tant de dettes (on était aux alentours de 1550) que ses domaines ont été vendus à, ou plutôt confisqués par, les villes de Fribourg et Berne, ses principaux créanciers, qui par ailleurs convoitaient la région depuis longtemps; je me souvenais aussi qu’il avait commencé par fuir à Oron, pour aboutir en Bourgogne.

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Le chemin de ronde du château

Ce pauvre comte était tellement persuadé que ses domaines lui appartenaient de façon inaliénable que vingt ans plus tard il les léguait par testament à ses plus proches parents alors qu’ils n’étaient plus à lui. Ce sont des détails qui s’accrochent à une mémoire d’enfant, ils sont concrets, ou disons qu’ils l’étaient pour moi. On trouve un livre intéressant et gratuit sur internet, il date d'un siècle et se lit comme un roman d'aventures. Le comte Michel occupe les pages 345 à 532.

Bref, j’avais une très vague notion de ce qui correspondait au mot «Gruyère(s)» jusqu’à samedi dernier.

Car samedi dernier, je suis allée à Gruyères. Et c’est là que j’ai découvert qu’aux pieds du château de Gruyères, il y a la ville de Gruyères (avec s). Moi, je la qualifierais plutôt de bourgade, mais ils tiennent au qualificatif de ville.

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Samedi dernier, il y avait à Gruyères (ville) la «Fête du livre et du papier», et mon éditeur, Bernard Campiche, y était l’invité d’honneur. Nous, un certain nombre de ses auteurs, l’avons entouré, avons fait des lectures, signé des livres, mangé, bu, et entendu chanter Spencer Chaplin (il n'y aura pas de photo, je n'étais pas là), Stéphane Block, Michel Buhler, et un groupe d’armaillis à la voix de velours. C’était formidable.

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Vous étiez accueilli en entrant par un grand panneau annonçant la présence de l'invité d'honneur, de ses auteurs, et de ses livres.

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Présence attestée lorsque l'éditeur s'attablait avec ses auteurs.

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Stephane Blok, auteur Campiche, poète, musicien, chanteur

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Michel Buhler, auteur Campiche, romancier, poète, musicien, chanteur

J’ai donc découvert un endroit assez étonnant – dont les autorités ont assuré qu’il est connu et qu’on y vient du monde entier, et j’avais presque honte de n’en avoir jamais rien su. 

Pour ce qui est des gens qui viennent du monde entier, je ne peux dire qu’une chose: c’est vrai. J’ai passé à peine 24 heures sur place, et j’ai vu déferler de pullman touristique en pullman touristique des anglophones (plutôt américains), des Russes, des Japonais, sans compter les touristes venus par paires, ou même tout seuls.

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Sortez vos appareils de photo, trois petits tours et puis s'en vont. Gruyères, cela semble évident, fait partie de pas mal d'itinéraires touristiques de la Suisse.

Il faut dire qu’il y des choses à voir, à Gruyères: le paysage environnant, le Moléson «montagne sacrée» de la région, l’architecture et la topographie du lieu (vous comprenez vraiment comment fonctionnait une ville fortifiée, et vous comprenez la peur que pouvaient avoir les habitants de tels cocons d’être bannis, à une époque où, alentour, il n’y avait rien sinon une nature pas nécessairement hospitalière), et trois musées: le Musée tibétain (fermé lorsque j’aurais eu la possibilité d’y aller), le Musée Hans-Ruedi Giger (où je n’avais aucune intention d’aller, il vous faut trouver quelqu’un d’autre pour vous parler des obsessions tristement répétitives de Giger – je sais qu’il a d’innombrables fans, mais le macabre, l’occulte, ce n’est pas ma tasse de thé); et enfin il y a le château, que j’ai visité dimanche matin grâce au fait qu’il ouvrait à 9 heures, ce qui me donnait deux heures pour le voir (j'étais prise à 11). Assez impressionnant: on lit dans les romans, dans les livres d’histoire, ce qu’était la vie de l’époque, mais ici, on voit les espaces dans lesquels elle se déroulait. Et puis, c’est vraiment un très beau lieu.

