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Pour quand je ne serai plus vraiment là…

"C'est clair, j'y ai déjà pensé, si j'deviens un jour un légume, j'veux pas d'acharnement thérapeutique".

Cette phrase, vous n'imaginez même pas à quel point je l'ai déjà entendue souvent. Non, je n'ai pas changé de métier, je ne suis toujours pas médecin (merci mon dieu) mais m'étant spécialisée dans les questions relatives aux "directives anticipées" au sens des art. 370ss CC, forcément, après avoir entendu la "théorie", les gens ressentent le besoin de partager leur vécu, leur vision, leurs craintes, leurs attentes : j'ai présenté ce sujet à des familles en EMS, à des médecins hospitaliers, à des étudiants, à des professionnels du domaine social, partout les réactions sont vives, les interrogations presque infinies.

Sauf que je soupire, intérieurement, lorsque je l'entends, cette affirmation. Parce que, figurez-vous, la loi est (une fois n'est pas coutume) claire : "le médecin respecte les directives anticipées du patient, sauf si elles violent des dispositions légales, ou si des doutes sérieux laissent supposer qu'elles ne sont pas l'expression de sa libre volonté ou qu'elles ne correspondent pas à sa volonté présumée dans la situation donnée" (art. 372 al. 2 CC).  Mais... vous l'attendiez, ce "mais"... pour respecter quelque chose, il faut en saisir le sens, savoir ce qui, pour la personne là, gravement malade ou accidentée, représente de l'acharnement thérapeutique : à user uniquement de ces mots, sans autres précisions, j'estime qu'on ne dit pas grand-chose de concret et qu'on met et le médecin et l'entourage en difficulté.

Mais reprenons dans l'ordre.

Depuis le 1er janvier 2013, une modification importante du Code civil suisse est entrée en vigueur. Elle permet à toute personne capable de discernement de prendre par anticipation pour elle-même des décisions notamment sur le plan médical pour indiquer ce qu'elle entend accepter ou refuser comme mesure diagnostique, curative ou palliative (pour régler les aspects financiers au sens large, il est possible de rédiger un mandat pour cause d'inaptitude) si elle devait être dans l'impossibilité de se déterminer en raison d'une atteinte à sa santé.

Cette impossibilité peut être passagère (grave accident de la route dont le patient se remet lentement) ou pour ainsi dire définitive (Alzheimer à partir d'un certain stade).

Parce qu'on a des valeurs, des croyances religieuses, personnelles, philosophiques, parce qu'on ne veut pas que les personnes désignées par la loi (art. 378 CC) soient confrontées à des décisions difficiles, on se met à table, un soir, un midi, seul ou avec tous ses proches, pour réfléchir à des questions majeures.

Sauf que... sauf que c'est quoi, les questions "majeures" qu'il faut se poser ? Le monde médical a réussi à faire croire aux gens, en Suisse, qu'ils doivent remplir un formulaire pour établir des directives anticipées, ce qui est totalement faux : il est loisible à tout un chacun de prendre une feuille, sa plus belle plume pour noter la ou les choses qui sont importantes pour elle / pour lui médicalement.

Je crois que parvenir "au bout" de la rédaction (comprenez "dater et signer", des modifications ultérieures étant toujours possibles) de ses directives anticipées  est le résultat d'un long cheminement, de très nombreuses réflexions, avec son médecin traitant mais également avec ses enfants, ses amis, des représentants de sa communauté religieuse, la liste n'étant pas exhaustive (le coiffeur peut être une source d'inspiration, tout comme l'amant ou le prof de Pilates, à vous de voir).

Eric Masserey a fait de ses cogitations dans ce domaine un livre, dont la lecture peut être instructive, sobrement intitulé "directives anticipées", dont vous trouverez un extrait ici : il allie à sa connaissance du monde médical (il est actuellement médecin cantonal adjoint, dans mon petit coin du pays, à savoir Vaud) un talent largement reconnu pour la littérature. Ses mots sont justes, sensibles, précis, lyriques par moments.

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De cette oeuvre, il a tiré ensuite une pièce de théâtre à laquelle j'ai eu la chance d'assister vendredi soir et même si les questionnements étaient graves, le public, fort nombreux, a ri, souvent.

