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J’ai baissé la tête, à tout le moins le regard…
... il faut dire que j'étais en réalité assez peu désolée d'être arrivée en retard à ce cours mais ma scolarité, largement entamée, m'avait fait comprendre très vite qu'un prof déteste deux choses : les devoirs non faits et le retard aux cours.

J'ai donc jugé nécessaire de justifier mon arrivée hors horaire "gymnasial" (NDLR : les trois années avant le bac en Suisse) par des excuses, plus formelles que sincère, espérant faire ainsi oublier que mes camarades, eux, étaient assis à leur place depuis un certain temps (et un temps certain), courbés au dessus d'un extrait de roman poussiéreux, à analyser chaque ligne, à interroger chaque virgule.

Quelle ne fut donc pas ma surprise d'entendre l'enseignant me rétorquer sèchement "on ne peut pas s'excuser soi-même, Mademoiselle, on peut au mieux présenter des excuses, allez à votre place !"

Je ne sais plus exactement ce que j'ai pensé en me dirigeant vers mon siège mais cela devait être un truc du genre "vieux chnoque", voire un "pau've con !" (on est gracieux, à 16 ans !).

Par la suite, j'ai compris qu'en effet, lorsqu'on regrette un acte, il est possible d'exprimer ses regrets, de préférence véritablement ressentis, non pas de s'absoudre soi-même face à celui qui a été blessé.

En effet, les occasions, dans une vie, de présenter des excuses sont nombreuses : "c'est vrai, Maman, tu m'avais dit de rentrer à minuit, je n'aurais pas dû rentrer avec une heure de retard, je te présente mes excuses pour le souci que je t'ai causé", "je regrette d'avoir oublié que tes parents venaient ce soir, je suis navrée"...

Et d'espérer que l'autre, celui qui a été touché par l'acte (ou l'abstention) ne soit pas rancunier, que l'acte n'entachera pas la relation.

En outre, une gradation dans les "excuses" semble exister, illustrée notamment par le "notre père", qui contient une chose importante, qu'on soit chrétien ou musulman, le bien connu "pardonne-nous nos offenses".

La tournure peut sembler désuète, il n'empêche que parfois, dans la vie, on peut ressentir le besoin, spontané ou mûrement réfléchi, de demander pardon. Pour autre chose que juste le pain qu'on a oublié d'acheter, une attitude non appropriée ou encore l'usage quelque peu excessif de la carte bleue...

Reconnaître que j'ai fait fausse route, que j'ai commis un impair, regretter une remarque, corriger une erreur, ça, je sais le faire : pas forcément toujours en trouvant les bons mots, pas nécessairement immédiatement mais je suis assez lucide pour me savoir (très) imparfaite.

En revanche, je ne sais pas si je saurais pardonner : le mensonge d'un ami, certainement mais je n'en dirais pas autant au chauffard qui tuerait mon enfant. Saurais-je ne pas être étouffée par la haine à l'égard d'un individu qui tabasserait ma mère juste pour lui voler son sac à main ? Je ne le sais pas et j'espère n'être jamais confrontée à cette question !

Pourtant, bien des gens ont été capables de pardonner, pour des actes encore plus barbares que ceux que j'ai évoqués : Plume, devenue tétraplégique suite à une agression particulièrement sordide, parvient à dire que si son existence a été gâchée par cet acte, elle préfère encore sa place que celle de l'auteur. Je vois dans ces propos une rare force de caractère. Et je suis encore plus admirative lorsque je lis que Ruth Fayon, rescapée des camps, a pu pardonner : bien sûr, on parle beaucoup de "résilience" mais explique-t-elle tout à elle seule ?

