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Theo Pinkus, la passion du livre et de la parole

Typique: la première fois que j'ai entendu parler de lui, c'était ailleurs qu'en Suisse. J'avais seize ans, et j'étais à la recherche d'un texte qui m'expliquerait le Capital de Marx. Ce titre était sur toutes les lèvres, j'avais essayé de l'ouvrir, mais bien entendu je n'y avais rien compris.

Un amis m'avait conseillé d'aller à la Librairie Feltrinelli qui se trouvait (se trouve) non loin du dôme de Milan. «Ils ont des ouvrages de vulgarisation», m'avait-on assuré. Ils avaient - et je possède encore ce «Le Capital expliqué aux classes laborieuses» trouvé là-bas. En me l'emballant (nous venions d'avoir une longue conversation sur le sujet), le vendeur (un spécialiste du mouvement ouvrier, en fait), m'avait dit: «C'est étonnant que tu viennes à Milan chercher un livre comme celui-là, alors qu'en Suisse vous avez Theo Pinkus.» J'ai retenu le nom, mais il a fallu longtemps pour que je fasse sa connaissance: il était familier à Milan ou à Londres, c'était une sorte d'institution à Zurich, mais à Lausanne où s'est passée mon adolescence, il était largement inconnu.

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Theo Pinkus, années 1940, dans sa librairie zurichoise

Le livre, une passion

Lorsqu'on vous parle de Theo Pinkus, on vous dit tout de suite que c'était un communiste, d'abord stalinien, puis moins orthodoxe, à tel point que le Parti allait rapidement l'exclure… Mais lorsque vous lisez sa biographie, vous ne pouvez manquer de remarquer qu'en 1923, à 14 ans, il faisait déjà partie d'un cercle d'études communistes. Et que même sans le parti, il est resté fidèle à ses idées toute sa vie. Cependant, lorsqu'on a eu la chance de le connaître et de l'observer (cela a été mon cas - pendant quatre ou cinq ans, j'avais mon bureau en face de ses archives), on se rend compte que sa plus grande passion allait aux livres. “Fou de livres” était un de ses surnoms.

Il était né à Zurich, mais avait fait son apprentissage de libraire à Berlin, chez Rowolt. En 1933, à l'avènement du nazisme, il avait tout juste réussi à revenir en Suisse: il était Juif, et on lui avait déjà confisqué son passeport. Les SA l'ont arrêté, et l'ambassadeur de Suisse, après l'avoir sorti de là, lui a conseillé de rentrer au pays: «Juif, communiste et étranger, en ce moment, ici, c'est malsain.» Dès qu'il est arrivé à Zurich, il s'est occupé de livres - et cela a duré jusqu'à sa mort, en 1991.

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La police nazie l'aurait vite tué, mais la police suisse ne l'aimait pas plus que ça. Le dossier qu'elle avait constitué sur Theo Pinkus comptait des milliers de pages, qu'il a réussi à se procurer et qu'il présente au public.

Dès 1940, il avait fondé dans la vieille ville de Zurich un «Büchersuchdienst», un service de recherche de livres, et il l'avait flanqué d'une librairie où l'on allait beaucoup pour discuter et occasionnellement pour acheter des livres. De toute façon, chez Pinkus, vous trouviez tout. Je n'ai jamais eu besoin de ses services - lorsque je l'ai fréquenté quotidiennement il était âgé et n'était plus vraiment libraire - mais pendant des décennies, quoi que vous cherchiez touchant le mouvement ouvrier, l'URSS, les révolutions, il vous le trouvait, tout le monde le disait.

