Jusqu'au 28 septembre, on peut voir au Kunstmuseum de Bâle une exposition de van Gogh intitulée «Paysages». Plutôt que de paysages je parlerais de vues en plein air: il n'y a en effet que des extérieurs (comme on dirait au cinéma). J’y suis allée, et j’en suis sortie à la fois admirative et songeuse. Je n’avais jamais considéré van Gogh sous cet angle-là.
Comme tout le monde, je pensais «tout savoir» sur van Gogh: un type bizarre, un peu fou, qui s’était lui-même coupé une oreille, et qui a fini par se suicider.
C’était certes un original, encore que la fameuse oreille autocoupée semble n’avoir été qu’un mythe. On a trouvé des documents prouvant que cela venait d’une bagarre au rasoir (!) avec Gauguin, et que celui qui a coupé l’oreille, ce serait plutôt Gauguin, dans le feu de l’action - ce sont les aléas d’une bagarre au rasoir, évidemment.
De même, le mythe du génie autodidacte surgi de rien: en fait, van Gogh sortait d'une famille de marchands d'art, de collectionneurs et d'artistes, et dans son enfance (pour stérile qu'elle fût, selon lui) l'art était une des dimensions intégrales de la vie. Il n'a peut-être pas fréquenté les Beaux-Arts, mais il a eu une école intéressante chez lui, tout de même.
Cela a sans doute contribué à lui donner un regard aiguisé, si aiguisé, si sensible au monde, que ça le rendait dépressif.
Vincent à 14 et à 19 ans - on le voit rarement en photo. Le regard est déjà là.
Et le voici à 36 ans, vu par lui-même. Un an plus tard, il sera mort suicidé.
Mais je ne vais pas tenter ici de récrire la vie de van Gogh. On peut la lire un peu partout. Une des meilleures bios rapides sur internet, soit dit en passant, est celle de Wikipedia en anglais, meilleure dans l'ensemble, que celle en français.
Je vais me contenter d'explique ici pourquoi la vision de la suite d’extérieurs réunis dans l'exposition de Bâle, m’a fait réfléchir, et m'a fait me dire que jusqu’ici je n’avais rien compris à van Gogh. Et je me suis dit ensuite que ce que je croyais soudain comprendre, cela pourrait se dire sur un site comme cuk.ch, où la photographie tient tant de place.
Car en observant attentivement toutes ces «vues», j’ai eu la sensation d’en apprendre davantage en un tableau que si j’avais vu dix photos de chacun d'eux. Et en même temps, j'avais la sensation de voir de très beaux instantanés du quotidien des années 1880.
Je m’étais déjà fait la réflexion l’année dernière. Je cherchais à me représenter le Moulin de la Galette tel qu’il était vers 1880. J’ai d’abord trouvé des photos. Assez approximatif. Et puis je suis tombée sur la vision du Moulin qu’a van Gogh, qui date de la même année, et alors là… Je l’ai «vu», ce Moulin.
A la plate réalité, van Gogh ajoute la vie grouillante autour du Moulin, la lumière du crépuscule, la dimension sociale (la blouse bleue et le chapeau haut de forme par ex.) Une photo idéale - ou plusieurs photos superposées.
Cette petite révélation de l’an dernier m’a peut-être aidée à m’apercevoir que les paysages de van Gogh sont davantage que «de beaux tableaux»; ce sont des instantanés photographiques qui racontent toute une histoire, avec des détails qui permettent d’imaginer une troisième dimension à la «photo» - bref, c’est difficile à exprimer.
Ce que j’ai réalisé, c’est que van Gogh avait été un formidable témoin du quotidien, comme Robert Doisneau ou Cartier Bresson, et que pour ce quotidien, il avait toujours cherché une perspective, une vue critique même.
