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Ceci n’est pas un billet de filles….
Monsieur René Magritte, je suis navrée de vous plagier mais c'est un fait : "ceci n'est pas un billet de filles". Lectrice, lecteur, je vous ai déjà fait le coup il y a quinze jours, je n'allais pas récidiver, du moins pas tout de suite.

Mais alors, me direz-vous, comment peut-on parler de bébés sans tomber dans le billet de nunuche ?

Tout "simplement" en parlant de nouveaux-nés que l'on retrouve morts, généralement dans des sacs poubelles, parfois cachés sous un lit et enveloppés dans un simple drap ou encore jetés totalement nus par la fenêtre.

Le sujet a défrayé la chronique au milieu de l'année 2006, après la découverte de trois nourrissons dans un congélateur de Séoul : le déni de grossesse.

Autant l'admettre tout de suite : jusqu'à lecture, au détour d'un hasard professionnel, d'un livre intitulé "je ne suis pas enceinte" (Gaëlle Guernalec-Levy, Stock, 2007), j'avais surtout des doutes quant à la réalité de ce phénomène et j'ai parfois été tentée de juger sans réellement comprendre. Oui, je m'en rends compte une fois de plus : on se trompe forcément lorsqu'on croit qu'on peut tirer des principes généraux de son propre vécu.

N'empêche : lorsque j'entendais parler d'un déni de grossesse, je secouais la tête, incrédule "comment peut-on ne pas savoir qu'on est enceinte, hein, c'est juste impossible, entre nausées, fatigue et seins tendus, sans parler des kilos qui s'accumulent !"

En outre, repensant à la veille de mon premier accouchement et à mon tour de ventre atteignant 1m04, je n'arrivais tout simplement pas à concevoir qu'un enfant puisse passer inaperçu à terme : il fallait bien qu'il se mette quelque part, ce bébé.

De toute façon, on n'allait pas me faire croire qu'un homme pouvait dormir, nuit après nuit, aux côtés d'une femme enceinte sans rien voir durant neuf mois : non, là, c'en était trop.

Finalement, il fallait beaucoup de toupet pour affirmer, à 37 ans, après trois enfants, n'avoir pas remarqué la quatrième grossesse : c'était risible. De toute façon, on n'a plus ses règles quand on est enceinte...

Puis j'ai lu et ai découvert, au fil des pages, Irène, Sophie, Sandrine, Cathy, Karine.

Et petit à petit, en lisant que "deux semaines avant la naissance de Manon, je suis allée voir mon médecin généraliste pour mes maux de ventre. D'après lui, j'avais une gastro" (p. 62), que "le premier médecin qui m'a examinée a diagnostiqué une colite néphrétique (...). Un deuxième médecin est venu. Il a confirmé le diagnostic. Comme les douleurs perduraient, un troisième médecin est passé. Lui, il a tiqué, il s'est dit que quelque chose n'allait pas. (...) Le médecin s'est tourné vers moi et m'a annoncé : eh bien, voilà, vous êtes à terme" (pp. 60-61), j'ai fini par admettre que si un professionnel de la santé pouvait passer à côté d'une femme en plein travail, je ne pouvais "condamner" un mari pour n'avoir pas vu de très éventuelles rondeurs.

Chapitre après chapitre, j'ai constaté que ces femmes continuaient d'avoir leurs "règles" à chaque nouvelle plaquette de pilule. Chapitre après chapitre, j'ai découvert que ces enfants qui grandissent à l'insu de toutes et tous ne viennent pas se coller contre la paroi abdominale pour y trouver les caresses des parents en devenir : non, ils se glissent bien davantage contre la colonne et poussent les côtes "vers le haut".

Les récits de ces accouchements dans la solitude la plus totale, dans une cuisine ou dans une salle de bains, m'ont presque fait pleurer; j'ai essayé d'imaginer l'état de stupeur, l'angoisse, le stress qu'ont vécu ces femmes qui, sans l'aide de qui que ce soit, sont devenues mères en quelques heures, sans avoir été enceintes, du moins pas dans leur vécu.

Et malheureusement, si ces femmes ont pu devenir mères, certaines n'ont jamais pu devenir mamans, du moins pas de cet enfant-là : "en état de choc, elles se trouvent dans l'incapacité de prodiguer les premiers soins à l'enfant, notamment de le couvrir et de le réchauffer" (p. 126). D'autres encore sont tellement désemparées qu'elles agissent en étant, je crois, réellement "hors d'elles" : "elle se saisit du bébé, ouvre la fenêtre et le jette" (p. 84); "elle regarde le bébé et le voit mort. Elle a le temps de couper le cordon avec une paire de ciseaux, de déposer l'enfant dans un drap, de le mettre dans un sac-poubelle et de le cacher dans le placard de sa chambre (...)" (p. 95).