Des légendes circulaient, du genre: un tel voulait avoir une première édition d'un livre de Friedrich Engels avec la signature de l'auteur, il l'avait trouvé. De même (ainsi voulait la légende), il avait trouvé un certain nombre de livres abandonnés à Zurich par Lénine. Quelle que soit la réalité de cette légende, on savait à Milan (et sans doute en maints autres endroits) que s'adresser à Pinkus, c'était la meilleure des choses, et tout le monde disait: «Quand Pinkus cherche, il trouve». Par ailleurs, il était également éditeur. Il avait fondé le Limmat Verlag, qui existe toujours, pour un groupe d'auteurs qui se proposaient de publier une Histoire du mouvement ouvrier, parue finalement en 1975, revue plusieurs fois jusqu'en 1989. Les grands éditeurs alémaniques avaient tous refusé le manuscrit - pas parce que ce serait invendable, en tout cas, le volume s'est vendu à des dizaines de milliers d'exemplaires. Et la vente continue à ce jour - le livre est considéré comme un classique.

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Theo à la fin de sa vie, au beau milieu de ses archives

Journaliste

Si le livre était sa passion, sa foi, c'était la parole. C'était un orateur exceptionnel. Il était certain qu'avec la parole tout était possible, aussi le nombre de journaux auxquels il a participé est assez important. Le dernier, que nous avons tous connu, était Zeitdienst, qu'il écrivait, imprimait et vendait lui-même. Il y traitait de tout.Car ce grand amateur de livres ne se contentait bien entendu pas de les rechercher et de les vendre, il les lisait, aussi, voracement, et vous ne le croisiez jamais sans un volume à la main. Pour être sûr d'être bien informé, en bon journaliste, il s'était constitué des archives. Parlons-en, de ces archives: elles étaient dans un local de quelque vingt mètres de long par six mètres de large, et elles remplissaient les trois parois non vitrées du plancher au plafond, ainsi que les divers rayons qu'il avait placés dans l'espace central. Lorsque vous entriez, vous criiez: «Théo!», et du fin fond d'un coin reculé, il vous criait en retour: «Ici», et vous le trouviez accroupi ou assis, entouré de masses de papier, à la recherche d'une référence, d'une citation, pour le prochain numéro de Zeitdienst. Lorsque les archives ont été cataloguées après sa mort, on s'est rendu compte qu'elles comptaient plus de 50'000 titres, et des milliers de documents.

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Vers 1975-80, Theo à la fin d'une manif: comme toujours, il vend son journal, Zeitdienst

Aujourd'hui, les archives, la bibliothèque privée, les documents, tout a été intégré à la Bibliothèque centrale de Zurich - et le rêve de Théo s'est réalisé: ses livres sont accessibles à tous.

Et sans doute pour démontrer sa reconnaissance, la Bibliothèque centrale organise une exposition visible du lundi au vendredi de 08 à 20 heures, et le samedi de 09 à 17 heures. Beaucoup de photographies, des documents, des textes, des lettres, c'est passionnant. Si vous passez par Zurich, ne la manquez pas: il vous faut entre 30 minutes et une heure, ça dépend de combien de choses vous lisez.

Il y a encore beaucoup de choses que je pourrais dire de Theo Pinkus: je pourrais parler d'Amalia, sa femme, l'amour de sa vie, de ses fils (trois), de son judaïsme, qui lui posait souvent des problèmes.

Je m'en tiendrai là: il existe une biographie du couple Pinkus pour qui lirait l'allemand: elle se lit comme un roman - car Theo Pinkus est un personnage de roman, mais de roman vrai (Luscher/Schweizer, Leben im Widerspruch: Amalia und Theo Pinkus-de-Sassi), paru au Limmat Verlag. 

21 commentaires
1)
JPO1
, le 08.09.2009 à 10:37

Bonjour,

Theo Pinkus a une tête superbe. Son parcours est fascinant. Dommage que je ne lise pas l’allemand. Et dire que j’ai habité un an à Genève, en 1962, et que personne ne m’a alors parlé de lui.

Quand, en déplacement autour de Milan, je me suis rendu dans l’époustouflante Librairie Feltrinelli, (j’en avais entendu parler par des amis, heureusement) il y a très longtemps de cela, je n’ai pas dû poser la bonne question et je n’ai pas eu la chance de découvrir Theo Pinkus par la route de l’Italie. Dommage je crois que cela aurait été un bon prétexte de voyage.