Pour faire une démonstration véritable de la différence entre une photo et ses tableaux, il aurait fallu que je prenne un appareil de photo et que j’aille, à Arles, à Paris, à Auvers, etc. me positionner pour prendre ma photo comme l'a fait Vincent pour peindre son tableau. Impossible évidemment, aussi vais-je me contenter de commenter quelques tableaux, en vous encourageant à aller vous-mêmes à Bâle, vous avez jusqu’à fin septembre pour le faire.
Les tableaux que je vais vous montrer maintenant, vous les avez probablement déjà vus. Mais c’est de les voir ensemble que cela change la perspective. Je ne sais pas si avec une humeur j’arrive à démontrer l’étonnante efficacité, et l’extraordinaire précision de la démarche, qui me paraît à la fois picturale et photographique, j’essaie - vous me pardonnerez si je n’arrive pas à vous convaincre, et du coup, si vous n’êtes pas trop loin, j’espère que vous aurez envie d’aller voir l’exposition.
Ceci peut à première vue paraître une simple image de la mer. Mais voyez, au milieu du tableau, en tout petit, le pêcheur qui tire ses filets. Dès qu'on prend conscience de sa présence et de son activité, cela change complètement la perspective. Le tableau date de mai 1888.
Ce soir d'été, qui date également de 1888, est particulièrement frappant, presque prophétique. Des deux côtés, la gracieuse ville médiévale est flanquée d'usines aux cheminées fumantes. Devant, un champ de blé (pour combien de temps encore?), et entre les deux, ce couple de travailleurs. Lui rougeaud et souriant, elle blanche comme un linge et se traînant avec peine (en agrandissant bien, on voit le sourire de l'homme et les yeux vides - ou désespérés - de la femme qui, pour ainsi dire, fixe l'objectif).
Dans cette Maison jaune (c'est le titre du tableau) Vincent a vécu pendant quelque temps une vie si agitée qu'on a fini par le mettre à la porte. La maison et la place sont d'une précision exemplaire. Mais ici aussi, ce sont les gens qui font la différence. Au second plan, on joue aux cartes autour d'une table. Une petite famille se dirige vers «l'objectif», cela pourrait être gai, n'était-ce l'homme, dos courbé, comme accablé, à quelque pas de la porte, qui confère au tout une gravité inattendue - et nous empêche de voir la simple vue pittoresque d'une place du sud de la France.
Le pêcheur sous le pont de Clichy peut d'abord paraître seul. Mais regardez bien: Vincent a ajouté une sorte de bande-son: sur le pont, des gens et des véhicules passent. La solitude qui paraît si réelle au premier abord est relativisée en quelques coups de pinceau qui paraissent au premier abord sans importance. Mais qui sont en réalité la précision qui change tout (printemps 1887).
Et pour le cas où on n'aurait pas compris, à la même période Vincent peint les ponts d'Asnières. Le pêcheur est là. Mais ici, le «progrès» a fait irruption, ce n'est pas un simple char qui passe à sa portée, mais une locomotive. Et comme toujours, si on y prête attention, ces minuscules personnages qui semblent si secondaires sont en fait ceux qui créent la dynamique. Vous voyez le chauffeur de la locomotive qui se penche pour zieuter la dame au parasol rouge? Une autre forme de solitude, celle du désir (elle ne se rend pas compte d'être zieutée...).
Je pourrais continuer la démonstration sur des dizaines de «paysages». Ce qui est assez étonnant, c'est que ces petits personnages qui donnent un sens, une profondeur, du son même, aux tableaux, crèvent les yeux lorsqu'on voit les originaux des toiles, mais pas vraiment quand on voit les reproductions.
L'impression qu'on tire de cette exposition, c'est que Vincent s'est promené à travers le monde avec un appareil de photo intérieur, qu'il a emmagasiné ses images, et qu'il nous a laissé le soin de zoomer (si j'ose dire) dans ses vues au grand angle. Partout où on peut comparer, la précision photographique est là, mais Vincent y ajoute un intérêt pour les gens qui m'a, j'espère qu'on l'aura compris, beaucoup touchée.