Paradoxalement, je comprends aussi l'acte de Marianne Bachmeier, qui a abattu le meurtrier de sa fille en pleine audience. Je sais, un comble pour une avocate, qui considère que la loi du Talion ne résout rien et qui est farouchement opposée à l'imprescriptibilité des actes d'ordre sexuel sur "mineur". Là, toutefois, c'est évident que l'émotion n'interfère pas dans ma prise de position et que je parviens à rester parfaitement rationnelle : peut-être que mes propos seraient différents si j'avais été abusée des années durant par un beau-père maltraitant.

Sans aller aussi loin dans la sauvagerie : est-ce que la mère de cet enfant, mort d'avoir été oublié dans une voiture, a pu pardonner à celui qui était son mari ? A-t-elle pu se pardonner de ne pas avoir conduit elle-même l'enfant à la crèche ce jour-là ? Je serais presque tentée de dire que si elle a pu pardonner à l'homme, elle n'aura jamais pu se pardonner à elle-même...

Et vous, dans les épreuves que la vie vous a infligées, avez-vous su pardonner ou est-il des souvenir qui sont encore teintés de ressentiment, de rancoeur ?

18 commentaires
1)
Argos
, le 15.04.2013 à 06:48

Madame Poppins, votre article de ce matin est très riche, abordant plusieurs faces de la vie et de la mort.

Je n’en aborderai qu’une seule, celle d’une mère qui a abattu le meurtrier de sa fille. Je suis d’une manière absolue contre la peine de mort. Je trouve honteux par exemple d’avoir fait exécuter un criminel comme Saddam Hussein. Il y a quelque chose de pornographique dans la condamnation à mort et celui qui la décide et l’applique se salit bien plus que celui qui la reçoit.

Pourtant, je n’hésiterai pas une seconde à abattre comme un chien celui qui ferait du mal à l’une de mes filles. Contradiction ? Que non pas, La justice n’a pas à exercer une vengeance, elle n’a pas souffert dans sa chair ; moi oui, et je refuserais à tout autre d’exercer ma vengeance, et surtout à l’Etat, entité impersonnelle. La douleur justifie ainsi un geste que moi seul peut exercer. Je n’en sera pas moins un criminel, mais selon le principe : la jutice pardonne, moi pas.

2)
Philob
, le 15.04.2013 à 07:33

Je ne suis pas du tout croyant, bien au contraire, de plus en plus je trouve que ce sont les religions et leurs prétendus dieux qui sont responsables de la plupart des dérives de nos sociétés (sans oublier la bêtise, la cupidité, l’égoïsme des êtres humains, bien sûr) car elles créent et entretiennent le fanatisme; franchement ça me fait peur.

Je suis un homme avec tous ces défauts, c’est pour cette raison que j’ai refusé le port d’arme lors de mon recrutement, les vraies raisons : je savais pertinemment que si je devais posséder une arme, je pouvais l’utiliser pour me venger (façon Argos), alors j’ai refusé le port d’arme, avant tout pour me protéger de moi-même. Je suis, théoriquement, absolument contre la vengeance, même si je la comprends, car c’est très peu humain, c’est laisser totalement la place à notre côté animal, et cela, je ne le veux pas.

Oui, je préfère croire que l’on peut tout pardonner, pardonner ce n’est pas oublier; sans pardon, pas de paix possible, pas de fraternité et je veux croire à la fraternité humaine, je veux croire que l’homme peut être bon.

Je l’ai toujours dit, je suis résolument un naïf optimiste, donc un homme heureux.

3)
ysengrain
, le 15.04.2013 à 09:31

Je m’excuse = je demande pardon ? sans doute pas… à mes yeux. Celle/celui à qui on demande le pardon est libre de l’accorder ou non. Je m’excuse= j’ai fait une connerie et je m’en absous. Celle/celui qui reçoit ces paroles n’a plus rien à dire.

La peine de mort (hors sujet): si on a la même position si, par exemple votre enfant est coupable ou s’il est victime, vous saurez vous positionner vis-à-vis de la peine de mort. Cette peine me répugne profondément, mais la disparition de certains salopards ne me dérangerait pas plus que ça.