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En plus de tout cela, le week-end dernier il y avait des amateurs de livres, car toute la rue principale de Gruyères était occupée par des libraires, des bouquinistes et quelques auteurs de la région vendant eux-même leurs livres.

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Arriver à Gruyères par les transports publics, c’est difficile, et on pourrait penser ainsi que c’est un coin perdu. On aurait tort. Car les nuées de touristes qui déferlent là ne sont pas les premiers étrangers qui ont aimé les lieux.

Lorsqu’on visite le château, on se rend compte d’une part que même une fois que le comte Michel de Gruyères l’a abandonné à Berne et Fribourg, le château a continué à être habité, et par des gens qui ont su l’entretenir, et d’autre part que ces habitants invitaient des amis venus (si l’on considère l’époque) de loin. Par exemple, on vous montre, dans le château, le piano à queue sur lequel a joué, Franz Liszt, qui a séjourné ici. Ailleurs, le mur est orné de panneaux de bois peint dont les paysages en médaillon sont l’œuvre de Camille Corot. Et on voit à cent petits détails que même avant d’être un musée, le château était vivant – peut-être plus vivant, même, que depuis qu’il est musée.

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Les cuisines permettent de bien comprendre comment se préparaient les repas. Au dos de cette impressionnante cheminée, il y en a une autre, dans laquelle on pouvait rôtir un boeuf entier.

Et le fromage de Gruyère? me direz-vous.

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Oh, il est présent, trône au milieu de la rue principale, aux étals des laitiers et au menu des restaurants. De même, on sent la présence des vaches dans les coins les plus inattendus, elles ne sont pas proches physiquement, car à cette saison, elles sont sur l'alpe.

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Post-scriptum

Lorsque je repense à ma chronique du mois dernier, et aux discussions qu’elle a suscitées (pas seulement dans cuk), je trouve que cette ville de Gruyères, dont le mois dernier j’ignorais l’existence, est une parfaite illustration de la préservation d’une cité historique et de son passé tout en ne restant pas coincée dans ce passé. Chaque lieu a ses spécificité, les solutions sont multiples, mais Gruyères illustre bien le principe “préserver le passé sans s'y enfoncer”, en d'autres termes garder le meilleur de deux mondes, ou plutôt de deux époques.  Lorsqu’on entre dans les maisons, on constate qu’elles sont dans l’actualité tant de l’architecture que des équipements. On a rénové, mais avec doigté.

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Voici  la rue principale de Gruyères, dans l'entre-deux-guerres sans doute, dans une carte postale revue et corrigée par Plonk et Replonk (exposés au château).

On a interdit la ville aux voitures: d’autres routes ont remplacé la carrossable qui coupait Gruyères en deux et semait un certain chaos. On a repavé à l’ancienne. Certes, on a misé sur le tourisme pour remplacer une intense activité agricole qui, comme dans le reste de l’Europe, a diminué fortement; on pourrait me dire qu’on a fait de Gruyères une ville-musée, mais tel n’est pas le cas: on a fait du château un musée, mais dans la ville, où il y a quelques magasins de souvenirs et un ou deux bistrots de plus, il y a aussi une vie toute gruyérienne, dans laquelle on voit circuler les armaillis autant que les gens du lieu et les touristes.

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Bref, j’ai été très contente de combler une lacune, et je ne peux que vous inviter à aller voir vous-mêmes. N’oubliez pas, pendant que vous y êtes, de manger les framboises à la double-crème, une des spécialités du lieu.

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18 commentaires
1)
swissnick
, le 09.07.2013 à 05:52

De mon côté je conseillerais tout de même de visiter le Musée Hans-Ruedi Giger car il est tout de même le père d’Alien et son univers, bien qu’un peu sombre, reste assez fantastique. Je ne suggèrerais également d’aller boire une bière dans le bar Giger qui est juste en face du musée. Le mobilier en vaut la peine.

