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Venise en hiver

Dans ma tête, je vous avais concocté une humeur comme ça, je ne vous dis pas ce que ce serait bien – du spleen, du brouillard, Mort à Venise, Visconti, Mahler, Thomas Man et tout le toutim, mêlé à des souvenirs d’un temps (pendant mon enfance) où les hivers étaient glauques à souhait dans une Venise où l’humidité semblait transpercer les plus solides de vos os et de vos muscles.

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Ça, c'était ma vision mentale (photo Giuseppe Desiderati)

Donc, contrairement à mes habitudes, j’ai dû aller à Venise en février, pour raisons professionnelles. D’habitude, ces raisons professionnelles sont provoquées par la Biennale d’Art, et notamment par le Festival du film, et tout cela se déroule en été. Là, non. Cela se passait en février.

Je suis donc partie munie de chandails, de chaussettes épaisses, de chaussures à fortes semelles, et me suis promis un tour à la Place Saint-Marc (que j’évite soigneusement en été) vers neuf heures du matin elle serait enfin vide, pour une fois, une visite au Palais des doges qui serait sans doute (un 15 février) désert, et je me suis souvenu d’un certain gondolier, parent d’un parent d’un parent, qui m’avait dit un jour:

«Si tu viens une fois en janvier, je te fais faire le tour de la lagune dans ma gondole, et on ira manger une friture de poisson chez un copain qui a une petite trattoria, là-bas», et il pointait d’un doigt vague un horizon incertain.

Bref, je débarque. Du train, je vous dirai. Il faut sept heures pour aller de Genève ou de Zurich à Venise, dans des trains directs qui partent à cinq minutes à pied de chez moi, et qui arrivent à dix minutes en vaporetto de mon lieu de résidence. Pendant le voyage j’écris (cette chronique, par exemple), je lis, je mange, je suis confortable, j’ai l’impression d’être à a maison. En avion, en comptant tout, c’est une heure à deux heures en moins et une grande fatigue en plus.

Donc, je débarque. Il faisait nuit, il pleuvait si fort que les parapluies étaient inutiles, l’eau qui tombait avec force réverbérait du sol ou de l’eau et vous mouillait par en-dessous.

«Dépêchons, dépêchons», disaient les marins des vaporetti, «Qu’est-ce qu’il vous prend de sortir sans bottes par une pluie pareille, enfin! Vous savez bien que la marée va être haute, et que la lagune va déborder.»

Les arrivants que nous étions avons tenté quelques soupirs d’ignorance, ce qui n’a pas empêché les marins de marmonner des paroles indistinctes dont surnageaient des «tous des amateurs»  et des «ah! ces touristes!»

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Moralité: la nuit, mon téléphone portable n'est pas à la hauteur.

J’étais en pleine symphonie de Mahler, en plein Thomas Mann à la sauce Cuneo. C’est là que je me suis aperçu que j’avais oublié mon appareil de photo, soigneusement préparé pourtant. Qu’à cela ne tienne, j’ai sorti mon i-phone (un G4). Ce n’était pas commode, entre bagages, pépin et faire en sorte que le téléphone ne tombe pas, vu que je ne suis pas Fabien, je ne pouvais pas risquer de le casser. Sans compter qu’il fallait le protéger de la douche. J’ai tenté une image. Ce qui me vexe le plus, dans tout ça, c’est qu’on ne voit pas la pluie! On ne voit guère non plus que le canal a déjà débordé et qu’il y en a dans tous les rez-de-chaussée.

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Je préfère laisser à un autre (photo Zaqi) la description des rues par Acqua alta.

Le phénomène, vous le savez sans doute, s’appelle Acqua Alta, les Hautes-Eaux. Rarissime autrefois, il est aujourd’hui de plus en plus fréquent; ici, le réchauffement de la planète, ils y croient.

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De temps à autre, il suffit de quelques flocons de neige pour déclencher l'Acqua alta (photo Pierpaolo).

Le lendemain matin

Le jour revenu, ayant super bien dormi dans un palais dont je ne vous dis rien – ça aussi, c’était une première –, je prends mon café-croissant au bar du coin, c’est mon sacrosaint petit déjeuner à l’italienne, et je m’aventure le long du quai. L’eau a baissé avec la marée, mais il y a encore des traces de l’inondation.