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Iris face au formulaire de la compagnie d'assurance : un calvaire pour elle

Modérée avec doigté et finesse par Isabelle Moncada, la table ronde qui a eu lieu après la pièce a permis au public d'aborder différentes préoccupations avec les "experts" conviés à cette fin.

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dont notamment Dr. Karim Boubaker, Prof. Catherine Schmutz et Dr. Philippe Eggimann

Je déplore que le temps imparti n'ait pas permis d'aborder toute l'importance du représentant thérapeutique, cette personne que l'on se choisit - si souhaité en dehors du cercle familial, au profit d'un-e ami-e, un être cher qui nous connaît bien - pour prendre les décisions "manquantes". En effet, même les directives anticipées les plus complètes ne pourront pas "tout" prévoir, la vie étant toujours plus facétieuse que prévu. Il est d'ailleurs possible de ne rédiger qu'une seule directive anticipée "je nomme Pierre Paul Jacqueline Françoise comme représentant-e thérapeutique".

Depuis que je "navigue" dans ce domaine des directives anticipées, je comprends enfin la phrase de Coluche "je veux mourir de mon vivant" : j'espère ne jamais "perdre la tête" et rester jusqu'au bout capable de choisir moi-même, sans que mes directives anticipées ne doivent être sorties de leur enveloppe.

Et vous, déjà songé au fait que, peut-être, un jour, vous ne pourrez plus décider directement ? Qu'est-ce qui sera alors important ? Qui sera l'interlocuteur du monde médical ?

 

PS. Si les droits belge et français connaissent aussi les "directives anticipées", leur sens y est différent et non contraignant, au contraire de la Suisse. Les considérations exposées ne valent donc qu'en Helvétie à ce jour.

 

10 commentaires
1)
Mirou
, le 28.11.2016 à 09:34

Merci pour cet article autant instructif qu’agréable. Vu le sujet c’est une gageure!
Est-ce que, en l’absence de ces directives, mais en présence d’un mariage ou partenariat enregistré c’est automatiquement le conjoint qui devient représentant thérapeutique?
J’imagine que oui, mais est-ce qu’un accord écrit peut néanmoins faciliter les démarches?

2)
iYannick
, le 28.11.2016 à 11:26

Dans l’absence de directives, la loi dresse une liste pour la représentation médicale. Cette liste se retrouve à l’art. 378 I CC et est hiérarchique, le conjoint et le partenaire enregistré n’arrivent qu’en troisième place après la personne désignée par les directives anticipées et le curateur (pour autant que la curatelle s’étende aux décisions en matière médicale).

Si on ne fait pas de directives et qu’il y a un curateur dans l’équation, ils ne pourront rien décider. Par contre si pas de curateur, le conjoint et le partenaire seront nommés représentants automatiquement par le simple effet de la loi.

Concernant l’accord écrit dont tu fais mention, il réside, en matière médicale, justement dans les directives. Une directive anticipée peut simplement se borner à désigner un représentant (370 II CC) qui devra alors, s’il ne reçoit pas d’autre instructions, se baser sur la volonté présumée de l’intéressé et ses intérêts (378 III CC)

3)
ysengrain
, le 28.11.2016 à 11:31

En France, successivement 2 lois, dites loi Leonetti du nom du cardiologue et député ayant suscité ces lois, en 2005 et récemment en 2016 ont été votées.

Ces 2 lois encadrent la gestion de la fin de vie. Elle est donc opposable aux médecins.
Sauf que la première loi, relativement aux directives anticipées, indiquait que ces directives n’étaient pas opposables aux médecins qui, de fait avait le dernier mot.
La loi de 2016 a corrigé cet aspect – entre autres.
En clair, une déclaration sur papier libre contresignée par les « 2 personnes de confiance » désignées et qui ont accepté est suffisante.