2)
TroncheDeSnake
, le 09.07.2013 à 06:13

Mes deux parents étaient de Fribourg. Gruyères, la Gruyère et le Gruyère font donc partie de mes racines. Même si je sais que les ressortissants de ce district sont Gruyériens avant d’être Fribourgeois, comme d’autres sont Carougeois avant d’être Genevois.

J’ai plus de souvenirs des meringues à la (double-)crème que du château! Mais après une visite de celui-ci en famille, j’ai demandé à mes parents:

– Qui c’est qui habite ici?

Ils m’ont expliqué que, depuis longtemps, plus personne n’y habitait et que c’était grâce à cela qu’on pouvait le visiter. Alors, une lueur d’espoir dans le regard, j’ai demandé:

– Alors pourquoi on vient pas y habiter, nous!?

En y repensant, je me dis que, à ma façon, j’exprimais indirectement par là que le lieu m’avait plu. Mais la réponse de ma mère exprima tout autre chose:

– On voit bien que c’est pas toi qui fait le ménage!

3)
Anne Cuneo
, le 09.07.2013 à 08:04

@ swissnick Je suis consciente d’être totalement subjective. Entre le fait que cette forme artistique ne me touche pas vraiment (et pourtant j’ai essayé), et mon souvenir des rencontres de Giger lui-même (je le voyais parce que nous fréquentions, lorsque l’un et l’autre nous étions à Zurich en même temps, les mêmes bistrots) invariablement entre sinistre et dépressif n’aide pas. J’avoue ne pas avoir vu Alien. Si vous avez visité le musée, vous pourriez en parler? Je suis sûre qu’il mérite d’être décrit par quelqu’un que cette tendance artistique émeut.

@ TroncheDeSnake Je suis de tout coeur avec ta maman, car j’ai eu les deux réflexes. Dans certaines salles, je me suis dit: habiter ici, ce serait bien. A quoi une petite voix intérieure répliquait aussitôt: tu te rends compte la note de chauffage?

4)
dadschib
, le 09.07.2013 à 08:08

Ah Gruyères…

Tellement d’excellents souvenirs.

Genevois, je vais m’y ressourcer 1 semaine par année. Et je ne m’en lasse pas. Cette région est tellement magnifique, historique.

Merci Anne pour ces bons moments ;-)

5)
Antoche
, le 09.07.2013 à 08:12

J’y vais relativement souvent et y ai même vu une grue, hier !

6)
soizic
, le 09.07.2013 à 08:40

Article passionnant, merci Anne. J’ai découvert l armailli et ses associés (voir Wikipedia, ça vaut la peine).

7)
ysengrain
, le 09.07.2013 à 10:04

Ou comment Anne vient de nous informer qu’à Gruyères elle a comblé ses trous (de savoir)

8)
Modane
, le 09.07.2013 à 10:17

Mais que fait cet énorme démonte-pneu au milieu de la rue?

9)
Migui
, le 09.07.2013 à 12:56

Pour moi, il ne manque plus que le train et une jolie petite gare pour en faire un village parfait!

Merci, Anne, pour ce partage estival!

10)
fxc
, le 09.07.2013 à 13:12

les framboises à la double-crème,

J’ai plus de souvenirs des meringues à la (double-)crème que du château!

NON,NON, NON,NON, NON,NON, NON,NON, NON,NON, NON,NON, NON,NON, NON,NON, NON,NON, NON,NON, NON,NON, NON,NON, NON,NON, NON,NON, NON,NON.

Anne me met l’eau à la bouche avec la double crème et la tronche en ajoute une couche, c’est trop pour un seul billet, c’est mon dessert favori depuis que je suis tout petit et que les meringues ainsi présentées dans les hotels et restaurants en suisse allémaniques étaient plus grosses que moi. Manquerait plus qu’is me parlent d’une viande des grisons, accompagnés de sbrinz(pas sur de l’orthographe) bien coupés au rabot de menuisier inversé ( c’est le rabot qui est à l’envers pas le menuisier).