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Au bar du coin, ils m’ont appris qu’ils avaient dû «éponger», mais les passerelles qui hier soir avaient partout été mises en place pour nous faire marcher au-dessus des flots sont presque toutes rangées, prêtes à reprendre du service. Mais bon, c’est Venise en hiver. Les arbres sont nus, les rues (appelées ici calli) luisent encore d’une pluie qui ne tombe plus que sporadiquement, il est encore tôt, je m’achemine donc vers la Place Saint-Marc. En termes vénitiens, je prends un vaporetto qui me dépose à l’entrée de la place.

J’arrive en même temps que le premier, timide, rayon de soleil. Je débarque, je m’avance.

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Eh, oui, les amis. Vous pouvez venir en février, si vous voulez. Mais la Place Saint-Marc vide… c’est tin-tin. Vous aurez beau vous lever tôt. Ces petites Japonaises se sont levées avant vous.

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Ici, on prend son petit bain de soleil, même si février est un mois en R (en deux R, même, et que pour bien faire, il ne faudrait pas se mettre au soleil les mois en R). 

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Là, on va immortaliser une flaque de l’Aqua alta.

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Ailleurs on prépare les tables pour ceux qui viendront boire un apéro vendu à prix d’or.

«A la Place Saint-Marc, il n’y a pas de basse saison», me dit solennellement un maître d’hôtel en noeud papillon.

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Mon ami le gondolier a regretté. «Désolé, j'ai trop de boulot.»

A partir de là, que vous dire?

J’ai remisé Thomas Mann, Visconti, La Mort à Venise, Mahler et tout le toutim. Ce n'est pas que le brouillard et le temps glauque n'existent plus – ils existent. Mais cela n'arrête plus les touristes. Les hôtels ne sont jamais vides, les bistrots jamais abandonnés, et au moindre rayon de soleil, les terrasses sont bien fréquentées – même en janvier et en février. 

Je me suis contentée de quelques promenades, comme en été, en évitant les trajets touristiques.

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J’ai fait la connaissance d'un violoneux sympathique. Il s’était posté non loin de ma fenêtre, et en ouvrant les volets, j’entendais gémir son instrument.

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Près du Rialto, je suis tombée sur une plaque qui m’a touchée: «Ici est née en 1646 Elena Lucrezia Cornaro Piscopia, la première femme du monde à obtenir une licence d’université, le 25 juin 1678.»

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J’ai découvert un magasin où l’on ne vend que des gants – quarante-huit teintes différentes.

Et j’ai travaillé: car une bonne partie de mon temps était prise par autre chose qu’à tenter d’être une voyageuse romantique.

Je suis repartie dimanche, à la veille du carnaval. A la gare, des hordes venues du monde entier descendaient des trains, à l’aéroport les avions dégorgent des foules, armes, bagages, masques et confettis à la main.

Il a recommencé à pleuvoir.

A partir d’aujourd’hui, dans les hôtels qui débordent de monde on applique le prix «Très haute saison» – Stagione altissima.

Nous sommes à Venise. C’est l’hiver.

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Venise telle qu'elle se présente sans doute ces jours-ci (photo non signée).

Toutes les photos viennent de mon i-phone G4, sauf celles dont je donne l’auteur.

10 commentaires
1)
ysengrain
, le 22.02.2011 à 08:27

Merci Anne pour ce qui me rappelle quelques souvenirs hivernaux vénitiens: Madame Ysengrain et moi avons passé le nouvel an 2000 à Venise. “On” nous avait prévenus: attention aqua alta . Mais rien. Un temps ensoleillé, lumineux, un peu de brouillard le matin (Burano au lever du soleil dans le brouillard) …..

Nous avons marché, marché, découvert chaque ruelle, chaque maison… hors du temps.

Anecdote: Dans l’avion de retour, nous étions assis à côté d’X, homme politique en vue, qui était, à l’époque ministre. Il conversait avec un jeune homme très ENA-Sciences Po. Le soir, aux info, la TV dit: Mr X nous dit à son retour de Bruxelles cet après midi que ….

