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Les armes désarmées

 

 

Je suis à Soleure, pour les Journées du Cinéma suisse. 

Au moment où je m’apprêtais à vous parler du festival et de la nouvelle application iPhone qui permet de circuler dans le festival rapidement, en étant bien informé et sans se perdre dans un lieu inconnu, voilà que Warrick me coupe l’herbe sous les pieds avec Angoulême, l’application iPhone et tout, alors je me dis que deux festivals la même semaine c’est trop, et je décide de vous parler d’autre chose. 

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Il suffit d'avoir son téléphone avec soi, on a toutes les infos, et même la bande-annonce des films qui en ont une.

J’ai regardé autour de moi, et j’ai découvert un lieu pour le moins inattendu, planté là, imposant, au milieu de la magnifique ville de Soleure: l’arsenal.

Rue de l'Arsenal, quartier de l'Arsenal, ce genre de désignation est relativement fréquent. L’arsenal qui a donné le nom au lieu a le plus souvent disparu depuis longtemps.

A Soleure, fait unique en Suisse à ce qu’on m’assure, non seulement l’Arsenal n'a pas changé de place depuis quatre siècles, mais il a gardé son caractère d’arsenal, de sa construction en 1609 à aujourd’hui, et on y trouve même des lots d’armes qui datent d’avant ses débuts.

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Tout est ornements et ors, et au milieu de tout ça l'entrepôt utilitaire, symbole de puissance tant par son contenu que par son architecture sans fioritures

Il faut savoir que tout au long du 15e et 16e siècles, dans beaucoup de cantons les citoyens s’armaient à leurs frais, et étaient tenus de pourvoir eux-mêmes à l’entreposage de leurs armes. Dès que l’arsenal de Soleure a été construit, ils y ont amené leur équipement, et il y est resté. Aussi, bien que le musée ait enrichi ses collections avec le temps, beaucoup des armes qui s’y trouvent sont là depuis leur origine. 

L’exercice et la démonstration du pouvoir

Soleure est une ville médiévale dont le tissu est resté largement inchangé pendant plusieurs siècles. Elle a été rénovée à l’époque baroque, qui a imprimé sa patte par-dessus les constructions plus anciennes (églises et couvents essentiellement, Soleure est une ville catholique), ce qui donne aujourd’hui ce mélange magnifique de très ancien et de baroque qui fait le charme actuel de Soleure.

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La ville est située au bord d'un fleuve, l'Aar

Il faut dire que Soleure a été une ville d’importance européenne. Aux 16e, 17e et 18e siècles c’était là que résidaient les ambassadeurs français. L’un d’eux, soit dit en passant, a donné l’hospitalité à Casanova, qui a passé à Soleure et environs quelques semaines ou quelques mois, brisant quelques coeurs à ce qu'on dit. Depuis Soleure où ils résidaient, les ambassadeurs menaient leurs affaires avec les cantons helvétiques, la plus importante étant le recrutement de soldats pour les armées du roi. Cela se faisait à travers les puissantes familles soleuroises qui servaient d’intermédiaires auprès des autres cantons.

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Souvent, c'étaient des groupes de jeunes qui partaient, avec un chef à leur tête.

La construction de l’arsenal, dans ce contexte, prenait une allure hautement politique: les citoyens pouvaient y entreposer leur équipement, certes, mais par ailleurs cette construction massive, à deux pas (littéralement) de la cour des ambassadeurs, qui en voyaient le toit depuis leur jardin, était également un symbole de puissance. On y gardait aussi les armes dont on équiperait les jeunes hommes que l’on aurait recrutés dans les cantons.

La Révolution française a changé tout cela. Les ambassadeurs français disparaissaient de Soleure en 1792, et peu à peu, l’arsenal, où l’on continuait à entreposer les armes, a pris un statut de symbole: il est devenu un des lieux où se racontaient les mythes fondateurs de la Suisse. Une fois que la Suisse moderne a existé en 1848, et que l’armée a été centralisée, l’arsenal de Soleure a de plus en plus pris son allure d’éléphant blanc au milieu d’une ville médiévale et baroque; finalement, l’arsenal proprement a été déplacé dans les faubourgs en 1907. L’ancien arsenal est rapidement devenu un musée, et il trône là, à quelques pas de la cathédrale.