Cela fait chaud au cœur de savoir que de tels hommes aient existé.

ps : ma mère – 91 ans – aime beaucoup les livres de l’écrivain Anne Cuneo. Son regret avoir dû abandonner, obligée qu’elle est de venir vivre chez moi, ses centaines de mètres de rayons bourrés de livres qu’elle ne peut plus relire ou parcourir à la recherche de tel ou tel morceau. J’ai beaucoup de mal à l’alimenter (j’habite un désert culturel, contraint et forcé par le travail), tant elle est encore bibliovore. Elle vient de lire le trajet d’une rivière, après avoir lu le maître de Garamond.

2)
Marcolivier
, le 08.09.2009 à 10:54

Merci Anne, pour cet article intéressant mettant en lumière un personnage inconnu de ma pomme.

====================

Cependant, et au risque d’être hors sujet (et de moi-même politiser cet article), je suis profondément choqué de toujours constater que le communisme garde bonne presse. Cette idéologie de la détermination historique est foncièrement génocidaire, une classe devant dominer (écraser) l’autre. Sous couvert de justice sociale (ce à quoi nous sommes tous sensibles, y compris TTE), on cache une lutte de pouvoir et un renversement culturel.

Comment peut-on parler aujourd’hui du communisme avec tant de complaisance, comme si c’était un étendard glorieux. Il est inutile je crois, de reparler des atrocités de cette monstruosité intrinsèquement perverse.

Juste pour recontextualiser: imaginons qu’au lieu du Capital, l’auteur mentionne un livre fasciste ou nazi. Et qu’il nous avoue posséder jalousement ce livre ainsi qu’une explication de l’oeuvre, souvenir d’enfance. Imaginons toujours que l’auteur nous raconte avec la même nostalgie ses rencontres avec un Roger Garaudy ou un Robert Faurisson. Mentionnant au passage, la lecture assidue de son journal militant. Etc.

Et bien mes chers, une telle histoire se lirait – avec dégoût – dans un opuscule à tout petit tirage de cette obédience. Lire une éloge quasiment romantique et totalement décomplexée du lien que l’auteur a entretenu sa vie avec le communisme dans une site qui n’a rien à voir avec la monstruosité, me laisse pantois.

Je ne doute absolument pas des bonne intentions d’Anne Cunéo qui ne fera jamais de mal à personne. Mais n’oublions pas, non, n’oublions pas de quoi l’enfer est pavé.

(Note à Okazou et consort: rejeter le communisme ne fait pas de moi un adepte du capitalisme moderne, ce dernier étant l’exacte inverse du communisme – ie. plutôt que ce soit l’ouvrier qui exploite la classe dirigeante, c’est la classe dirigeante qui exploite l’ouvrier.)

3)
Anne Cuneo
, le 08.09.2009 à 11:04

Je suis quand même surpris et choqué de constater à quel point le communisme a encore bonne presse. Comment peut-on parler sans honte de sa jeunesse communiste. Le communisme n’est pas un étendard glorieux. Il est je crois inutile d’évoquer toutes les atrocités qui ont été commises au nom de cette idéologie perverse.

Heureusement, les très bourgeoises autorités zurichoises ne font pas le même amalgame que toi et rendent hommage à un homme original qui a fait son chemin pendant un siècle difficile, à travers des idéologies complexes.

Soulignons pour commencer que lorsque Theo a déclaré qu’il n’acceptait pas les dérives du stalinisme, commises au nom du communisme, les Staliniens l’ont exclus.

Theo Pinkus a donc été un penseur communiste – au sens théorique de Karl Marx, et non stalinien, au sens de Joseph Staline et des bourreaux de la bureaucratie stalinienne.

Le drame de la pensé communiste c’est d’avoir certes présidé à la révolution dans les années 1915-20, mais une fois que ses principes humanistes ont été abandonnés, d’avoir servi de feuille de vigne aux pires exactions, avec la complicité inconsciente de nombreux citoyens de gauche des pays non communistes.

