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C’était mieux avant!

La Jamaïque, années 50. Comme dans les Etats du Sud: population majoritairement noire africaine, vie rude, violence, ségrégation, religion, musique. Musique comme échappatoire. Et comme en Europe au lendemain de la guerre, à la faveur des soldats américains stationnés dans l’île, bercés par les disques et la radio, on découvre le jazz, le rythm’ & blues, que l’on s’empresse de reproduire et de mêler aux rythmes traditionnels comme le mento, la calypso, le merengue. Un nouveau son émerge, plus rapide, plus syncopé, se propage rapidement grâce aux sound systems (sonos mobiles) des dancehalls populaires, en phase avec de nouvelles espérances. Le ska est né.

Laissez-vous guider par la curiosité et piochez parmi les liens, comme un jukebox

en voici l’acte de naissance officiel (1956)

un dancehall

Je vois des sourcils se lever… Késako? Je précise je ne suis pas du tout musicien (au pire mélomane comme vous), mais l’avantage avec cette musique est de pouvoir identifier aisément sa singularité. La mesure étant en 4 temps, une note est attaquée sur les temps faibles que sont les 2e et 4 temps, marquée généralement par un accord à la guitare, et suivie d’un silence dans les temps forts, donc à contre-temps (skank) de la mesure. Les morceaux étaient au départ plutôt instrumentaux mais joués dans un rythme frénétique et soutenu par les lignes de basse et les percussions. Comme le battement de cœur d’une jeunesse qui s’accélère…

Les pionniers:

Mais pourquoi ska? Les théories entre musiciens diffèrent, je vous laisse choisir. Le guitariste Ernest Ranglin rapporte que le terme a été inventé en référence au "skat skat skat" caractéristique produit par les accords de guitare, affirmant que la différence entre le R&B et le ska est que l’un fait « chink-ka » quand l’autre fait « ka-chink ». Derrick Morgan, plus pragmatique dira que la guitare et le piano font un bruit de… ska. Autre explication, durant une session d’enregistrement du producteur Clement ‘Coxsone’ Dodd, le bassiste Cluett Johnson indiqua à Ranglin de jouer « ska ska ska », bien que nié par l’intéressé (forcément). Une autre est qu’il dérive du salut de Johnson auprès de ses amis, « skavoovee ». Version proposée par Jackie Mittoo: Byron Lee a traduit le nom initialement donné au rythme « Staya Staya » en « ska ».

Le succès lui est immédiat et en fait la danse et la musique populaire de la Jamaïque. Il faut fournir la demande avec les dubplates (disques à un exemplaire) permettant aux producteurs de tester et promouvoir les artistes, aux sound systems d'obtenir des exclusivités pour se distinguer des concurrents, et aux artistes de se faire connaitre et tenter de gagner leur vie. Surtout que les productions R&B américaines tant appréciées viennent à manquer, éclipsées par le rock ‘n roll blanc. Mais après l’euphorie de l’indépendance la situation économique de l’île obligent de nombreux jamaïcains à émigrer vers le Royaume-Uni emmenant avec eux leur musique (où le ska s’appellera alors blue beat du nom d’un label britannique).

Beaucoup de reprises de vieilles chansons ou des hits UK/US, une spécialité du ska:

version doo woo (1956)

la reprise, un carton

oui, c'est bien Bob

réinterprétation du morceau d'un autre Bob

Et là vous allez me dire: mais dis-donc, le rythme ralentit, ça chante… Eh oui, La 1e vague du upbeat ska cède la place au milieu des années 60 au rocksteady (se balancer sans interruption, régulièrement), à cause soit des vagues de chaleur où skanker devenait un sport d’endurance soit des voyous désœuvrés appelés rude boys présents en soirée qui se distinguent par des mouvement lents et menaçants et que les musiciens tentent de calmer. Plus de clavier, plus de chant, moins de cuivre, une basse électrique remplaçant la contrebasse, temps fort sur le 3e temps, des chansons d'amour mais aussi des textes engagés sur les conditions sociales...

Une partie du succès et de l'avenir se joue ailleurs à présent, aux USA mais surtout en Angleterre… Le grand rival de ‘Coxsone’ à Kingston est un ancien flic, Duke Reid, qui lui sillonne les rues avec sa sono mobile The Trojan King of Sound System (le troyen) montée sur son van Ford Trojan, en concurrence avec Downbeat Coxsone Soundsystem. Il fonde également sa propre maison de disque Treasure Isle et commence à signer des artistes découverts par Studio 1 (le Motown jamaïcain). Duke Reid préférait le rocksteady et les morceaux longs au ska et son format plus court et simpliste. Mais il passera à côté de la vague suivante, n’adhérant au phénomène rasta.