Juste avant de se suicider, Vincent a peint trois paysages, désormais célèbres. En voici un:
Pour peu qu'on ait bien regardé les paysages précédents, on reconnaît d'emblée le désespoir, le terrible enfermement de l'esprit en une prison sans issue: pour une des premières fois, sur ces toiles, il n'y a personne.
Je pense que l'étude de ces paysages, surtout lorsqu'on va voir les originaux, peut nous apporter quelque chose, à nous qui aimons la photo, et qui promenons volontiers sur le monde notre oeil photographique.
Qu'en dites-vous?
Sources
J'ai cherché à n'utiliser que des tableaux moins connus, on peut naturellement substituer d'autres images aux miennes. La seule incontournable était le dernier tableau - parce que c'est le dernier que je voulais montrer. Sources des illustrations: photos prises par moi, dossier de presse de l'exposition de Bâle, internet.
, le 04.08.2009 à 06:08
Merci Anne pour cet article, et cette piqûre de rappel pour l’expo à Bâle, tout près de chez moi. J’espère simplement que mon programme rédactionnel chargé me laissera le temps d’y aller.
Cordialement, Gilles.
, le 04.08.2009 à 06:21
Voilà la question posée d’un débat, dans lequel je ne me lancerai pas (non, non, non, non !), sur la force de représentation respective de la photographie et de la peinture.
Van Gogh, peintre non photographe et Cartier-Bresson, peintre et photographe. Comme j’aime ces deux-là !
, le 04.08.2009 à 08:16
J’aime la peinture, mais je ne savais pouvoir aimer la peinture quand on me la dit, me l’explique comme tu le fais Anne, merci.
Et puis les photos des tableaux… le clic qui amène le très gros plan révélateur de l’essentiel: la matière déposée par le pinceau qui donne à l’ensemble une force incroyable. Sublime.
, le 04.08.2009 à 08:19
Pour apprendre la photo, il suffit d’aller faire un tour au pavillon des grands peintres Flamands du XVIII, au Louvre. On se prend une claque monumentale, on redevient l’humble petit moucheron que l’on n’aurait jamais dû oublier d’être…
Autant dire que j’abonde absolument à la fine analyse de dame Anne.
, le 04.08.2009 à 09:32
Van Gogh est un vieux compagnon. J’habitais enfant dans un petit village coincé entre Auvers et Valmondois, Van Gogh et Daumier. Une de mes promenades favorites était de rallier le cimetière d’Auvers pour regarder le grand lierre sur la tombe des deux frères. Il fallait traverser en vélo la plaine immense et vide du Vexin.
Et un jour, sortant de cette visite, un grand coup de vent tourbillonnant chassa les corbeaux d’un champ de blé, en face. Et je vis, une fraction de seconde, en vrai, du chemin, le tableau que tu nous montres ici.
Je crois avoir eu une grande chance en vivant enfant dans ces lieux là, où l’on rencontre chaque jour une parcelle de peinture, par les berges de l’Oise, Argenteuil…
Et sais-tu où je vis maintenant? Entre Asnières et Clichy, pas loin d’Argenteuil! Un hasard…
Profitez bien de cette expo! Et merci, Anne!
, le 04.08.2009 à 09:45
Merci Anne pour cette analyse. J’y suis allé il y a quelques jours.
Voici ma vision subjective de cette visite.
Milsabor!
, le 04.08.2009 à 10:01
Décidément, je crois bien que je ne ferai jamais aux impressionnistes ;-(
Justement non, si on agrandit, au lieu de détails précis comme un regard, une expression, il n’y a que des tâches de couleurs. Je trouve cela frustrant, et le mot est faible.
Ceci dit, je ne suis pas représentatif de la population : entomologiste amateur, et doté d’une forte myopie, j’ai l’habitude de chercher des œufs de papillons dans la nature.