La question du jour: je ne pardonne pas au mononeuronal qui m’a empêché de dispenser des soins et ainsi de faire payer le prix le plus fort au plus innocent. Je ne pardonne pas au même mononeuronal d’avoir méprisé les personnels de mon service au point d’aller au delà de la loi pour simplement montrer son “autorité”.

Je comprends mieux, sans pourtant, loin de là, approuver les SS depuis que j’ai lu Les bienveillantes

Je n’accorde aucun pardon à un ancien président de la république, ratisseur de voix de l’extrême droite quand il a stigmatisé les Roms, oui, ceux à qui la république française dénie toute possibilité de vie décente, tandis que ceux qui sont français DOIVENT pouvoir présenter un passeport intérieur.

Je ne sais pas absoudre les politiques qui décident de publier leur patrimoine tandis qu’ils sont incapables de ne serait ce que jeter un oeil aux 8 millions de gens vivant au dessous du seul de pauvreté – leur patrimoine.

Etc …

4)
François Cuneo
, le 15.04.2013 à 10:12

Je comprends ce que dit Argos.

Je crois qu’il a résumé cette contradiction que j’ai et que je n’ai jamais vraiment réussi à comprendre moi-même. Merci donc à lui.

Pour les plus petites choses, comme ce qui peut arriver dans une vie…

Disons que je peux finir par pardonner (c’est mieux ainsi, ça calme, nous vivons mieux nous-mêmes après le pardon), mais je n’oublie pas.

Je dirais même que je me force à ne pas oublier.

5)
ysengrain
, le 15.04.2013 à 10:15

@ François: Tu pardonnes… mais tu gardes la liste ?

6)
PECourtejoie
, le 15.04.2013 à 10:22

Bonjour! C’est en effet un fameux cas de conscience qui nous est posé lors de la mort d’un proche par la faute d’un autre. J’ai moi même perdu ma meilleure amie à cause d’un chauffard récidiviste (40 faits vols, violence, alcool au volant à son “crédit”), sous l’emprise de l’alcool.

J’ai à la fois souhaité et redouté de croiser ce criminel (oui, pour ma part, car prendre sciemment la route en étant sous l’emprise de l’alcool, et en étant plusieurs fois déjà déchu à vie (!) du droit de conduire dépend plus du droit pénal que du droit civil, tout un chacun connaissant le risque de l’alcool au volant) car je ne sais si j’aurais pu contenir ma rage et mon dégoût face à ce multirécidiviste, que la laxiste justice Belge avait d’ailleurs laissé libre jusqu’à son jugement, le laissant d’ailleurs encore s’endormir au volant (qu’il ne pouvait prendre).

La seule chose qui m’ait tempéré, outre le temps, est le fait que je sois devenu papa depuis. J’ai peur de savoir ce que j’aurais pu faire si je n’avais rien eu à perdre, car outre ce que la justice aurait pu me reprocher, il y aurait les représailles de la famille d’associaux de ce gars, que les journaux Belges évitent de nommer, préférant un laconique “Bien connus de la Justice”.

Je me rends compte que c’est face à la douleur que nos propos deviennent bien fachisants, mais finalement, quand certains prouvent leur inhumanité, récidivent dans la criminalité, ne montrent aucun remords, est-il censé les laisser risquer encore la vie et se moquer du respect des autres?

Non, je ne crois pas que je pourrais un jour pardonner ses actes, son mépris de la vie, et ses actes délictueux maintes fois soulignés. Mon opinion de la justice a bien été érodée au passage, voyant sa mensuétude, et me demandant si cette mort n’aurait pu être évitée si des mesures plus contraignantes avaient été prises(n’est-ce pas le vrai rôle de la justice, protéger l’innocent?), et combien de vies seront encore brisées lors de la libération anticipée (oui, car en Belgique, on ne passe souvent qu’un tiers de sa peine derrière les barreaux) de ce type.