Par contre Chris Blackwell, le fondateur du label Island Records créée une filiale sur le marché britannique dédiée à la musique jamaïcaine, en éditant des artistes issus notamment de Treasure Isle et en reprenant son surnom: Trojan Records. Le célèbre logo du label reprendra le casque des guerriers de la Grèce antique. Dans le East End de Londres, les jeunes de la classe ouvrière, les plus radicaux et moins sophistiqués des mods, ou hard mods, changent de style et de musique pour donner naissance aux skinheads (crânes rasés, chemises ou t-shirts, Doc Martens aux pieds, souvent des bretelles tenant leur jean ou leur sta-prest, tatouages). Ils cohabitent avec les rude boys émigrés partagent la même nationalité, la même condition sociale, le goût pour la culture de rue, le football, la violence, la musique. Ils rejettent surtout la classe moyenne et le style hippie qui ne leur correspondent pas mais s'identifient davantage à la volonté d'émancipation des opprimés et dépossédés de Kingston. A la fin des années 60, lorsque le tempo du rocksteady s’accélère avec une prédominance de la basse, le early reggae débarque en Angleterre sur le catalogue de Trojan Records avec un succès immédiat (au point qu’on l’appellera aussi skinhead reggae).

Mais la mode skinhead passe rapidement, le tempo du reggae ralentit lui aussi avec et évolue vers le one-drop, le dub et le roots et le moderne, surtout avec le mouvement rastafari. Le reggae qui n'a pas eu bonne presse, reste une protestation, une critique sociale et politique tout en faisant danser les foules, et rayonne désormais partout dans le monde, avec Bob Marley et les Wailers en ambassadeurs. Et le ska alors? A la fin des années 70, le mouvement punk s'essouffle à son tour. Certes les Clash mélange punk rock et reggae avec brio, mais ils sont bien les seuls. Un groupe de Coventry se lance lui dans la fusion du ska et punk, et avec l'aide du manager des Clash, non seulement se crée une identité basée sur le ska mais également son propre label et marque à la fois: The Specials et 2-Tone Records. La 2e vague du ska démarre.

je vous le recommande!

Le claviériste et fondateur Jerry Dammers dira à ce propos: "le nom 2-Tone fait allusion aux habits à deux tons que les rude boys et les skinheads portaient, et non à l'unité entre les ethnies. Le damier noir et blanc était également un symbole rude boy." L'époque n'est pas franchement drôle en Angleterre. Montée du chômage avec la crise, et de l'intolérance raciale en parallèle. Si la musique punk catalysait la colère de la classe ouvrière, le mouvement punk a lui stimulé un renouveau dans les rangs skinheads, ceux qui ne trouvaient pas les punks assez radicaux, et leur colère confuse et leur désœuvrement s'est alors dirigée dans la mauvaise direction et contre la mauvaise cible: l'immigration, notamment avec le paki bashing (lynchage de pakistanais). Des mouvements d'extrême-droite avec en tête British National Front réussiront à rallier certains skinheads à leur compte et leur faire renier leur mouvement originel. Les concerts viraient rapidement à la violence gratuite et à l'émeute avec les skinheads "nazi", renommés boneheads (têtes d'os). Mais le mouvement 2 Tone a rencontré son succès avec des morceaux dansants et des textes engagés des groupes comme The Specials, Madness, The Selecter, Bad Manners, The Beat, The Bodysnatchers (les 3 1ers toujours actifs!). Ils n'auront de cesse de prôner l'unité et dénoncer la haine et l'injustice, dans un pays divisé et en crise profonde, sous l'ère Thatcher.

En 1985, la 2e vague a vécu. Bob Marley est mort 4 ans plus tôt, le ragga et les rythmiques numériques apparaissent. Le ska est mort alors? Toujours pas! Une 3e vague arrive peu de temps après aux Etats Unis en Europe et un peu partout dans le monde: c'est le ska revival. Avec un rythme soutenu et rapide, beaucoup de cuivres, de la fusion avec du punk et d'autres genres musicaux, ou un retour aux racines jamaïcaines. Bref, il y en a pour tous les goûts et bon an mal an perdure encore aujourd'hui avec des scènes régionales toujours très actives... Le plus grand label de musique ska au monde, Moon SKA NYC Records est créé par le groupe The Toasters.