En voici un exemple. L’œuf fait environ 1 mm de haut !
Être très myope signifie disposer d’une forme de double vue : avec des lunettes, on a une vue « normale », tandis que sans, on se retouve avec une forte loupe intégrée. On peut ainsi accéder directement à des détails hors de portée de la plupart des gens.
Pour peu qu’on soit amateur de nature (entomologiste dans mon cas), cette capacité est une bénédiction. Avec les années, je commence à devenir presbyte, et cela a pour effet de réduire ma myopie, ce qui est pénible. Si je pouvais me faire opérer pour réaccentuer cette myopie, j’en serai ravi.
Pour résumer, je crois que chercher à percevoir dans la nature les détails les plus fins et apprécier les impressionnistes est difficilement compatible !
, le 04.08.2009 à 11:27
Les tournesols
de Jean Ferrat
Mon prince noir et famélique
Ma pauvre graine de clodo
Toi qui vécus fantomatique
En peignant tes vieux godillots
Toi qui allais la dalle en pente
Toi qu’on jetait dans le ruisseau
Qui grelottais dans ta soupente
En inventant un art nouveau
T’étais zéro au Top cinquante
T’étais pas branché comme il faut
Avec ta gueule hallucinante
Pour attirer les capitaux
–
Mais dans un coffre climatisé
Au pays du Soleil-Levant
Tes tournesols à l’air penché
Dorment dans leur prison d’argent
Leurs têtes à jamais figées
Ne verront plus les soirs d’errance
Le soleil fauve se coucher
Sur la campagne de Provence
– Tu allais ainsi dans la vie
Comme un chien dans un jeu de quilles
La bourgeoisie de pacotille
Te faisait le coup du mépris
Et tu plongeais dans les ténèbres
Et tu noyais dans les bistrots
L’absinthe à tes pensées funèbres
Comme la lame d’un couteau
Tu valais rien au hit-parade
Ni à la une des journaux
Toi qui vécus dans la panade
Sans vendre un seul de tes tableaux
– Mais dans un coffre climatisé
Au pays du Soleil-Levant
Tes tournesols à l’air penché
Dorment dans leur prison d’argent
Leurs têtes à jamais figées
Ne verront plus les soirs d’errance
Le soleil fauve se coucher
Sur la campagne de Provence
–
Dans ta palette frémissante
De soufre pâle et d’infini
Ta peinture comme un défi
Lance une plainte flamboyante
Dans ce monde aux valeurs croulantes
Vincent ma fleur mon bel oiseau
Te voilà donc Eldorado
De la bourgeoisie triomphante
Te voilà star du Top cinquante
Te voilà branché comme il faut
C’est dans ta gueule hallucinante
Qu’ils ont placé leurs capitaux
–
Mais dans un coffre climatisé
Au pays du Soleil-Levant
Tes tournesols à l’air penché
Dorment dans leur prison d’argent
Leurs têtes à jamais figées
Ne verront plus les soirs d’errance
Le soleil fauve se coucher
Sur la campagne de Provence
, le 04.08.2009 à 11:30
L’homme à l’oreille coupée
de Jean Ferrat
Ce qui poussait toujours Vincent
A peindre ces incandescents
Soleils jaunes et tournoyants
Tout ce qui a fait de Lautrec
Cet oiseau noir claquant du bec
Aux carreaux des bistrots du Tertre
Et ce qui en poussa bien d’autres
Gueules d’archange, gueules d’apôtre
A se fuir dans tous les miroirs
C’était le même désespoir
Et l’homme à l’oreille coupée
Me traînait toujours à ses pieds
Comme la terre à ses souliers
Ce qui chassait toujours Vincent
Du chemin des honnêtes gens
Jusque dans sa chambre aux murs blancs
Tout ce qui a fait grimacer
Toulouse durant des années
Du même rire désespéré
Et ce qui en chassa bien d’autres
Gueules d’archange, gueules d’apôtre
De l’aube grise jusqu’au soir
C’était le même désespoir
Et l’homme à l’oreille coupée
Me traînait toujours à ses pieds
Comme la terre à ses souliers
Ce qui a crucifié Vincent
Sur sa toile durant trente ans
Un pinceau bleu entre les dents
Et ce qui épingla Lautrec
Sous les lampes comme un insecte
Du Moulin Rouge à la rue Berthe
Oui, ces deux-là et tous les autres
Gueules d’archange, gueules d’apôtre
Ont-ils enfin trouvé l’espoir
De l’autre côté du miroir
, le 04.08.2009 à 11:37
Je n’ai pu m’empécher de mettre ces deux textes de Jean Ferrat, ils expriment bien mieux que tout la beauté des tableaux du maître.