Aussi, pourriez vous expliciter votre opposition à la non prescriptibilité des crimes sexuels commis à l’encontre des mineurs?

Ma femme m’a déjà fait part d’études canadiennes qui pouveraient que les criminels sexuels soient presque systématiquement récidivistes… Mais la façon dont sont reportés certains faits ( qui sont parfois classés comme crimes sexuels, agressions, viols, etc.) cacherait ce chiffre terrifiant. (Hélas, je n’en ai pas trouvé de trace… légende urbaine?)

7)
Guillôme
, le 15.04.2013 à 10:48

Je ne sais pas absoudre les politiques qui décident de publier leur patrimoine

Cela est d’un guignolesque sans nom.

M. Fillon, qui a été premier ministre pendant 5 ans, recevait 20.000 Eur mensuel auquel s’ajoutait une prise en charge totale de ses déplacements, frais, logement principal et secondaire…

Bref, nourri, logé, blanchi et 20kEur mensuel, et il déclare, tenez-vous bien, moins de 100kEur d’épargne et une maison achetée 440kEur il y a plusieurs années.

Comment cela est-il possible? Probablement que la plupart de ses biens/comptes sont au nom de sa femme ou qu’il a fait des montages légaux pour que sa fortune n’apparaisse pas dans son patrimoine.

Bref, ces déclarations de patrimoine, du grand guignol où ça va être la course à celui qui déclare le moins!

8)
Madame Poppins
, le 15.04.2013 à 12:30

Aussi, pourriez vous expliciter votre opposition à la non prescriptibilité des crimes sexuels commis à l’encontre des mineurs?

Le plus gros risque, à mon avis, c’est de susciter de faux espoirs : la preuve de ces actes ne pourra pas être apportée, conduisant à un acquittement faute de preuves, ce qui rendra la victime… victime du système.

En effet, il est rare (mais pas impossible) que l’acte ait été filmé, qu’il y ait des témoins : ça sera donc la parole de l’un contre la parole de l’autre, sans parler du fait que d’éventuels documents (dossier de l’élève auprès de l’infirmière scolaire par exemple) auront été détruits en raison de l’écoulement du temps.

9)
Blues
, le 15.04.2013 à 14:16

A mon avis cela dépend du “taux de rancune” inclus dans la personnalité de chacun lié au “taux d’amour” que l’on peut avoir pour une personne qui vous a fait du mal.

Personnellement dans ma période jeunot & ado la vie ne m’a pas fait de cadeau. Finalement, comme je suis une bonne poire, non seulement j’ai largement pardonné (en ayant pendant longtemps coupé les ponts) et essayé de recoller et depuis j’arrive à vivre avec ces personnes. Et rare sont les gens avec qui c’est définitivement brisé. Je dois avouer qu’à une époque je me suis lancé dans quelques séances de “psy” ce qui m’a bien aidé à encaisser et surtout à avancer.

Mais bon dans mon histoire il n’y a pas de mort. Car là et selon le cas je ne sais pas comment j’aurais réagi et je ne peux me mettre à place des autres (les “affaires” dont tu parles).

Dans le genre, un ami s’est fait abusé “grave” par son beau-père durant toute son enfance et sa famille qui était au courant lui a demandé de ne rien dévoiler. Avec le recul, à 30 ans il a décidé de se battre envers et contre tous. Bien lui en a pris (je parle pour son bien-être / et finalement que ce gros porc de beau-père ait été condamné). Eh bien aujourd’hui (il a 45 ans / 15 ans ont passés) lui est sans rancune, mais sa famille ne veux plus entendre parler de lui… Va savoir.

