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A la maman de Charlie et Gabrielle…

"Etre fidèle à nos enfants disparus,
C'est traverser la douleur, marcher, avancer
Continuer de creuser son sillon, droit et profond,
Comme ils l'auraient fait eux-mêmes
Comme on l'aurait fait avec eux, pour eux.

Etre fidèle aux enfants disparus,
C'est vivre comme ils auraient vécu.

Et les faire vivre avec nous.
Et transmettre leur visage, leur voix,
Leur lumière, aux autres :
A un proche, un ami, ou à des inconnus,
Quels qu'ils soient.

Et la vie suspendue des trop tôt disparus,
Alors, germera sans fin".

(Adaptation d'un texte de "la Mort, textes non bibliques pour les funérailles", Ed. de l'Atelier)

Il y a trois ans et demi, mon amie perdait son fils âgé de six ans, dans un accident bête, stupide. Remarquez, ce qui est con, c'est la précision : on n'a jamais vu un accident intelligent.

Samedi soir, mon amie a pris la parole devant une centaine de personnes, des parents, des grands-parents, des oncles, des tantes, des frères, des soeurs, des parrains, des cousines qui avaient perdu eux aussi un être cher.

Un enfant, c'est un nouveau-né, un petit bambin qui apprend à lire, un adolescent grognant en lisant la composition des céréales du petit déjeuner, c'est un jeune adulte.

La mort, c'est la maladie qui s'invite soudainement dans un ciel bleu, c'est l'accident qui fauche tous les espoirs, c'est la lutte perdue contre une tumeur, contre une leucémie, c'est le suicide aussi.

Parce que pour moi, l'amitié n'est pas seulement les fêtes et les sorties, j'ai tenu à prendre part à cette cérémonie du souvenir, organisée par le CHU de notre région.

Parce que la salle était bondée, je me suis retrouvée sur les marches, à côté d'une femme qui, par moments, était submergée par l'émotion; son fiston, lui, n'avait cure du chagrin de sa mère : il voulait simplement que quelqu'un lui lise le livre qu'il avait emporté.

J'ai croisé le regard de cette femme, j'ai vu des larmes glisser le long de son visage : c'est à cet instant que j'ai proposé à son fiston de venir sur mes genoux, mon CV de mère et de lectrice expérimentée finissant de le convaincre.

A la fin de la cérémonie, tandis que je buvais un thé avec mon amie, qui avait été incroyablement courageuse - prendre la parole pour parler de son enfant, mort si jeune, je ne sais pas si j'aurais été capable de le faire -, j'ai vu ma voisine d'escaliers venir vers moi, tenant de la main gauche son fils, Charlie, de la main droite, sa fille Gabrielle. Elle m'a pris dans ses bras, m'a serrée contre elle et m'a dit, dans un souffle, "merci".

C'est bête, je n'avais jamais vu cette femme avant cette soirée, nous ne nous reverrons probablement jamais, nous n'avons même pas parlé ensemble, nous avons juste échangé un regard et pourtant, quelle émotion...

Alors que je la regardais zigzaguer dans la foule, dense, tenant la main de ses deux enfants, j'ai regretté qu'elle n'ait pas pu, pas eu la force, pas voulu me parler de cet enfant qui était, justement, absent ce soir-là. J'espère du fond du coeur que son souvenir, le souvenir de ses rires, de ses câlins sont encore vivants dans le coeur de nombreuses personnes : il en faut, du courage, pour rester debout après la mort de son enfant.

Mes pensées, aujourd'hui, vont vers tous ces hommes, toutes ces femmes qui ont, dans leur coeur, cette cicatrice terrible de l'absence.

19 commentaires
1)
pter
, le 05.12.2011 à 00:42

Ma’am’, m’avez tiré une larme au café…et je déteste être guimauve.

Belles pensées du jour, je les rejoins. merci.

2)
Moocha
, le 05.12.2011 à 04:21

Merci Madame Poppins.

3)
Inconnu
, le 05.12.2011 à 07:03

Triste et belle histoire. En début de semaine, j’ai pleuré en lisant le témoignage d’une voisine d’un couple dont le père avait enfermé le fils de 3 ans dans une machine à laver (en marche, sur mode essorage…) et qui racontait comment la mère avait débarqué dans son appart avec son fils et comment elle avait assisté aux derniers instants du petit Bastien.

http://www.leparisien.fr/seine-et-marne-77/video-mort-enferme-dans-un-lave-linge-les-parents-de-bastien-ecroues-28-11-2011-1742456.php

4)
ysengrain
, le 05.12.2011 à 07:14

Nous nous berçons de l’illusion, tout au long de notre existence que nous pouvons faire des choix qui vont orienter la vie.