, le 04.08.2009 à 12:05
Daniel Tammet dans ses deux livres affirme qu’il était autiste, sujet à de violentes crises épileptiques et qu’il s’est coupé l’oreille suite à l’une de ses crises…
En même temps, ses livres sont tellement remplis d’erreur et d’imprécision que je ne suis pas sûr que les livres de Tammet soit une source fiable… J’ai d’ailleurs écrit à l’éditeur pour faire part de la médiocre qualité des ouvrages.
, le 04.08.2009 à 13:23
Il avait des crises, mais autiste, on ne me le fera jamais croire, pas avec les lettres qu’il écrivait, la lucidité dont il y fait preuve – et des lettres de Gauguin retrouvées récemment laissent à penser que c’est Gauguin qui a coupé (accidentellement – si on peut dire ça alors qu’on est au milieu d’une bagarre rasoir à la main) l’oreille de van Gogh.
Daniel Tammet prend toujours le chemin facile: celui des idées reçues.
, le 04.08.2009 à 13:49
Ne nous bagarrons pas pour des étiquettes, mais van Gogh n’est pas impressionniste au sens où tu l’entends. Souvent, dans les petits personnages, tu perçois l’expression, ou le mouvement du corps t’indique un sentiment (voir le chauffeur de locomotive, dont on ne perçoit rien sinon qu’il tomberait presque de sa locomotives pour mieux voir la femme au parasol rouge). Si tu cliques sur le tableau du champ de blé et les deux travailleurs qui rentrent du boulot, et que tu les regardes de près, tu vois effectivement, non pas des visages blancs, mais les détails qui comptent: le sourire et les joues rougeaudes de l’homme, le visage blanc et les yeux fixes de la femme. Sur les reproductions ce n’est pas toujours aussi clair, mais sur les originaux, ça saute aux yeux.
, le 04.08.2009 à 14:14
Je ne parlerais pas de débat: je me demandais seulement à haute voix si un photographe peut apprendre quelque chose de la précision du peintre, de sa concentration, qui transcende le simple instantané. Je me répondais implicitement que oui, ce qui amène à la vraie question: a-t-on la volonté d’apprendre cela, en tant que photographe?
, le 04.08.2009 à 16:50
Anne,
J’ai d’excellents souvenirs de plusieurs de tes humeurs, sur des thèmes variés, parmi lesquelles :
Festival de Locarno 2006: regard subjectif
Un petit coin de paradis ?
Opération Shakespeare: une mini saga
J’ai également lu et apprécié 2 ou 3 de tes bouquins, en particulier « Le trajet d’une rivière », alors même que je suis relativement peu sensible à la musique !
Mais en ce qui concerne Van Gogh, tu auras du mal à me convaincre :
J’ai effectivement cliqué, et agrandi l’image au maximum. Peut-être est-ce perceptible sur l’original, mais sur l’image de l’humeur, je suis bien incapable de discerner la moindre expression sur le visage de l’homme. Sur celui de la femme, il me semble deviner un sourire, mais cela n’a rien d’évident.