Je dois dire que je suis assez fière de ne jamais être tombée dans ce piège: j’ai adhéré au Parti communiste alors que j’étais encore étudiante, et à la suite de je ne sais quelle nouvelle répressive venue d’URSS, j’en suis sortie – quinze jours après avoir adhéré: cette nouvelle ne cadrait pas avec l’idée que je me faisais de la justice sociale.

Il serait absurde de «remplacer Le Capital par un livre néofasciste ou nazi», parce que Le Capital est une analyse pertinente de l’économie capitaliste, il ne donne aucun conseil, n’appelle à rien, il analyse, mais alors à fond – et laisse au lecteur les conclusion à tirer pour ses circonstances particulières. Tu devrais prendre ton courage à deux mains et essayer de le lire.

Je dirai sans doute jusqu’à mon dernier souffle ce que je dis depuis ma prime jeunesse: le marxisme est un ensemble théorique tellement remarquable qu’il est trop avancé pour nous, et les horribles péchés qui ont été commis en son nom n’altèrent pas ses qualités humanistes.

Je ne te lancerai pas à la tête des reproches d’anti-communisme primaire, Marcolivier, ne me tance pas d’idiote qui a plus de bonnes intentions que de jugement.

4)
Kermorvan
, le 08.09.2009 à 11:17

Il y a de l’abus à assimiler le communisme et le nazisme. La lutte des classe existe-t-elle encore, ou vivons nous dans un monde parfait ? Le néofascisme n’est-il pas récupéré, ici ou là (un exemple : Gianfranco Fini en Italie ; la mairie de Rome) ? Chercher où sont la puissance et le crime dans le monde d’aujourd’hui ; ce sera moins facile, plus courageux. Theo Pinkus a-t-il assassiné du monde ? Fait-il partie des bourreaux, ou des victimes potentielles ?

5)
Anne Cuneo
, le 08.09.2009 à 11:52

Theo Pinkus a-t-il assassiné du monde ? Fait-il partie des bourreaux, ou des victimes potentielles ?

Theo Pinkus n’a assassiné personne, il s’est désolidarisé du stalinisme quand il a compris ce qui se passait (et il a compris tôt – 1941, alors que ce n’était encore ni évident, ni tendance).

Il fait sans conteste partie des victimes potentielles: s’il n’avait pas eu un passeport suisse qui lui a servi en dernière seconde (les nazis l’avaient déjà arrêté), en février 1933 il disparaissait dans un camp de concentration parce que communiste, et aurait bientôt été, comme tant d’autres, redirigé vers un camp d’extermination parce que juif.

6)
Kermorvan
, le 08.09.2009 à 11:58

Il y a eu Verdun, il y a eu Hiroshima et Nagasaki, Tokyo, il y a eu Dresde et Hambourg, il y a eu les guerres de Vendée, il y a eu Stalingrad, Koursk, Dniepr, et Katyn, il y a eu Auschwitz, il y a eu la Saint Barthélémy, il y a eu Nankin, il y a eu les bûchers, il y a eu le Ruanda (le champion de la catégorie artisanale), il y a eu le Vietnam et l’Algérie, et j’en oublie, tant et tant, même pour le seul vingtième siècle de l’ère de charité chrétienne. Pour l’instant, Irak, Afghanistan, Palestine, à pied, en voiture, et en drone. Pensez vous qu’il ne se produira rien lorsque l’énergie manquera, et que le climat changera ?

7)
alec6
, le 08.09.2009 à 13:19

Merci Anne pour cette découverte et merci aussi pour la réponse faite à Marc Olivier. Sans commentaires…

Mais non Kermorvan… TOUT VA TRÈS BIEN ! La bourse, les bénéfices des banques et des traders sont sur la bonne voie. La sortie de crise est au bout du tunnel…

On déplore un tout petit rien… hein… mais si peu… qu’on n’en parlera pas… il ne faut pas désespérer Wall Street.