Il y a pourtant des moments où il n’y a pas le choix, “il faut y passer”. Ce que tu contes ici, MP en fait partie.

La perte d’un enfant est réputée être le summum en terme de douleur et de souffrance. Je me référe à Cyrulnik:il dit ça dans un de ses bouquins.

5)
iker
, le 05.12.2011 à 07:48

Et Boris Cyrulnik a raison.

Merci madame Poppins.

6)
Philob
, le 05.12.2011 à 08:16

Merci, c’est un témoignage émouvant, les émotions sont contagieuses, le rire comme la tristesse.

Mon cousin (c’était comme un frère pour moi qui n’en avait pas) est décédé dans un accident de voiture (pas bête, car le conducteur avait trop bu, donc évitable) à la veille de ses 18 ans, ce fut très dur. La famille très catholique a fait régulièrement des messes en souvenir. Je le dis franchement, je déteste ça et je n’y suis jamais allé, par contre, je pense toujours à lui vers Pâques, car les vacances d’école aidant, nous passions toujours une semaine ensemble; j’aime me souvenir de lui vivant, des moments que nous avions passés ensemble, mais “célébrer” l’anniversaire de sa mort (je ne me souviens d’ailleurs pas du tout de la date) ça , ce n’est pas mon truc, je n’aime pas le culte des morts, j’aime me souvenir de la vie partagée.

Ce décès m’a fait faire un grand travail sur moi et la mort, j’ai accepté d’avoir moi-même des enfants, que lorsque j’étais prêt à accepter leur mort; et accepter l’inéluctabilité de la mort de ses propres enfants, revient à accepter la mort en général et donc aussi la mienne. Travail long et difficile, mais alors que je suis content aujourd’hui, car je profite vraiment de chacune de mes journées et ça m’a aussi permis d’élever mes enfants en ayant toujours leur indépendance en ligne de mire.

J’ai vécu plusieurs décès depuis, et chaque fois, la tristesse est là, mais avec une sérénité incroyable. Je dois me méfier, car je suis beaucoup moins triste que les autres et ça se voit, mais j’assume.

7)
Stilgar
, le 05.12.2011 à 09:47

Renaud : quelle horreur !!! Pour ce type je me mets à rêver d’un lave linge géant !

Madame Poppins : en tant père, mon cerveau refuse simplement d’imaginer une telle chose. Cela doit être une histoire de “fusible” ultra sensible. Non, je ne peux pas imaginer la mort d’un de mes trois garçons.

8)
Pom
, le 05.12.2011 à 10:27

La mort est une étape de la vie …

Merci de tes pensées, madame Poppins; effectivement, la mort d’un être cher est douloureuse, celle d’un enfant encore plus … et pourtant il faut accepter l’injustice, que les pourquoi ne trouvent pas de réponse et que finalement, la vie continue avec des souvenirs, une blessure voire une cicatrice qui a jamais change notre vie.

Mes pensées également à toute personne vivant ce genre de situation … et aux autres …

@Stilgar: heureusement que nous ne devons pas envisager ce genre de situation si elle n’arrive pas! Mais nous devons avoir à l’esprit qu’elle peut arriver …

9)
Alexandre
, le 05.12.2011 à 10:32

j’ai 42 ans, et suis le papa de deux filles: une de deux and et demi, et une autre de deux mois et demi. leur arrivée a été pour moi la plus belle chose imaginable… mais m’a aussi rendu conscient de la fragilité (est-ce le bon mot?) de la vie, la mienne et celle de ceux qui m’entourent.

10)
infisxc
, le 05.12.2011 à 10:43

Madame Poppins, merci pour ce très beau témoignage.

11)
Matkinson
, le 05.12.2011 à 10:52

A une époque où j’étais étudiant en médecine, une psychologue qui me connaissait très bien m’avait conseillé de lire “L’enfant et la mort” de Ginette Rimbault, une suite de textes et de réflexions sur des enfants en insuffisance rénale, et leur rapport à la mort. C’était pour me forcer à travailler sur moi-même et me préparer à affronter des situations très douloureuses en tant que praticien. Et c’est… indescriptible. Très intéressant aussi.