Pour résumer, l’image n’est pas assez précise à mon goût. Je préfère infiniment Pieter Brueghel, ou Rembrandt. Je fais partie des gens qui quand ils apprécient une image veulent pouvoir s’en approcher à moins de 10 cm pour mieux en apprécier les détails. C’est strictement incompatible avec l’école impressionniste (et Van Gogh, que tu sembles vouloir classer à part).
Attention à ne pas tomber dans le travers que tu dénonces. L’autisme peut être une forme d’inadaptation sociale, comme le syndrôme d’Asperger, évoqué ces derniers jours dans la presse à propos d’un Britannique qui doit être extradé vers les États-Unis
Voici quelques liens :
le syndrôme d’Asperger, sur le site « Asperger Aide France »
le syndrôme d’Asperger, sur Wikipedia en français
Un article du Monde sur le Britannique évoqué
, le 04.08.2009 à 17:09
J’écoutais tout à l’heure sur France Culture une intéressante émission sur Édouard Boubat, le « correspondant de paix», selon Prévert. On abordait notamment le fait que Boubat, mais aussi Cartier-Bresson et bien d’autres, prenait peu de clichés.
Aujourd’hui, le photographe lambda ne peut se passer du moteur qui lui permet de shooter en rafale. Comment veux-tu, Anne, que la pensée puisse intervenir à un moment quelconque dans cette frénésie de déclenchements ? Le photographe frénétique d’aujourdhui fera le tri, a posteriori, parmi ce que le hasard lui aura fourni tandis que Boubat pensait a priori le cliché qu’il allait prendre. Deux mondes.
—
À écouter également sur France Culture, du lundi au vendredi de 19 h 30 à 20 h 30, la retransmission des cours de l’Université populaire de Caen donnés par Michel Onfray cet hiver dans le cycle “Contre histoire de la philosophie”. Un sujet de choix cette 7e année : Nietsztche et un français méconnu : Guyau.
Le site aujourd’hui avant l’émission. Les choses sont très bien faites puisque vous pouvez consulter le cours en déroulé pendant l’écoute. Si vous avez manqué la première semaine, vous pouvez vous rattraper dans les archives, en haut à droite sur la barre de menus.
Un autre regard sur Nietszche, bougrement intéressant.
, le 04.08.2009 à 17:20
Le propre de l’impressionisme est de confier – c’est la grande générosité de cette peinture – à celui qui regarde le tableau une part d’interprétation. L’imagination et la sensibilité personnelles sont au pouvoir.
, le 04.08.2009 à 17:28
Cher Okazou, je ne parlais bien entendu pas du photographe à moteur… Je parlais de ces photos qu’on pense à faire, et puis on y repense, et puis un jour (après avoir longtemps réfléchi) on se met en situation de les faire.
J’aurais plusieurs exemples qui me concernent, si vraiment ça t’intéresse, mais par ailleurs je pense à un exemple photographié par François ici Il faut y aller au lever du soleil, se préparer, attendre – ce n’est plus tout à fait de la photo à moteur, on entre dans le domaine de la réflexion. Personnellement, j’ai acheté un appareil de photo parce que j’aurais voulu être peintre, mais l’école communale a détruit cela très tôt, et j’ai voulu tout de même me faire le plaisir d’encadrer des instants de réalité.
Cela dit, je n’ai jamais eu, personnellement, que la prétention de me faire plaisir, et de revoir en images quelques traces de tableaux mentaux que je m’étais peints.
, le 04.08.2009 à 17:42
Bâlois d’adoption, et ayant vécu à Amsterdam deux ans, j’ai visité les deux expos. Je ne peux que vivement recommander celle de Bâle. Car comme le dit très justement Anne, la perspective est nouvelle, malgré le monde cela vaut le coup de faire un saut. Je recommande également l’audio-guide sous forme d’iPod, bien fait et pas trop fatiguant pour une fois.