10)
Modane
, le 15.04.2013 à 20:46

Malgré tout mon bon vouloir, je n’arrive sans doute pas à pardonner. J’arrive à dire les mots du pardon, j’arrive à passer outre, mais je n’arrive pas à oublier. Question de sensibilité, sans doute. Ce qui mérite d’être pardonné reste gravé dans l’intime, et gravé, le souvenir seul suffit à raviver la douleur et à faire disparaître le pardon. Se venger, certainement pas, mais oublier : non plus. Alors pardonner?…

11)
pat3
, le 16.04.2013 à 23:05

Argos résume excellemment mon point de vue, que je n’aurais su exprimer aussi clairement. Merci.

Dans le cas des guerres et de leurs exactions, je me demande si le pardon n’est pas la seule forme d’atténuation possible du traumatisme, la seule voie de cheminement vers son oubli (qui ne peut être qu’un horizon); en effet, à qui en vouloir en particulier? Qui détester? Un peuple? L’humanité tout entière? Soi-même, d’avoir survécu (le fameux syndrome ou culpabilité du survivant)?

Mais pour moi tout cela n’a rien à voir avec le fait de présenter des excuses. On est d’un côté dans l’ordre social, de l’autre, out of order, dans ce que la vie et la société ont de plus désordonné, de plus barbare. De fait, la loi n’y a plus prise, on est littéralement hors-la-loi.

12)
TroncheDeSnake
, le 17.04.2013 à 13:13

Je suis souvent lent à réagir. Ça fait partie des choses que j’ai du mal… à me pardonner ;-)

Car la personne à qui j’ai le plus fréquemment du mal à pardonner, c’est moi-même. Il est vrai que la vie m’a plutôt épargné; pas de violence ni d’abus à mon égard ni à celui de mes proches… Je n’ai donc pas expérimenté dans quelle mesure il m’est possible de pardonner à un chauffard, un violeur, un assassin…

C’est donc sur la pointe des pieds que je l’écris: je suis d’accord avec ceux qui pensent que pardonner à l’autre, c’est d’abord un cadeau qu’on se fait à soit-même. Car la rancœur est probablement un poison des plus destructeurs.

Mais je pense que, si l’on peut méditer et/ou réfléchir à cette question du pardon, si l’on peut intellectuellement penser que c’est une bonne chose, le pardon lui-même ne se commande pas. Ou en tout cas pas facilement. Car j’imagine volontiers que, si je me retrouvais demain en chaise roulante à cause d’un chauffard, ou si ma femme subissait un viol, ou si mon fils était assassiné, je me demande bien si toutes les belles pensées qui m’habitent me permettraient de pardonner un jour…

Donc, le pardon je suis pour; mais on en reparlera lorsqu’il me sera arrivé quelque chose de vraiment grave…

13)
zit
, le 17.04.2013 à 23:21

Étant un garçon absolument parfait, je n’ai jamais à m’excuser de quoi que ce soit ;o)

z (et je ne pardonne pas, rien, je répêêêêêêêêêêête : aucune rancune, j’oublie…)

14)
Madame Poppins
, le 18.04.2013 à 10:52

:-))) Zit, tu pourrais prendre comme signature “j’ai toujours rêvé d’être assis à côté de moi lors d’un dîner” !!!

15)
Tom25
, le 18.04.2013 à 13:36

Zit, toi qui oublis tout, tu peux me prêter de l’argent ?
:-))

16)
Anne L
, le 19.04.2013 à 05:17

Je suis un peu en retard pour laisser un commentaire à cet article très touchant, Madame Poppins, et j’en suis désolée, même si c’est mon disque dur défaillant qui devrait s’excuser à ma place de ce retard. :-)

Il est difficile de commenter votre article et les écrits qui le suivent parce que le pardon touche à l’intime ; en effet, parler de notre rapport au pardon revient un peu à parler de nous, et ce n’est pas forcément évident de coucher de tels mots sur un site public. Aussi vais-je essayer de le faire avec respect, et pour mon parcours, et pour les personnes qui liront ces lignes.