Pourquoi cette humeur me direz-vous ? Disons que c’est l’hiver, on vient de terminer une année franchement moyenne et on en attaque une autre guère plus réjouissante pour le moment. Ah, vous aussi? J’adore avoir un fond sonore musical pour me détendre comme pour bosser (ça me fait d’autant mieux apprécier le silence ensuite). Bien qu'étant assez éclectique en musique, j’avoue pourtant que l’écoute du ska, comme aucune autre musique, chatouille toujours agréablement mon ouïe et donne instinctivement l’envie de bouger et danser à mon corps. Alors quand arrive une soirée avec des amis (scootéristes), là je sais que l’on va passer un très bon moment. Et je me souviens encore écouter Madness et son nutty sound quand j'étais minot. Bref, à chaque fois c’est l’évasion, ça fait du bien et on en a bien besoin, non? Pourtant le ska a 60 ans… c’est vieux, c’est jeune! (Alors 15 ans, franchement…) Autant partager avec vous. D'autres amateurs qui sait?

19 commentaires
1)
Tilékol
, le 17.01.2017 à 08:38

Hou là là…
C’est exactement ce type d’article qui va me faire tant regretter cuk dans quelques semaines…

MERCI pour cette belle histoire et pour ces découvertes. Trop drôle, le groupe japonais !
Et merci pour m’avoir fait découvrir que « One step beyond » n’était pas une création de Madness (dont j’ai encore le 33 tours de l’époque) mais est bien plus ancien.

Et vive la musique.

2)
Madame Poppins
, le 17.01.2017 à 09:40

Pourquoi « avouer » écouter du ska ? Ce n’est pas une « faute », sauf à considérer qu’il y a de « bonnes » et de « mauvaises » musiques : à retenir surtout le plaisir procuré par l’écoute, non ?

Merci pour les nombreux liens, c’était un voyage amusant !

Belle journée,

3)
Alias
, le 17.01.2017 à 10:26

Merci pour cet article très intéressant.
Si vous aimez la Jamaïque et l’histoire de sa musique, je me permets d’y adjoindre un conseil de lecture: le dernier livre de l’écrivain jamaïcain Marlon James intitulé « Brève histoire de sept meurtres ».
Un véritable chef-d’oeuvre que je viens, hélas, de terminer.

4)
Gr@g
, le 17.01.2017 à 10:33

Woaw!!!

merci pour cette histoire, pour ces liens!

Je commence par le Tokyo Ska Paradise, et c’est dingue!!! Je prendrai le temps plus tard pour le reste!

Voila des liens de groupes plus régionaux, dans le même style:

Todos Destinos

Huge Puppies

et je pourrai fouiller mes archives pour en retrouver!

5)
Blues
, le 17.01.2017 à 11:05

Superbe, excellent, merci Drazam ! j’ai fait un exercice du genre il y a 3 ans (le ska et ses dérivés en passant par les : Rocksteady, Reggae, SkaPunk et Revival des 80’s = des racines à aujourd’hui, en passant même par ses mix avec du Dub, de la DanceHall etc.. bref Jamaïcan Style).

On m’avait demandé pour ce gig (en suivant un concert live de Ska) de DJizer la fin de soirée jusqu’au petit matin; même si mes connaissances du sujet étaient déjà pas mal, j’ai décidé de me documenter un max et de faire ça le plus pointu possible, chronologiquement en « montant » dans les années !

Finalement les moments qui ont le mieux « marché » (je parle de de se « mover = dance ») c’est les reprises des divers standards pop connus des 60/70’s par des groupes Ska 80’s / et SkaPunk à aujourd’hui (Tosater, Less Than Jake, Reel Big Fish etc..) avec une mention pour la reprise de « Monkey Man » par Amy Winehouse.
Je me suis même permis de déborder sur du Ska-Latin-Tropical en sélectionnant quelques titres du fabuleux Manu Chao Live : Radio Bemba Sound System

Le résultat de mes recherches est : quelques bonnes séries de listes iTunes crées « pour une ambiance d’enfer »

6)
cvanquick
, le 17.01.2017 à 11:06

Merci pour les références.

Ca fait du bien par où ça passe.

7)
Caplan
, le 17.01.2017 à 12:09

Le scooter mène au ska? Ou le contraire? ;-)

Je suis inscrit sur ce site musical consacré au reggae, au ska et à la soul (à l’origine à cause de la soul). Je t’encourage à le faire: c’est très intéressant.

T’as ton petit chapeau?

8)
Modane
, le 17.01.2017 à 13:25

Avec un ruban à damier?

9)
drazam
, le 17.01.2017 à 14:12

Merci pour vos commentaires! Si vous avez apprécié, fredonné, yaourté, bougé sur ne serait-ce qu’un seul morceau, alors j’ai gagné ma journée. Dur de faire cette sélection, car choisir c’est renoncer… N’hésitez pas à partager vos découvertes et vos coups de cœur.