Il reste que le sujet est vaste. Je ne le limite pas aux directives anticipées. J’ai pu observer au long de ma vie professionnelle l’évolution des positions, tant du corps des médecins.
Dans les années 70-80, la prescription de morphine dans la lutte contre la douleur était rare.
En 1999, est publiée la loi dit loi Kouchner imposant la prise en charge de la douleur. Outre le soulagement de la douleur, elle a permis de constater que les notions pseudo-physiologiques impliquant une addiction en cas de prescription de morphine étaient sans aucun fondement: On ne devient pas addict si on reçoit de la morphine en cas de douleur. Il n’en est pas de même en cas de prise « récréative » en dehors d’un contexte de douleur.
Je crois que cette prise en charge de la douleur a été initiatrice des lois Leonetti.

Enfin, 2 exemples vécus.
Le premier relatif, avant la première loi Léonetti, à un homme de 40 ans en état végétatif chronique. 2 experts avaient indiqué qu’aucun retour n’était possible. Ce patient était ventilé, dialysé et recevait force « tonicardiaques ».
Nous avons réuni la famille: son épouse, sa mère et 3 frères et soeurs, proposant d’arrêter doucement les soins.
Tous étaient d’accord, sauf la mère. Nous nous sommes fait conseiller par deux avocats, l’un du conseil de l’ordre des médecins, l’autre de la plus grosse compagnie assurant les médecins: « n’arrêtez pas, la mère aura toujours raison devant les tribunaux ».
Plusieurs mois après, le patient est décédé spontanément.

Le second exemple: un proche en fin de vie avait rédigé des directives anticipées. L’équipe de soins palliatifs n’a rien opposé et a mis en place une sédation profonde et continue.

Mise à jour 18h30 : je ne l’avais pas mentionné, mais j’ai rédigé mes directives anticipées et désigner deux personnes de confiance

4)
Nept
, le 28.11.2016 à 12:20

Bonjour, et merci pour cet intéressant article.

Intéressant pour moi à double titre, car je suis médecin, mais je suis aussi patient, car on m’a diagnostiqué récemment une maladie très grave, ce qui fait que je me retrouve actuellement « de l’autre côté du stéthoscope ».

En Belgique, puisque c’est là que je vis et travaille, la loi prévoit également la possibilité pour le patient d’exprimer son choix quant aux traitements qu’il souhaite ou non recevoir.
Au moment même s’il est capable de s’exprimer en toute compréhension de la situation, mais aussi de manière anticipative, pour « le cas où » il ne serait plus capable.
Ces choix peuvent être exprimés par écrit, ce qui facilite sans doute leur communication, mais ce n’est en rien une obligation.
On a également le droit de désigner une personne de confiance de son choix, personne qui va représenter valablement le patient lorsque celui-ci n’est pas capable de le faire.
A noter que ceci est valable sans limite de temps, contrairement à la déclaration de volontés anticipées relative à l’euthanasie, valable 5 ans.

Il me semble (je devrais vérifier les textes que je n’ai pas sous la main, mais j’en suis quasiment certain) que les volontés du patient, exprimées directement ou via sa personne de confiance, sont contraignantes pour le médecin.
Donc si je refuse un traitement on ne peut pas me l’administrer. Ceci y compris si ce refus peut avoir des conséquences mortelles.
La seule exception serait si le médecin traitant soupçonne que le patient (ou son représentant) est manipulé par un tiers qui aurait intérêt au décès, auquel cas on peut faire appel au tribunal.

J’espère avoir contribué à éclairer le débat.

5)
Tom25
, le 28.11.2016 à 14:23

Sujet aussi délicat que sensible. Ma sœur a partagé cette vidéo Facebook ce matin, et s’il ne parle pas du sujet d’aujourd’hui, je pense que ça le pourrait tout autant :
La morale selon Alexandre Astier

6)
Leo_11
, le 28.11.2016 à 16:20

Bon ben j’ai pas tout lu… mais je pense que ma remarque/question va rentrer dans ce cadre…

Qu’en est-il de cette triste affaire qui c’est déroulée il y a quelques temps à Genève… je veux parler de cette octogénaire qui a fait appel à Exit qui a été « obligé » de se supprimer lui même car ses frères avaient saisi la justice pour bloquer l’intervention d’Exit…

Est-ce normal ?
Y a-t-il un moyen pour éviter ce problème ?