Mais avant toute chose, je voudrais vous dire que les propos de votre professeur me rappellent ceux d’une professeure de littérature médiévale que j’ai beaucoup aimée ; elle disait toujours « ne dites jamais ‘je m’excuse’, préférez ‘je vous prie de bien vouloir accepter mes excuses’. » De fait, vous avez raison de le dire, Madame Poppins, il est important de savoir s’excuser, de présenter et d’entendre des excuses, c’est une belle chose que de restaurer ainsi un lien peut-être un peu froissé.

Le pardon est un sujet sur lequel j’ai eu l’occasion de me pencher parce que la vie m’a amenée en face de lui, à son éventualité ou à son absence, à son inconvenance aussi peut-être, alors que j’étais adolescente. Une personne pourtant très responsable a voulu briser et ma jeunesse, et ma vie, et j’oserais dire qu’elle a presque réussi puisque ma santé physique et mentale a subi les graves conséquences de son acte, et ce jusqu’à ces derniers temps, même si j’ai la chance incommensurable d’être en vie et de mettre à présent ma petite expérience au service de ceux qui sont aussi brisés.

J’ai passé mon adolescence dans une institution religieuse, mais mes croyances (le pluriel est intentionnel) en une divinité humaniste et aimante m’ont rapidement tenue à l’écart de l’enseignement prodigué dans cette école ; je le respecte, mais ce dieu-là n’est pas le mien, pour l’exprimer simplement. Bref, tout ceci pour dire que le pardon semble être au cœur du fait religieux, il est même automatisé en quelque sorte, voire hiérarchisé, on doit en effet se confesser, on doit également savoir pardonner.

Mais voilà, il me semble que le pardon est tout sauf un acte systématique, il doit être libre, volontaire, réfléchi, mûri même, on ne peut pas pardonner à la légère, ou pour se conformer à une morale, ou pour faire plaisir, ou pour oublier, je ne crois pas que cela soit judicieux, le corps et le cœur n’oubliant pas les plaies que le pardon du cerveau a trop maladroitement pansées, je le crois.

Alors peut-on pardonner, et aussi, bien souvent, à qui pardonner ? Déjà à nous-mêmes, et de fait, je connais beaucoup de victimes d’actes graves qui pardonnent à tout et n’importe quoi, mais finalement jamais à elles-mêmes, la culpabilité étant un sentiment terrible, souvent entretenu par une société culpabilisante qui plus est, même si c’est à demi-mot. Pardonner à cette société, à celle qui a fermé les yeux sur une blessure ouverte, par négligence, par convenance, par commodité ou par fatigue devant la tâche à accomplir ? Là encore, c’est une réconciliation difficile qui peut toutefois se réaliser, du moins partiellement, et c’est déjà très bien ; car il n’existe pas une société en général, mais des sociétés qui cohabitent, aussi est-il fort heureusement possible de se réconcilier avec la plupart d’entre elles.

Pardonner à celui ou celle qui est la cause des maux, là est le cœur du problème, là est le chemin de vie peut-être ; je n’ai pas de réponse définitive et je ne l’aurai peut-être jamais, mais je crois qu’il faut tenter d’être apaisé avec la vie, avec ce qu’elle nous donne de bien, il faut relever la tête, je le crois, je le fais, mais je sais aussi que la colère n’est jamais loin, qu’il demeure dans le cœur des victimes un sentiment de vie coupée, une sorte de désir de revenir en arrière qui ne sera jamais comblé et qui, sûrement, n’apporterait pas grand-chose de plus, mais qui est toujours là, comme une petite voix qu’on a empêchée de chanter.