Ces bébés qui, à force d'avoir été clandestins, n'ont jamais pu exister, la justice tente de leur donner une certaine place en condamnant la mère à des peines de prison qui ne résolvent rien du tout - à mon avis - et dont je doute qu'elles soient la traduction d'une réelle faute. J'y vois davantage l'expression d'un certain sentiment de culpabilité de la société. Et ce désarroi de n'avoir rien vu, de n'avoir rien compris et de n'avoir pas pu éviter ce drame conduit le jury à prononcer des peines très lourdes : "les jurés n'ont pas cru Louise lorsqu'elle leur a expliqué sa surprise au moment des contractions. Ils n'ont pas cru l'expert psychiatre quand il a détaillé le processus qui conduit une femme à occulter sa grossesse. Ils n'ont pas entendu l'avocate quand elle a plaidé le déni. La jeune femme a été condamnée à huit ans de prison en juin 2006" (p. 113).

Des larmes silencieuses ont finalement glissé le long de mon visage alors que je découvrais le récit des mois qui ont suivi l'accouchement et la mort de ces enfants : si c'est toujours bouleversant de se dire qu'un enfant en bonne santé, né à terme, n'a pas pu découvrir le monde, j'ai été encore bien plus touchée par la douleur de ces femmes qui, toute leur vie durant, devront porter le poids de ces minutes qui ont été fatales à leur enfant.

Cela dit, lecteur, lectrice, je vous ai mentis, juste un tout petit peu : mon billet sera aussi nunuche. Parce que parmi ces enfants qui naissent par surprise, à la maison ou diagnostiqués comme kyste ovarien, il en est aussi beaucoup qui sont ensuite aimés et choyés. Parmi ces femmes qui ont vécu un déni total de grossesse, certaines sont devenues mères et mamans presque au même instant, "lorsque Manon est venue au monde, j'ai été en proie à deux sentiments assez contradictoires. D'un côté, dès que je l'ai vue, dès qu'on l'a déposée dans mes bras, je l'ai trouvée tellement belle que je me suis dit "oui, c'est ma fille" (...). D'un autre côté, je ne cessais de me demander, en le regardant "mais comment a-t-elle pu être dans mon ventre ? D'où vient-elle ? Qu'est-ce que c'est ? C'était beau et c'était étrange" (p. 62).

Oui, la vie est belle et étrange mais elle rend aussi très humble lorsqu'on se rend compte, en guise de conclusion à mon billet, que "découvrir et accepter l'absence de profil type" revient "à affronter soudain la part trouble, voire sombre de la maternité, à reconnaître que chaque femme porte en elle une ambivalence parfois mortifère face à la grossesse. Le déni est susceptible de toucher toute femme en âge de procréer" (p. 39).

20 commentaires
1)
Marc2004
, le 05.10.2009 à 07:23

Très beau billet Mme Poppins…je vous salue bien bas.

2)
Philob
, le 05.10.2009 à 07:39

Je peux juste amener un témoignage, ma soeur a été soignée pour une gastrite et d’autres problèmes et, après avoir changé de médecin, il c’est avéré qu’elle était en fait enceinte de 6 mois. Elle n’a vécu «que» 3 mois de grossesse; tout c’est très bien passé, ma nièce est aujourd’hui bien vivante.

Par contre cela aurait put être beaucoup plus dramatique, car pendant la période «gastrite et autres maux» elle a eu des radiographies dont les conséquences auraient pu être très graves. Cette fois là, la vie a été la plus forte.

Je me souviens que ma soeur, soulagée mais quand même un peu scandalisée, avait envoyé un faire-part de naissance au premier médecin intitulé : ma gastrite se porte bien, elle pèse 3kg 750 et mesure 43 cm (ces chiffres sont inventés).

Je ne pense pas qu’il s’agissait d’un déni dans ce cas là, car ma soeur était considérée comme stérile (les chances de grossesse étaient très très faible), elle avait déjà eu des problèmes, elle venait d’arrêter de fumer et donc les kilos qu’elle prenait et aussi les malaises «devaient» découler de sa tentative d’arrêt.

Merci pour les billets toujours intéressant du lundi.

3)
Diego
, le 05.10.2009 à 08:27

Elle est où la question ?

4)
Caplan
, le 05.10.2009 à 08:51

Tout ça, c’est de l’intox! La vérité sur les bébés est ICI!

Milsabor!

5)
alec6
, le 05.10.2009 à 08:53

Ben oui ! Diégo à raison, où est-elle la question ?