Parmi les armes de destruction individuelle

La partie la plus impressionnante du musée, ce sont ses 200 armures, qui forment un ensemble célèbre, m’a-t-on assuré, dans le monde entier: c’est un tout unique.

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Une armée de fantômes...

On est impressionné par ce que portait un soldat de l’époque: cotte de mailles, armures proprement dites avec casque, gants, tout quoi, puis l’épée et la lance.

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On me dit que l'épée à elle seule pesait dans les 5 kg, la lance tenue dans l'autre main au moins autant

Mais il y a également une collection de mousquets, de canons, qui va pratiquement du lance-pierres à la défense antiaérienne de la Deuxième Guerre mondiale. 

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Tout cela est exposé avec beaucoup de goût - et plus c’est ancien, plus c’est visuellement beau. 

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Les uniformes des diverses époques de l’armée régulière suisse sont, curieusement, relégués au 3e étage, peu éclairé, tout cela est moins clinquant que l’armement de la Renaissance. J'ai renoncé aux photos, ici, l'éclairage était insuffisant pour ma caméra.

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Comparaison intéressante: l'évolution du casque dans l'histoire, du Moyen âge...

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...en passant par la Renaissance...

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...et jusqu'à l'uniforme du hockeyeur du 21e siècle - comme quoi rien ne se perd et rien ne s'invente

On a reconstitué la séance fameuse de la Diète de Stans de 1481 qui, selon certains historiens, marque la fin de l’expansion des cantons helvétiques vers l’extérieur. Nicolas de Flue y est intervenu, et y aurait dit:"Machend den zun nit zu wit [...] beladend üch nit frembder sachen" ("Ne repoussez pas la frontière trop loin [...], ne vous chargez pas d'affaires étrangères").

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Si vous voulez la paix, allez aux négociations armés de pied en cap - ce sera plus clair.

Cela a été interprété de diverses manières. Pour certains, il ne s’agit pas d’un coup d’arrêt à l’expansionnisme, mais d’une phrase apocryphe (Nicolas de Flue jouissait d’un prestige inégalé auprès de tous) qu’ont fait circuler les catholiques 50 ans plus tard, lorsque Berne la désormais protestante a occupé Vaud, qui a également adhéré à la Réforme.

Pour les organisateurs du musée, dans tous les cas, cela constitue une partie de ce que l’ensemble veut montrer: des armes qui ont été essentiellement défensives, la Suisse, tant primitive que moderne, ayant renoncé à conquérir, mais étant décidée à ne pas se laisser faire. 

Où l’on classe les armes que portaient les Suisses en service à l'étranger, cela serait bien sûr le sujet d’un débat que je ne vais pas ouvrir ici.

Quoi qu’il en soit, ce musée constitue une curiosité. Les photos, prises avec le Leica D-Lux4 (flash interdit, bien sûr, nous sommes dans un musée), ne peuvent pas rendre l’architecture où dominent le bois et la brique, d’un lieu qui, en dépit de tous les objets agressifs qu’il contient, dégage un charme un peu magique qui lui est propre.

11 commentaires
1)
Okazou
, le 25.01.2010 à 06:45

Très belles photos. Il est vrai que la lumière est superbe.

Pourquoi les jeunes garçons (j’en fus) sont autant captivés par les attirails guerriers et particulièrement les armures, qu’ils trouvent fascinantes ?

Imaginons un combat entre armées ainsi enferraillées du point de vue sonore. Et les boules Quies n’existaient pas !

Très réaliste, ce musée ; j’ai particulièrement remarqué, sur la dernière photo, l’union sacrée entre sabre et goupillon.

2)
François Cuneo
, le 25.01.2010 à 09:01

J’ai toujours détesté les armes, jusqu’aux élastiques que mes abrutis de copains s’envoyaient parmi.

Cela dit, historiquement, dans un musée, c’est autre chose.

C’est vrai que ce Leica est une petite merveille!