8)
Blues
, le 08.09.2009 à 13:42

Merci Anne, je n’avais jamais entendu parler de Theo Pinkus, car un peu loin de mes lectures.

T’as rien compris AlecSix ….. tout est foutu, c’est l’apocalypse, pas la fin du monde, mais la fin de la race humaine. Et s’il en reste UN ce sera toi 8-) Bah, positivons un max, ça ne peut pas faire de mal, même si on sait que c’est cuit !

9)
Inconnu
, le 08.09.2009 à 14:22

Personnage intéressant, merci Anne, dommage que Zürich soit si loin. Pour ceux qui n’osent pas s’attaquer au Capital dans le texte il y a un petit opuscule abrégé par Carlo Cafiero

Ce qui est navrant c’est qu’il y a encore des gens comme Marcolivier ou Ivan Rioufol qui croient que les communistes ressemblent à ça :

10)
Anne Cuneo
, le 08.09.2009 à 15:10

Pour ceux qui n’osent pas s’attaquer au Capital dans le texte il y a un petit opuscule abrégé par Carlo Cafiero

Je découvre en jetant en coup d’oeil que c’est exactement ce livre-là qu’on m’avait vendu chez Feltrinelli à l’époque… Il va falloir que je le reparcoure pour mieux me souvenir – je me rappelle uniquement qu’il avait, au moment où je l’ai lu, répondu à quelques-unes de mes questions.

11)
Okazou
, le 08.09.2009 à 17:29

Voilà bien ce qui manque le plus à nos pays aujourd’hui, un intellectuel de gauche qui s’active.

La plupart (pas tous !) des intellectuels de notre temps sont aussi désespérés, semble-t-il, que le citoyen ordinaire qui, pourtant, n’a jamais eu autant besoin de lui (les autres intellectuels ne sont pas entendus). La cause en est que la politique n’a jamais été autant à la remorque, on pourrait même dire objectivement aux ordres, de l’économie libérale.

Jamais le personnel politique n’a été aussi inexistant et ceux qui semblent encore exister ne sont que des moulins à vent de la communication. Sarkozy est le meilleur exemple de cette apparence donnée à la fonction. Soit il détruit, et là il s’active réellement, soit il annonce, et là il est dans le mensonge. Certains citoyens croient encore à ses promesses, aidés qu’ils sont par une presse et des médias aux mains de ses amis.

Tout ça va pourtant disparaître.

Alors, des Theo Pinkus, ces fourmis laborieuses et déterminées attachées au sort de leurs semblables, il en faudrait partout, à tous les niveaux de la société et dans tous ses domaines d’activité. C’est ce qu’on voit, en ce moment et un peu partout, commencer à se développer. C’est de ce mouvement non forcé, non dirigé, non encadré que surviendra le changement de fond. Là, près de chez nous, dans notre aire de vie familière, entre voisins, se construit petit à petit mais résolument, une société créative ambitieuse et originale.

> Marcolivier : tes consorts ne valent pas les miens.

12)
Marcolivier
, le 08.09.2009 à 18:10

Je ne remettrais pas en cause ta profession de foi:

Je dirai sans doute jusqu’à mon dernier souffle ce que je dis depuis ma prime jeunesse: le marxisme est un ensemble théorique tellement remarquable qu’il est trop avancé pour nous, et les horribles péchés qui ont été commis en son nom n’altèrent pas ses qualités humanistes.

Mais cette déclaration illustre merveilleusement le germe dévastateur attaché à cette idéologie “si remarquable” et “à l’ensemble théorique trop avancé pour nous”.

Si, en reconnaissant cette inadéquation, on cherche néanmoins à faire avancer le communisme, alors on est comme celui qui veut faire entre un carré dans un rond. Comme ça ne marche pas, on coupe ce qui dépasse… Gardons espoir cependant, car il est également possible de réaliser que cette merveille théorique n’est qu’un fabuleux conte de fée ne correspondant pas aux réalités humaines. Et on passe à autre chose de plus pertinent.