Beau billet ceci dit, je découvre… Mais en y repensant la grossesse d’une de mes amies est passée totalement inaperçue aux yeux de tous jusqu’à la fin. Ils étaient néanmoins tout deux au courant…

6)
jeje31
, le 05.10.2009 à 09:08

J’ai une pensée aussi pour les juges ou jurés qui doivent juger – car enfin, dans le cas de Véronique Courjault, l’acte doit malgré tout être jugé. Pas facile. Je pense aussi à ses enfants aînés avec qui – tous les témoignages concordent – elle a été (et est toujours sans doute) une mère aimante …

Encore une fois, merci pour cet article, Madame Poppins.

7)
Saluki
, le 05.10.2009 à 09:34

J’ai eu bonne mine dans le métro, l’autre jour.

Affluence. Je suis assis.
Une jeune femme au ventre rond vient se tenir près de moi.
Je me lève et lui propose de s’asseoir. La réponse me fige :

– Mais je ne suis pas enceinte !

8)
alec6
, le 05.10.2009 à 09:59

Tu t’es assis à nouveau j’espère !

9)
fxc
, le 05.10.2009 à 10:41

J’ai eu bonne mine dans le métro, l’autre jour.

Affluence. Je suis assis. Une jeune femme au ventre rond vient se tenir près de moi. Je me lève et lui propose de s’asseoir. La réponse me fige :

– Mais je ne suis pas enceinte !

si c’était de l’aérophagie, valait ptet mieux changer de métro….

je sors!

ps je suis tellement content d’avoir retrouvé une connexion internet bloquée depuis 15 jours par une grève

10)
Guillôme
, le 05.10.2009 à 11:05

Oui, je m’en rends compte une fois de plus : on se trompe forcément lorsqu’on croit qu’on peut tirer des principes généraux de son propre vécu.

Oui, il faut se le répéter tout le temps car on oublie vite…

11)
ysengrain
, le 05.10.2009 à 12:21

MP dit: “Chapitre après chapitre, j’ai constaté que ces femmes continuaient d’avoir leurs “règles” à chaque nouvelle plaquette de pilule”

J’en doute !!! Sans être formel ça me parait totalement impossible au plan de la physiologie.

Quant au déni de grossesse proprement dit, il me parait lié à ub trouble extrêmement profond de la personnalité, peut-être temporaire mais nécessitant une prise en charge sérieuse.

12)
Tom25
, le 05.10.2009 à 12:27

Je ne suis pas enceint Mme Poppins ! Moi aussi je suis surpris qu’il n’y ait point de question dans votre billet alors je donne tout de même une réponse :•) .

Et effectivement je suis comme vous, outré quand je lis qu’une femme a tué ses gosses, puis je me renseigne et je réfléchie. Et je prend peur quand je réalise la peine prononcée. Nul ne sait comment il réagirait dans telle ou telle situation !

Mais ces condamnations qui sont prononcées avant tout pour rassurer et conforter l’opinion publique m’énervent, encore une fois. Oui l’acte est aussi choquant que triste, alors on coupe la tête, on enterre, vite … et voilà tout le monde qui retrouve le sourire.

Merci pour ce billet.

13)
jibu
, le 05.10.2009 à 13:35

dingue quand même cette histoire

14)
Madame Poppins
, le 05.10.2009 à 13:37

Marc2004, merci pour ton commentaire.

Philob, merci pour ce témoignage : je pense que les trois mois de grossesse ont certainement été d’une importance capitale pour le lien à venir, entre ta soeur et sa fille.

Diego :-)))

Caplan, ah, la vérité sur les enfants….

alec6, un couple peut bien sûr faire le choix de ne pas parler de la grossesse en cours avant la naissance : point de déni dans ce cas. Mais je l’avoue, je trouve ce choix surprenant : sais-tu pourquoi ils l’ont fait ?

jeje31, la fonction de jury n’est certainement pas facile du tout, dans un tel cas comme dans bien d’autres encore. Mais je suis surprise qu’il ait pu prononcer une peine de huit ans pour un tel acte, aussi difficile soit-il à comprendre.

saluki :-)))) le “pire”, c’est que la prochaine fois, tu resteras assis et tu te feras engueuler !

fxc, welcome back dans le monde moderne : quinze jours sans connexion, ça doit être dur !

Guillôme, à vrai dire, loin de moi l’idée de dire que les autres autour de moi souffrent de ce travers : je prêchais certainement surtout pour ma paroisse en écrivant cela !

ysengrain, j’ai pêché par raccourci : “certaines” des femmes avaient leurs règles. Cela ne m’a pas semblé absurde : même enceinte, la femme prenait des hormones qui venaient à manquer durant la pause entre deux plaquettes. De ce fait, pourquoi n’y aurait-il pas des espèces de règles qu’on qualifie parfois de “anniversaires” ?