7)
Dom' Python
, le 28.11.2016 à 18:25

Pour répondre à tes question, Madame, oui, j’y ai déjà songé. Plus particulièrement au moment du décès de ma mère.

Elle était hospitalisée et les toubibs m’ont appelé pour me faire part d’une brusque péjoration de son état. Se posait alors la question de savoir si elle désirait être réanimée si besoin, ou si on la laissait partir. Je leur ai répondu qu’elle avait exprimé sa volonté claire de ne pas être réanimée, de ne par subir d’acharnement thérapeutique. Je leur ai dit que je n’en avait pas reparlé récemment avec elle, mais que j’étais certain à 98% (en réservant 2% par honnêteté intellectuelle) qu’elle n’avait pas changé d’avis sur la question. Ils m’ont alors répondu que cela allait bien dans le sens du document que l’EMS leur avait remis au moment de son hospitalisation. C’est ainsi que j’ai appris 1/ qu’il existait ce document de « Directives anticipées » et 2/ que j’ai eu connaissance que maman l’avait remplis lors de son entrée en EMS. Eh bien, malgré la quasi certitude qui était la mienne, j’ai reçu cette information avec un certain soulagement. Mine de rien, même en étant sûr de moi, cela me faisait bizarre d’avoir en quelques sorte « la vie de ma mère entre les mains » comme on dit. Et l’existence de ce document m’a apporté une certaine paix.

J’ai alors décidé que je remplirais un tel document… mais je ne l’ai pas encore fait. Peut-être en partie parce que j’ai passé bien quelques années de ma vie avec un désir de mort; du coup je craignais que le fait de remplir ce document officiellement représenterait comme une sorte de pas, petit certes, vers au mieux l’euthanasie, au pire le suicide.

Avec ma femme, nous nous sommes dit que, une fois que nous serons tous les deux à la retraite (dans quelques mois), nous prendrons le temps de réfléchir à ce que nous souhaitons mettre en place pour notre mort, et plus particulièrement pour le cas où l’un de nous perds son autodétermination, sa santé, tout ça.

En ce qui me concerne, les personnes en qui j’ai une confiance absolue pour prendre les décisions qu’il pourrait y avoir à prendre sont ma femme et mon fils. Et ma position actuelle est que je ne souhaite pas être maintenu envie artificiellement s’il n’y a pas de perspective d’un retour à la conscience et à un minimum de qualité de vie.

Je me pose également la question d’une adhésion à Exit, dans l’idée que, peut-être, je pourrait envisager de faire appel à eux suivant la situation.

8)
ToTheEnd
, le 29.11.2016 à 08:45

Qu’en est-il de cette triste affaire qui c’est déroulée il y a quelques temps à Genève… je veux parler de cette octogénaire qui a fait appel à Exit qui a été « obligé » de se supprimer lui même car ses frères avaient saisi la justice pour bloquer l’intervention d’Exit…

Cette affaire, tout comme celle de Vincent Lambert, m’a abasourdi. Comment peut on être aussi bête et en plus, le faire subir aux autres? Bravo à la famille.

T

9)
Mirou
, le 30.11.2016 à 08:29

Merci iYannick et à tous pour ces précisions !

10)
Tom25
, le 30.11.2016 à 19:46

C’est un sujet extrêmement difficile et surtout douloureux, et des gens qui n’ont rien à voir viennent rendre les choses plus dures encore.

Dernièrement j’ai un peu provoqué mes parents sur un sujet similaire. Je m’entends très bien avec eux mais ils sont un peu plus « catho » que moi. Je leur au dit que je ne voulais pas de frais pour ma dépouille, que je voulais qu’on me jette au fossé, aux cochons, ou en mer pour nourrir les poissons. J’étais volontairement un peu provoc. Mais je pense à ce film où Pierre Richard joue Robinson Crusoé et oblige Vendredi à enterrer un proche décédé. Si ma mémoire est bonne, ce dernier le déterre en cachette et le mange. Robinson le surprend et l’engueule. Vendredi lui répond qu’il le mange pour lui faire honneur plutôt que de le laisser pourrir en terre.

Ce qui me gêne dans ce débat, c’est qu’il tourne autour de la morale dictée en grande partie par la religion.