La vie, la société, l’homme et toutes ses interactions, ce n’est pas le merveilleux petit village des Schtroumpfs. Ce village est une fable, alors que les réalités humaines n’en sont pas.

13)
Anne Cuneo
, le 08.09.2009 à 18:44

le germe dévastateur attaché à cette idéologie “si remarquable” et “à l’ensemble théorique trop avancé pour nous” Si, en reconnaissant cette inadéquation, on cherche néanmoins à faire avancer le communisme, alors on est comme celui qui veut faire entre un carré dans un rond..

Je ne sais pas s’il faut rire ou pleurer d’une telle déclaration. Qu’est-ce que tu dirais de vivre ta vie comme tu l’entends et de laisser les autres vivre la leur de même, sans porter des jugements à l’emporte-pièce? J’arrête là cet échange.

14)
Caplan
, le 08.09.2009 à 21:16

Theo Pinkus a une tête superbe.

Je trouve qu’il a l’air incroyablement triste. Pourquoi les intellectuels de gauche ont-ils toujours l’air triste?

Ça confirme au moins une chose: je suis de gauche, mais assurément pas intellectuel!…

Milsabor!

15)
alec6
, le 08.09.2009 à 21:51

C’est ce qu’on voit, en ce moment et un peu partout, commencer à se développer. C’est de ce mouvement non forcé, non dirigé, non encadré que surviendra le changement de fond. Là, près de chez nous, dans notre aire de vie familière, entre voisins, se construit petit à petit mais résolument, une société créative ambitieuse et originale.

Je te sens bien optimiste… tant que la majorité des gens auront un crédit sur le dos, tant qu’on les fera rêver avec une prime à la casse (ici, aux USA, en Allemagne…), la solidarité sera une vaste blague. TOUT le monde réclame des baisses d’impôts pour contrebalancer la perte du fameux pouvoir d’achat. Même Besancenot en réclame du pouvoir d’achat… Les agités des cités qui brûlent des bagnoles ne réclament pas autre choses, il suffit de voir leur fringues… des marques, rien que des marques. Ils sont l’infanterie de base joyeuse et insouciante des champs de bataille de nos officiers généraux de ces grandes enseignes…
Hardi petit !

Que certains bobos de mon espèce prennent cs du “changement de paradigme” n’est pas tout à fait faux, mais c’est vraiment à la marge (et ce n’est pas spécifique aux agités de ma tribu, heureusement, mais pas suffisant néanmoins).

Dommage ! Comme le rappelle Kermorvan, il faudra attendre que l’énergie viennent à manquer réellement et que le changement climatique ait des conséquences palpables et indubitables. Nous en sommes loin, enfin je l’espère.

16)
Argos
, le 08.09.2009 à 22:10

Bravo Anne d’avoir pour un instant fait revivre Théo Pinkus, un personnage extraordinaire. Je pense que tu as aussi connu Jules et Jenny Humbert-Droz, lui qui fut secrétaire de la Troisième Internationale. L’une des différences entre le communisme et le nazisme, c’est que le premier a produit des personnages magnifiques, qui croyaient sincèrement améliorer le sort de l’humanité, alors que dans le second, on ne trouve quasiment que des crapules. Anti-communiste convaincu moi-même, je suis choqué lorsqu’on met les deux sur le même pied. Il y avait un souffle, un espoir dans le premier, qui, comme toutes les utopies s’est fracassé sur la réalité, alors que le second était au départ délétère, invention morbide d’un esprit malade, fantasmant sur des héros wagnériens qui l’avaient marqué adolescent, basant son pouvoir sur le racisme et l’exclusion.

17)
Okazou
, le 09.09.2009 à 06:00

« Je trouve qu’il a l’air incroyablement triste. Pourquoi les intellectuels de gauche ont-ils toujours l’air triste? »

Non, non. Pas tous. Regarde Michel Onfray, par exemple, notre remarquable philosophe hédoniste, c’est un bon vivant qui ne semble pas héberger la tristesse et encore moins l’engendrer. On riait moins chez Kant, c’est sûr. Les manches à balai dans le cul on les trouve chez les intellectuels convenus et bourgeois, généralement. Edgar Morin fut toujours un bon vivant à l’œil réjoui et malicieux, aujourd’hui encore à plus de 80 piges. Deleuze n’a jamais eu l’air non plus du type qui renfile sa veste avec son cintre.