J’irais bien courir bardés d’ibidules si au bout mmmmmmm il y a ces mets savoureux, mais manque de bol, pas de double-crème, pas de viandes des grisons ou au prix de l’or sans parler du sbrinz, inexistant chez moi…

Puis-je humblement demander au patron d’ici de bannir tous ces mots de cuk.ch

PS. entendu ce midi à la radio une question posée à une institutrice

comment s’écrit le mot ecchymose

Réponse:” EQUI………..

Elle n’aurait mis qu’un c mais là!!!

11)
Anne Cuneo
, le 09.07.2013 à 14:16

Pour moi, il ne manque plus que le train et une jolie petite gare pour en faire un village parfait!

Elle s’arrêterait aux pieds du château, on monterait dans le château avec un ascenseur (alors que maintenant il faut tout se taper à pied), il y aurait des trottinettes pour parcourir les salles, et une fois qu’on en sortirait, une crémaillère pour descendre jusqu’à la jolie petite gare. Devant la gare, il y aurait MacGruyère, qui t’offrirait des mering…oups! pardon fxc! enfin bref, qui t’offrirait des douceurs (ça va, comme ça?) et juste avant de regrimper dans le train, tu pourrais encore acheter un porte-clé en forme de meule de fromage, de museau de vache ou de tour de château. Oui, Gruyères ainsi revu et corrigé serait charmant.

PS. En fait il y a une gare, elle est aux pieds de la colline, à une certaine distance, on y trouve également quelques bâtiments abritant les activités commerciales du lieu.

12)
cerock
, le 09.07.2013 à 16:10

Merci Anne pour cette découverte. fxc, c’est quoi un sbrinz ? Du fromage a pate très dure coupé finement au rabot ? Si oui il s’agit de rebibes. Si tu passes un jour en Valais, je t’en fait pour l’apéro ;)

13)
fxc
, le 09.07.2013 à 17:41

Merci Anne pour cette découverte. fxc, c’est quoi un sbrinz ? Du fromage a pate très dure coupé finement au rabot ? Si oui il s’agit de rebibes. Si tu passes un jour en Valais, je t’en fait pour l’apéro ;)

Ce doit être le même mais coté allemand, suisses germanophones appelés aussi par certains les barbares.

Si maintenant un étranger doit expliquer le sbrinz

aux suisses, oucetiquonva, je vous le demande….

14)
TroncheDeSnake
, le 09.07.2013 à 17:59

Anne me met l’eau à la bouche avec la double crème et la tronche en ajoute une couche

Rassure-toi, la nature te venge: Je mesure 165cm et accuse 91kg; ça n’est que faute de temps si je n’ai pas participé au débat initié par François vendredi… pourtant j’aurais à dire!

15)
François Cuneo
, le 09.07.2013 à 18:01

Ah la la!

Toutes les courses d’école que j’ai amenées là-bas!

Quel beau coin, et quelles belles promenades on peut faire dans cette région!

16)
fxc
, le 09.07.2013 à 19:50

Anne excuse moi de polluer ton voyage en gruyère, j’ai trouvé cela sur le net par hasard et cela m’a fait hurler de rire.

c’est ici

17)
Anne Cuneo
, le 09.07.2013 à 20:47

@ fxc s’excuser de polluer, puis polluer tout de même – autant pas s’excuser. Ceci dit, ce n’est qu’à peine pollué. On pourrait utiliser ça, par exemple devant la chapelle du moyen âge de Gruyères, ou en projection sur la façade, pour faire de la pub pour la jolie petite gare dont rêve Migui.

@ cerock comment, “c’est quoi un sbrinz”? Du sbrinz, c’est du sbrinz, comme du gruyère est du gruyère. Que veux-tu qu’on te dise d’autre?

18)
cerock
, le 10.07.2013 à 08:33

Bon je m’excuse… ;) après renseignement pris, le sbrinz est le nom d’un fromage… utilisé pour faire des rebibes. Je gouterais lors de mon prochain passage en suisse allemande