De plus, la région regorge de bonnes choses avec l’Alsace et l’Allemagne pas loin.
, le 05.08.2009 à 00:15
Okazou, le photographe à moteur peut pallier la difficulté d’avoir l’expression voulue au bon moment d’un sujet quelconque.
Le peintre lui fait ce qu’il veut.
Le photographe pas vraiment, sauf en studio.
C’est clair que ce qui a fait les grands photographes dont parle Anne dans cet article, c’est justement leur grande capacité de saisir l’instant qui fait tilt, dans un cadrage et des tirages impeccables.
C’est magnifique, mais combien de photos laissées de côté? As-tu vu les planches contacts des grands photographes? Pour une photo choisie, 30 de jetées.
Donc le photographe moteur peut très bien faire de belles choses aussi.
Je précise que je ne suis quasiment jamais sur le mode rafale, donc je ne cherche même pas à me défendre…
, le 05.08.2009 à 08:29
Pour prolonger votre réflexion, je vous invite à aller voir ceci
, le 05.08.2009 à 08:56
La semaine dernière, j’ai travaillé avec un cameraman qui filmait des tableaux peints au XVIIIe siècle, que je vais utiliser pour faire un petit film dont je vous parlerai un de ces jours. Chaque prise de vue (filmée, mais ce serait pareil pour des photos) était travaillée avec la lumière, et au bout d’un moment nous avions la sensation d’être en train de peindre, et non de filmer. C’était extraordinaire. Chaque prise de vue durait un temps infini (en préparation).
Rien ne remplace la peinture d’un certain point de vue. Mais je ne mettrai pas la photo au rencart pour autant – comme le dit François plus haut, entre le travail qu’on fait sur place, puis ensuite en studio (chambre noire ou ordinateur), on peut obtenir des images sublimes, qui satisfont autant qu’un tableau peint. C’est dans cette perspective qu’il me paraissait que l’exposition van Gogh, et la peinture de Vincent, interpellait le photographe passionné de photographie.
, le 05.08.2009 à 17:14
Mauvaise connaissance de l’exigence de nos artistes. Ce qu’ils ne sélectionnent pas, bien d’autres l’auraient conservé. Et puis, je le répète, peu de clichés. C’étaient des maraudeurs en quête de l’événement qui allait ou pas se produire sous leurs yeux. Boubat en est le meilleur exemple puisqu’il ne faisait que ça. Très peu de clichés, donc. Pas de séries hors les portraits.
Imagine un peu ce que serait aujourd’hui une planche de contact. Rien à ajouter, n’est-ce-pas ?
Depuis l’avènement de la photo numérique ça shoote à tout va (rafale ou pas, c’est pareil). La frénésie est un pur comportement de consommateur. On a de l’argent pour acheter un boitier, on achète le plus cher qu’on peut, et puis on justifie sa dépense en tirant sur tout ce qui bouge, qu’importe l’intérêt du sujet, qu’importe son traitement puisqu’un clic ne vaut plus rien. La photo non plus. Parmi une kyrielle de clichés on choisira sur son écran d’ordinateur celles qui nous semble les moins mauvaises.
Et où est passé l’humain ? On ne se risque plus à s’y intéresser. On fera du paysage. Vide. De la photo d’architecture. Vide. De la nature morte. Vide. Du plan rapproché de détail. Vide. Vous avez dit : « Et l’homme, dans tout ça ? »
Les noms des photographes que nous avons cités ici sont toujours liés à l’homme en situation de vie.
Je n’ai vraiment rien contre la nature photographiée, l’architecture photographiée ni contre la peinture écaillée d’une coque de vieux bateau en gros plan. Si le traitement est intéressant. On est dans l’esthétique. Mais la photo de la joie de cette petite fille à genoux dans les pétales de fleurs de l’arbre sous lequel elle prend littéralement une douche de pétales, cette photo en noir & blanc de Boubat, elle, m’émeut.