18)
Okazou
, le 09.09.2009 à 06:01

« Je te sens bien optimiste… »

Je te sens bien pessimiste…

Ces jeunes dont tu parles qui adoptent la panoplie convenue des marques à la mode, je les connais. Je les connais parce que nous nous rencontrons pour créer et construire ensemble. Dans divers domaines, selon leurs affinités et les miennes, eux, les ados et moi le sexagénaire qui fut ado et n’oublie rien.
« L’habit ne fait pas le moine » est toujours d’actualité, ne l’oublions pas. Si Sarkozy croit pouvoir améliorer son être par un paraître bling-bling d’un ridicule achevé et pitoyable, ces jeunes ne sont pas dupes des oripeaux qu’ils endossent (de l’ordre de la convention) et leur ramage est assez divergent de leur plumage pour que certains jugements, pour le moins certaines impressions (téléphonées par les médias corrompus qui pétrissent les cerveaux du consommateur au moule de « la bonne pensée »), disons pour que certaines présomptions sur leur être doivent d’urgence se voir corriger dans un sens qui leur soit favorable.

« Mais ils n’ont pas de conscience politique », me dira-ton. Ni plus, ni moins que la plupart des citoyens de ce pays. En revanche, ils pointent un regard aigu sur leur condition et leur environnement.
Leur qualité majeure, ce sur quoi on peut s’appuyer pour les aider à sortir d’une condition dans laquelle on les englue quoiqu’ils fassent, c’est la qualité et l’intensité de leur désir. Car ils ne sont pas médiocres, ces jeunes, et si certains ont raté le train de l’école de la République, ils débordent d’une soif inextinguible d’exister. Et pas seulement par la quête d’un emploi sans intérêt et sans plaisir. Non. Le boulot, ils savent tous que c’est le passage obligé pour survivre. C’est au-delà de cette survie qu’ils aspirent à développer leur potentiel et à mettre au jour, comme une seconde naissance, leurs qualités personnelles, pour eux-mêmes mais aussi pour les autres car ils sont généreux si on ne l’est guère avec eux. À la marge des contraintes ordinaires de la vie qu’ils acceptent. Ils sont vivants et veulent le rester mais pas a minima comme le souhaitent certains nécrophages de droite et aussi de « gauche » (la gauche gauche, de droite !), tous unis dans le libéralisme pour ostraciser tout un petit peuple qui ne mérite pas ce sort que leur réserve l’extrême cynisme d’un système économique d’une perversité abjecte.

Ainsi, que penser d’une société qui stigmatise, invective, exploite et repousse sa jeunesse, c’est-à-dire l’avenir du genre humain ?

Voilà où mène la société de consommation que nous voyions arriver en 1968 et que nous dénoncions sans mollir mais sans parvenir à nous faire entendre : un gâchis des ressources qui dépasse l’entendement et un gâchis humain répugnant. Le tout en moins de trente ans de déraison pure ; la durée d’un clin d’œil.