Mais toujours est-il qu’en que futur parent, je n’ose imaginer dans quel état je serais si cela devait m’arriver.

12)
Sylphide
, le 05.12.2011 à 11:56

Je me rallie derrière Ysengrain car, en effet, je pense aussi que notre société nous illusionne de bonheur facile.

La publicité nous berce de gens beaux et heureux, les éditions à l’eau de rose nous montrent des vies faciles et sans embuches ou encore les séries télévisées nous font croire qu’il suffit de bien s’habiller ou se coiffer pour tout réussir et être joyeux. Il n’en est rien et ça me met en colère autant que ça me frustre.

Le bonheur est cher, la vie est tout sauf facile et il est parfois, souvent même, nécessaire et utile de s’accrocher aux moments de grâce pour oublier les autres.

Chère Mary, je te remercie pour avoir eu la beauté d’accueillir cet enfant avec son bouquin pour donner un instant à cette maman triste. Je sais à quel point tu es capable de cette générosité-là et je regrette que nous soyons séparée d’environ 60km pour pouvoir être avec toi plus souvent.

PS @Renaud, votre commentaire est totalement mordide et je trouver qu’il fait ombre à Madame Poppins, ça me fâche.

13)
TroncheDeSnake
, le 05.12.2011 à 13:04

Merci madame pour cette tranche de vie. Venu sur cuk en cherchant des infos sur des logiciels, j’y suis resté pour cette variété de thèmes, cette profondeur de témoignage, pour cette qualité d’écriture. Madame Poppins, votre histoire fera moins de bruit sur le net que celle Rapportée par Renaud, mais tellement plus de bien! Je ne sais plus qui a dit: “Ce sur quoi tu mets ton attention, cela grandit”. Ce qui a mon sens n’invite pas à nier ce qui va mal, mais propose de nourrir de notre attention les marques de solidarité, de nourrir en nous ce qui nous pousse à ce genre de geste d’amitié gratuite.

14)
Amao
, le 05.12.2011 à 15:07

Bonjour,

Je ne peux m’empêcher de réagir.

Ne connaissant rien à l’histoire de ma famille, j’ai un jour demandé à ma grand-mère de me décrire les enfants qu’elle avait eu, afin de réaliser un arbre généalogique.

Les plus présents étaient ceux morts durant l’accouchement et les suites ainsi que ceux morts de faim durant la guerre. Je suis probablement la seule à qui elle ait parlé de ses morts. Et le soulagement de pouvoir en parler, même 60 ou 70 ans après, était réel.

Malheureusement, nous vivons beaucoup dans nos mémoires et parfois au détriment des vivants.

15)
Inconnu
, le 05.12.2011 à 19:27

Sylphide: désolé, la prochaine fois je mettrais des smileys et des images de bisounours.

16)
bordchamp
, le 05.12.2011 à 19:52

Chère Madame Poppins,

À force de vous lire sur cuk.ch, je pense pouvoir m’accorder la privauté de ce qualificatif de « chère ». En effet, vous avez grande valeur à mes yeux et m’êtes chère.

Comment, me dis-je souvent, une seule femme peut-elle réunir en elle autant d’humanité et de qualités ?

En lisant votre témoignage de ce jour, je crois avoir découvert la réponse qui est aussi celle que suggèrent certaines religions : vous êtes tournée vers l’Autre et cet amour de l’Autre vous grandit. Mais il y a plus : vous nous révélez nos sources de joie les plus intimes et nos craintes les plus enfouies. Vous avez l’art de catalyser les valeurs essentielles de l’âme de vos lecteurs.

17)
François Cuneo
, le 05.12.2011 à 22:07

Merci d’avoir soulagé cette maman.

Et quelle force a ton amie d’être venue pour témoigner devant tout ce monde.

5 enfants, plus 2, juste la peur permanente d’en perdre un un jour.

18)
XXé
, le 06.12.2011 à 00:25

Ça a évidemment déjà été dit mais…
merci Madame Poppins. Pour nous et pour cette maman.

Didier

19)
pat3
, le 06.12.2011 à 00:26

Trois enfants, dont une petite de pas encore quatre ans, et la même peur que François, décuplée, j’ai l’impression, depuis que j’ai une fille (les ainés, 16 et 1/2 et 20 ans, sont des garçons)…
Je pense que je supporterais toutes les pertes, mais celle d’un de mes enfants… je n’ose même pas imaginer.

Madame Poppins, vous êtes… redoutable! :-)