3)
cerock
, le 25.01.2010 à 09:25

Je suis un peu comme François, je déteste les armes (et j’ai rendu la mienne au mois de décembre avec un grand plaisir), mais je dois reconnaitre que ton article est très intéressant et très instructif.

Tout simplement merci

4)
Caplan
, le 25.01.2010 à 09:36

Souvent, c’étaient des groupes de jeunes qui partaient, avec un chef à leur tête.

Oui, et ils finissaient en tôle!

Merci Anne!

Milsabor!

6)
Anne Cuneo
, le 25.01.2010 à 10:43

j’ai particulièrement remarqué, sur la dernière photo, l’union sacrée entre sabre et goupillon

Non, mon cher Okazou, c’est exactement le contraire dans le cas particulier: le sabre voulait à tout prix aller conquérir plus loin, et l’hermite (qui n’avait ni goupillon ni paroisse) est venu dire: Arrêtez, les enfants, si vous continuez à faire des bêtises vous allez tout perdre. Je t’assure qu’il n’avait pas beaucoup d’amis parmi les puissants – mais il était tellement aimé du bourgeois et du paysan qu’il était craint.

J’ai toujours détesté les armes

Inutile de dire que moi aussi, je déteste les armes. Je cherchais un endroit à vous décrire, samedi, lorsque j’ai vu que Warrik parlait d’Angoulême et en reparlerait et que Soleure (d’où les chefs d’oeuvre sont singulièrement absents) serait de trop. Cet étrange bâtiment au milieu d’une ville où les courbes du baroque dominent m’a d’autant plus attirée que ça disait Musée sur la façade. Et à l’intérieur, j’ai été impressionnée par le spectacle. Les 200 armures alignées là, c’est esthétique. Mais aussitôt que j’ai laissé courir mon imagination – disons – historique, ça m’a repoussée, moi aussi. Mais j’ai tout le même fait le compte-rendu à cause de l’étrangeté – unique, m’assure-t-on de toutes parts – du lieu. Le plus étrange pour moi: c’est un lieu entièrement dédié à la guerre, mais à cause de son architecture, il est apaisant…

7)
Jean-Daniel
, le 25.01.2010 à 14:32

Pour moi, ce n’est pas tant les armes que je déteste que ce qui en est fait (elles font parties de notre histoire, et nos plus lointain ancêtres les utilisaient déjà pour chasser et survivre).

En tout cas, merci de nous faire partager cette découverte à travers de cette articles et ces quelques photos.

8)
Anne Cuneo
, le 25.01.2010 à 14:51

Oui, tu as raison Jean-Daniel, on devrait spécifier et dire «armes de guerre». Les armes de chasse de nos ancêtres correspondent aux abattoirs modernes, on a beau ne pas trop aimer, ils sont nécessaires… Ce sont les armes agressives qui posent problème. Je trouve par ailleurs, pour revenir au sujet, que ce musée largement méconnu cherche à provoquer une réflexion – je ne suis pas certaine qu’il y arrive, mais le simple fait qu’il met en scène, de tous les événements historiques possibles, Nicolas de Flue (grand homme de paix) disant aux seigneurs militaires: arrêtez les conquêtes hors de vos frontières, est une tentative.

9)
Argos
, le 25.01.2010 à 16:35

Juste deux petits points d’information :

La collection d’armes et d’armures anciennes la plus importante d’Europe se trouve au Landhaus de Graz, en Autriche. Et Casanova parle de ses conquêtes soleuroises dans ses Mémoires écrites dans un français magnifique. Il célèbre aussi les beautés de Genève et de Berne.

10)
Batisse
, le 26.01.2010 à 00:04

Très belles photos. Néanmoins je me suis toujours demandé comment ils font pour que ça ne rouille pas, ou même que ça ne se pique un peu…

11)
Anne Cuneo
, le 26.01.2010 à 00:24

La collection d’armes et d’armures anciennes la plus importante d’Europe se trouve au Landhaus de Graz, en Autriche.

En effet. Les Soleurois n’ambitionnent que le titre de collection unique en Suisse. Ce qui semble être très spécial, ce sont les 200 armures.