Tom25, ce que j’ai surtout retenu, c’est le fait que ces femmes, dans les minutes qui ont précédé et suivi la naissance, n’avaient pas leur libre arbitre : elles étaient réellement “hors” d’elles-mêmes.

jibu, pour moi, c’était carrément hallucinant ! Bonne suite de journée, merci pour vos messages,

15)
pilote.ka
, le 05.10.2009 à 17:11

Tom25, ce que j’ai surtout retenu, c’est le fait que ces femmes, dans les minutes qui ont précédé et suivi la naissance, n’avaient pas leur libre arbitre : elles étaient réellement “hors” d’elles-mêmes.

C’est justement là où je tique. Il faut faire la différence entre la femme qui nie sa grossesse mais qui accepte l’enfant qui vient de naitre par rapport à celles qui commettent un infanticide.

S’agit-il d’une différence quant à la nature de l’acte ou simplement d’une question de degré dans le déni de grossesse?

Je dois avouer que je ne trouve pas beaucoup d’excuse à l’infanticide suite à un déni. On peut toujours accoucher sous x

16)
Tom25
, le 05.10.2009 à 18:09

On souligne juste que l’état dans lequel se trouve la femme est en prendre en compte. Elle peut être fortement perturbée, voir choquée, en tout cas pas dans son état normal.

Ca n’excuse pas tout, mais un peu peut-être.

17)
Madame Poppins
, le 05.10.2009 à 19:59

pilote.ka

Pour accoucher sous x, il faut savoir qu’on est enceinte; il faut avoir eu le temps de réfléchir “que fais-je de cet enfant”. Là, la femme ne sait réellement pas qu’elle est enceinte, pour des tas de raisons, cette “info” ne parvient pas à son cerveau, tout comme cela n’est pas parvenu au cerveau de toubibs qui ont examiné certaines femmes EN TRAIN d’accoucher mais ne l’ayant pas compris et qui ont posé des diagnostics totalement “hors propos”.

Une femme qui a été victime d’un déni de grossesse découvre qu’elle était enceinte lorsqu’elle voit la tête de l’enfant sortir d’elle-même ! Elle accouche souvent seule, dans une salle de bains, au dessus des toilettes, convaincue d’avoir une gastro !

Du coup, quand elle est tétanisée avec un nouveau-né devant elle, entre les jambes, difficile de penser à l’accouchement sous X.

Finalement, comme le dit Tom25, le tout n’est pas de tout excuser mais d’essayer de comprendre : huit ans de prison, franchement, je ne comprends plus le monde dans un tel cas. Le risque de récidive est pour ainsi dire nul, la peine de devoir vivre avec l’acte commis est énorme, surtout pour une femme qui a déjà des enfants et qui réalise, après coup, que son enfant était vivant et viable. De plus, séparer une mère de ses autres enfants pendant des années, franchement, je ne suis pas sûre que les dommages colatéraux ne soient pas exhorbitants !

18)
jeje31
, le 05.10.2009 à 20:47

Le risque de récidive est pour ainsi dire nul

Dans le cas de Véronique Courjault, il y a eu 3 infanticides en tout donc il y a aussi dans ces cas-là récidives. Ceci dit, tout cela n’enlève rien à la difficulté de trouver la peine appropriée : huit ans parait effectivement beaucoup dans ce contexte-là mais assez peu par rapport au triple infanticide. Et je pense que c’est bien parce que les juges et juré(e)s ont pris en compte la situation exceptionnelle qu’ils ont donné une peine qui ressemble à un entre-deux finalement assez peu satisfaisant.

19)
Madame Poppins
, le 05.10.2009 à 21:10

jeje31, je ne connais pas suffisamment les détails pour savoir si dans le cas de Véronique Courjault, il y a réellement eu trois dénis. Je pense qu’il peut y avoir un déni suivi d’un infanticide mais il se pourrait également qu’il y ait eu un infanticide après une grossesse cachée. J’avoue n’avoir pas très envie de me fier à ce que j’ai lu dans la presse pour “juger”.

Encore une chose, pilote.ka, l’accouchement sous X, c’est une invention française, qui n’existe pas en Suisse (ni en Belgique sauf erreur) et qui est très très fortement contestée : je me demande combien de temps cette possibilité va encore exister (mais je m’égare du sujet, je le reconnais).

20)
alec6
, le 05.10.2009 à 21:21

M’am Popins’, les amis en questions étaient assez farceurs dans leur genre, et ce n’est que plus tard que j’ai compris une photo que j’avais faite d’eux, car en arrière plan se trouvait un picto avec une poussette… ils l’avaient vu, pas moi qui n’avait pas fait le rapprochement.

Quant à l’histoire de V Gourjault, je fais bêtement confiance à la justice ne connaissant que ce que la presse veut bien en dire… avec ses déformations de rigueur.