L’important n’est plus, aujourd’hui, de posséder ou pas une conscience politique affûtée. Tout est tellement faussé, les dés sont tellement pipés qu’il est urgent de prendre des chemins de traverse pour sortir de ce marasme (éloge du biais, de la diagonale, de la marche en crabe). Refuser à toute force le jeu classique qu’on nous impose depuis si longtemps et qui mène toujours à un pouvoir déconnecté (c’est à la fois son souhait et son but) du réel des citoyens.
Inventer une démarche à la fois insaisissable par le pouvoir et qui imprègne le fond même de la société d’une façon inexpugnable. Redécouvrir humblement et discrètement que le pouvoir ne peut être que nous-mêmes et qu’il ne peut prendre vraiment sa force qu’à notre niveau. Un pouvoir partagé, sain et fructueux. C’est ainsi qu’en s’appuyant sur nos désirs (encore faut-il en avoir), comme les jeunes dont nous parlons, nous devons multiplier les rencontres et la connaissance des autres et développer ces rapports purement humains pour que s’impose à nous, comme le fruit de cette action, une solidarité si solide qu’aucun pouvoir artificiel, qu’aucun de nos « représentants » ne pourra plus l’ignorer. C’est par cette multiplication, en tout lieu, de reprise de contact avec ses semblables que l’on peut commencer à construire (ou reconstruire) et renforcer les valeurs humaines qui sont à la base de toute société en harmonie.

Les associations, les lieux associatifs sont infiniment nombreux et peuvent constituer des nids de rencontres et de débats. Mais les cafés aussi qui furent des lieux sociaux de rencontre et d’échange où l’on commençait, par l’échange, à changer les choses. Sans chefs, sans programmes, sans autre but et intérêt que de changer la vie ici et maintenant, par petits pas, pour simplement vivre mieux, ensemble. Mettre une bonne fois l’avoir à sa juste place pour développer son être ; pour soi et pour les autres.

Échanger avec l’autre pour construire ou reconstruire, n’est-ce pas autrement plus gratifiant, parce que simplement humain, que se payer la dernière montre Alakon™ pour l’exhiber devant ceux, qu’au fond, on méprise de ne pas la posséder ?

Trop optimiste ? Décidément non si l’on ne se contente pas du discours et que l’on tient ce que l’on dit en le mettant en pratique au quotidien, pour gagner de la liberté. Celui qui ne bouge pas ne sent pas ses chaînes disait Rosa Luxemburg. Être citoyen c’est-à-dire s’inscrire dans la société pour soi et pour les autres. Comme ces jeunes qui refusent d’être laissés pour compte et choisissent de vivre, vraiment vivre, la seule vie dont ils disposent. Pour eux et pour les autres. Solidaires.


Un autre monde est possible.

19)
Argos
, le 09.09.2009 à 08:32

Okazou, j’ai à plusieurs reprises affirmé mes désaccords avec toi, mais j’ai particulièrement apprécié ton dernier texte sur la jeunesse.

20)
Blues
, le 09.09.2009 à 08:33

Pourquoi les intellectuels de gauche ont-ils toujours l’air triste?

Normal, parce qu’ils se posent trop de questions / réfléchissent trop et à force ça les minent, donc ils font la gueule ! Peut-être aussi parce qu’ils font rarement la bombe et ne savent pas prendre la vie du bon côté ?

21)
Anne Cuneo
, le 10.09.2009 à 15:14

Je trouve qu’il a l’air incroyablement triste. Pourquoi les intellectuels de gauche ont-ils toujours l’air triste?

Purée, Caplan, pourquoi faut-il généraliser comme ça. Tout d’abord, Theo Pinkus était le type qui, lorsqu’il te croisait, commençait par te raconter la dernière blague qui circulait, sur les idéologies, sur Zurich, et son répertoire de blague juives ou sur la gauche était inépuisable. Il vivait dans l’autodérision gaie. Deuxièmement, comme ça tout de go je n’ai pas trouvé de bonne photo où il était gai. Et troisièmement, dans la photo où il vend son canard, il n’est pas triste, pas plus que quand il est dans sa librairie. Juste concentré.

@ Okazou

D’accord avec toi pour l’optimisme. Il est nécessaire pour ne pas éternellement croupir dans les ruines de hier. On les analyses à fond, mais on va de l’avant. Je pense aussi que le monde associatif constitue un espoir. Le mouvement de l’Histoire est infiniment plus lent que celui d’une vie humaine, même en cette époque supersonique. Aussi l’optimisme est un instrument nécessaire. Theo Pinkus, qui a publié, cherché, parlé, jusqu’à son dernier jour, était un grand optimiste (et gai par-dessus le marché, Caplan).