2)
Le Corbeau
, le 22.02.2011 à 08:37

Arg, Venise, c’est pour moi l’horreur.
obligés d’interrompre un voyage, dans les années 80, on a eu l’idée saugrenue de visiter Venise en plein mois d’Août et c’est simple :
– une foule compacte qui vous interdit d’aller ou vous voulez,
– la majorité des magasins fermés pour cause de congés annuels (si, si)
– des canaux puants dans lesquels flottent des sacs poubelles et d’autres objets improbables,
– Une place ST MARC où notre gamin nous a fait apprendre que les WC des Cafés, non seulement sont payants, mais qu’en plus, le papier est en option…

Après le Mont St Michel dans les mêmes conditions, ça m’a dégouté des vacances d’été. Dorénavant je ne voyage plus qu’en période creuse, les coins surpeuplés sont simplement peuplés !!

3)
PSPS
, le 22.02.2011 à 09:53

Pourquoi déconseille-t-on de prendre le soleil, les mois en “R”. Moi qui supporte mal la chaleur, j’apprécie infiniment ce rare soleil d’hiver…

4)
Modane
, le 22.02.2011 à 11:30

Ah!… Le romantisme!… Faut vraiment en vouloir pour le faire vivre! Et si même les vénitiens ne s’y mettent plus!…

Très joli reportage! Merci Anne!

5)
Anne Cuneo
, le 22.02.2011 à 18:57

Merci pour vos commentaires.

Pour ma part, bien rentrée de Venise, j’ai une crève carabinée – l’humidité vénitienne m’a eue!

6)
Migui
, le 22.02.2011 à 19:50

Très amusant, Anne: à une semaine d’intervalle, on aurait pu se rencontrer, je suis revenu de la cité des Doges hier, après y avoir passé quatre jours merveilleux sous une température “tropicale” (autour des 10°C, je me suis promené en pull durant tout le séjour)

Par contre, la place Saint Marc vide, c’est possible, le samedi à 7h du matin…

7)
Saluki
, le 22.02.2011 à 22:17

Pour les gants je pensais à la Boutique Morucchio, en Piazza San Marco…

Edit : Je croyais benoîtement que les “mois en R” étaient, dans le temps, ceux où l’on trouvait des huîtres à manger dans les restaurants.

8)
Anne Cuneo
, le 22.02.2011 à 23:02

Pour les gants je pensais à la Boutique Morucchio, en Piazza San Marco…

Non, non, ce n’est pas une boutique aussi chic… Celle de la photo est dans une ruelle, je serais incapable de dire laquelle, je n’ai pas regardé le nom, et je dois avoir jeté la facture. Il faut dire qu’à part le premier matin, j’ai travaillé, et mon petit shopping s’est fait au pas de course.

9)
heinz
, le 01.03.2011 à 20:41

J’ai eu la chance de passer les fêtes de Noël à Venise en amoureux. Modulo les problèmes de météo qui ont fait que j’ai passé Noël seul dans les faits (l’autre moitié du couple étant coincée en Allemagne/Belgique par 5cm de neige…), nous avons passé un moment mémorable!

Le climat est froid, mais venant du Québec, nous y sommes habitués. Ce n’a pas l’air d’être le cas de nombreux touristes, la ville était presque vide, et même la place San Marco était la plupart du temps vide! Le seul jour de vrai soleil était glacial, et la lumière au petit matin sur la place était incroyable.

Donc Venise à Noël, une expérience à refaire :) (et encore plus Murano pour ma compagne créatrice de bijoux amatrice)

10)
lepile
, le 07.03.2011 à 15:25

Aah Venise,

C’est une merveille à apprivoiser et un seul séjour n’y suffit pas. Pour éviter l’encombrement inévitable des lieux les plus touristiques, il faut oser s’aventurer loin de la place San Marco. On peut alors savourer de petites terrasses de café, des micro-magasins charmants, des batiments somptueux riches d’Histoire. Vivement un prochain voyage ! Pour les gants, les modèles à petits pois sont divins. ;-)