Pardonner à l’auteur de la brisure n’est peut-être pas ce qui compte finalement, parce que pardonner, est-ce pardonner à cette personne ou est-ce pardonner l’acte ? Il est nécessaire à mon sens de ne jamais pardonner un acte, pas seulement pour soi, mais également pour les autres victimes. Il est en revanche concevable de pardonner à une personne, ma philosophie de vie étant qu’il n’y a pas de monstres, même si l’on voudrait s’en persuader quand on entend des crimes abominables et faire ainsi d’un criminel un être « inhumain », non, il n’y a que des hommes et des femmes qui ont un jour franchi la barrière de la dignité et de la bienveillance humaines. Peut-on pardonner ce franchissement, je ne sais pas, peut-on le comprendre, probablement, le coupable ayant son propre vécu. Mais cette démarche ne revient pas encore à pardonner, il s’agit de comprendre, de suspendre la rage pour retrouver le souffle de la vie, ô combien nécessaire.

Pour qu’il soit possible de pardonner, je crois qu’il faut être deux ; si la personne coupable se tenait devant moi et exprimait des remords sincères, je crois que je l’entendrais, je ne sais pas si j’aurais la force de lui dire « je vous pardonne », mais je lui dirais d’essayer de vivre en paix, et je lui demanderais peut-être de me dire de même.

Je parlais un peu plus haut de la notion religieuse contenue dans le pardon et ça me fait penser à un reportage que j’ai vu voilà de nombreuses années sur un couple américain très croyant souhaitant à tout prix accorder le pardon au garçon responsable de la mort de leur fille. C’était un documentaire très fort, assurément sincère et respectable, il n’empêche qu’il m’a un peu gênée : en effet, peut-on pardonner au nom de la personne qui n’est plus là, même si on est évidemment plus que concerné par sa perte ? Je ne sais pas.

Je crois aussi que le pardon dépend de l’intention mise dans la faute, je m’explique : une agression sexuelle diffère de la mort ou de la blessure « trouvées » au cours d’un accident par exemple, et je précise de suite que je ne fais aucune hiérarchie entre les drames humains et que ces peines sont tout aussi abominables et douloureuses les unes que les autres. Mais je pense que ce n’est pas la même chose de pardonner à l’auteur d’un crime sexuel ou à une personne ayant entraîné un accident de la route parce que la violence sexuelle implique la négation même de la dignité de l’autre et que la violence routière relève de l’erreur, voire de la négligence, parfois de l’inconséquence ; encore une fois, je le redis, c’est tout aussi douloureux, mais pardonne-t-on de la même manière à une personne négligente et à une personne qui veut se satisfaire avant tout ? Là encore, je n’ai pas la réponse, parce que je pense que c’est tout aussi difficile de se dire « je vais pardonner à celui qui a brisé ma vie parce qu’il m’a coupé la route sans faire attention » que de se dire « je vais pardonner à celui qui a fait de moi un objet de son pouvoir et de son plaisir ».

Voilà, je ne sais pas si ces quelques mots vous seront très utiles, mais je l’espère sincèrement parce que cet étalage d’un petit bout de ma petite existence ne se veut pas du tout exhibitionniste ; au contraire, je l’écris dans un esprit d’aide et de partage que nous nous devons toutes et tous. Passez une très belle journée !

17)
Madame Poppins
, le 20.04.2013 à 17:15

Anne L,

Votre réponse me touche beaucoup, parce qu’elle est à la fois si authentique et si pudique.

J’aurais voulu trouver quelque chose d’un tantinet “intelligent” à vous écrire mais parfois, il vaut probablement mieux admettre que les mots manquent mais que mes pensées vous accompagnent sur ce chemin de vie, de réflexion et certainement aussi de pardon, qui est le vôtre : je suis convaincue que vous êtes d’un grand soutien pour ceux qui croisent votre route dans leurs tentatives de se relever de ce qui n’aurait jamais dû arriver…

18)
Anne L
, le 21.04.2013 à 10:04

Madame Poppins,

Je vous remercie très sincèrement pour votre beau message, la gentillesse et la finesse de votre réponse me touchent beaucoup.

Soyez également convaincue que vos articles emplis d’humanité sont d’un grand soutien pour celles et ceux qui passent sur ce site.