Je retiens ton conseil de lecture Alias. Greg & Blues merci pour vos liens, sympas. Je préfère la version de Monkey Man de Toots & The Maytals ou des Specials, mais Amy Winehouse a fait pas mal de reprises ska en concert et s’est produite sur scène avec les Specials. Rhôôô, nickel Caplan!

Du scooter au ska ou du ska au scooter, je ne sais plus très bien à présent, et pas encore de pork pie hat ou flat cap mais ça ne saurait tarder!

10)
zit
, le 17.01.2017 à 14:14

Pour filer la métaphore extractiviste : c’est pas des pépites, c’est pas un filon, c’est une mine !

z (merci beaucoup pour le partage, je répêêêêêêêêêêêêêête : donne envie de pogoter, tout ça)

11)
Blues
, le 17.01.2017 à 15:11

Comme j’avais 20 ans à la fin des 70’s et que j’étais fan de la mixture ska-reggae-punk fusion, je me permets de préciser que pour moi il n’y avait pas que les Clash qui mélangeaient le punk rock et reggae avec brio, ce serait limitant; oui les Clash étaient bien « la crème », mais il faut aussi citer : Police (en plus « gentillet ») : les 2 premiers albums (Outlandos d’Amour et Reggatta de Blanc) sont super top et restent des standard du genre ! Joe Jackson (les premiers albums > Look Sharp! I’m the Man et Beat Crazy) qui sont géniaux dans le genre, puis Elvis Costello qui a aussi produit quelques titres (Watching the Detectives), en moins connu « The Slits » (un groupe féminin) ou « The Ruts » sont aussi de la même mouvance que les Clash. En version USA fin 70’s : ne pas oublier non plus « Fishbone » et les « Bad Brains« 

12)
Jean-Yves
, le 17.01.2017 à 15:57

Waouh ! Heureux que Cuk s’arrête sans disparaître.
Cette remarquable et passionnante anthologie restera donc accessible.
Merci encore ;-)

Bien que je n’aie pas encore cliqué sur tous les liens et dépendances, bravo pour ce superbe article qui mérite une relecture plus attentive que je me réserve pour la soirée…

13)
Sirrensis
, le 17.01.2017 à 18:08

Merci! Et une liste de lecture supplémentaire, de plus elle est commentée. Superbe!
Comme indiqué par d’autres, nous aurons encore le plaisir d’y accéder plus tard. J’apprécie beaucoup ce genre d’articles, avec des pépites, des découvertes.

14)
ToTheEnd
, le 17.01.2017 à 18:29

Si tu avais passé plus de temps avec moi, tu serais DM à fond maintenant… mais bon, c’est vrai que Madness c’était quelque chose!

T

15)
François Cuneo
, le 18.01.2017 à 10:32

Merci pour tous ces liens.

Bon, le ska, ce n’est pas tout à fait mon style. Mais je découvre de jolies choses dans tes liens.

Purée, attendre le dernier mois (ou presque) pour me rendre compte que l’on peut faire des puzzles de vidéos sur cuk, je n’y crois pas!

Moi qui ai déjà de la peine à en lier UNE!

Tu as fait comment???

16)
drazam
, le 18.01.2017 à 12:06

François, si tu prolonges Cuk, je te montre comment faire! :-p (j’ai appris sur le tas)

ToZiEnd, je me doutais bien de ton commentaire… ;-)

Blues, tu as raison, je suis allé un peu vite en besogne, donc acte. On voit surtout l’ouverture vers le punk. J’en profite: toute ressemblance avec une époque passée, des mouvements de protestation, une rage exprimée, leur expression musicale, ne serait absolument pas fortuite. Je parle de notre époque actuelle hein, et des scènes musicales alternatives existantes.

17)
seob6473
, le 18.01.2017 à 13:38

Salut drazam,

Je ne me souviens pas t’avoir jamais entendu parler de ska, mais cela date d’avant tes aventures caribéennes…

Ton post a eu le mérite de remettre les choses dans le bon ordre, pour moi qui croyait que le rocksteady était la matrice originelle du ska et du reggae !

Autre mérite : je vais aller de ce pas me faire une playlist rocksteady, avec Prince Buster, Desmond Dekker, The Ethiopians etc

Jah love à tous, pour 2017 !

18)
drazam
, le 18.01.2017 à 18:33

Je me doutais bien que ça allait te plaire Sébastien… Disons qu’à l’époque, j’écoutais d’autres trucs, et que ce n’était plus vraiment à la mode ni toujours bien vu… Mais tôt ou tard, un goût de reviens-y!

J’attends aussi le commentaire de l’homme de musique à la vespa et à la parka (verte)!