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Tour de France, Mont Saint-Michel et Souvenirs d’enfance.

Samedi à midi, j’étais dans mon salon à Dakar et je regardais sur France 2 le reportage sur le départ du Tour de France 2016 qui avait lieu au Mont Saint-Michel.

Chaque année, le Tour de France est l’occasion d’une balade aérienne spectaculaire au-dessus de la France actuelle, images de ce «vieux pays» dont la force d’évocation est encore augmentée par les reportages ponctuels qui sont réalisés sur ces sites qui ne doivent rien à la République. Je veux parler des châteaux, des cathédrales et de villes remarquables par leur implantation sur la carte de France.

Ce midi, j’ai déjeuné à Avranches, alors que l’étape du jour quittait Granville pour Angers.

Trois jours en Normandie ! Décidément, le Tour 2016 a fait la part belle à ce département de la Manche chargé d’histoire !

Souvenirs de vacances en Normandie

Parisien de la Place Péreire et des trottoirs en asphalte mouillé de l’avenue Niel, exilé en Afrique depuis 1957, je n’ai jamais oublié cette Normandie où, dès 1952 nous débarquions pour les vacances de Pâques et, bien sûr, les «grandes vacances» avant le retour pour la rentrée des classes à Paris au début de l’automne.

Près de La Ferté-Macé, mon père nous avait trouvé deux pièces chez un couple de paysans du cru qui n’avaient pas d’enfants. Pour moi, la vie se passait dehors, avec un impératif : le dîner était pris chaque soir en commun dans ce que nous appelions «la tonnelle», construite à quelques mètres de la maison. C’était un peu l’équivalent de la pièce commune des fermes normandes traditionnelles : sol en terre battue, une grande table et des bancs, une cuisinière à bois et les meubles de rangement habituels : coffre pour les ustensiles de cuisine et la vaisselle, une huche pour le pain que l’on achetait «en ville» deux fois par semaine.

Nos hôtes, c’était «La Mémé» et «Le Gars Louis». Ils vivaient sur un demi hectare de terre clôturé de haies (qu’il fallait tailler régulièrement). Leur moyen de subsistance était la culture maraîchère, un élevage de poules et de lapins. Un bout de champ sur lequel poussait trois pommiers servait à faire paître la «biquette» qui fournissait le lait du petit-déjeuner et le fromage blanc pour les casse-croûtes dans la journée.

Pas d’eau courante mais un puits avec une pompe manuelle grâce à laquelle on remplissait un baquet dans lequel on plongeait les arrosoirs pour arroser les plantes. Le même baquet servait à nettoyer les légumes de la récolte la veille du marché et le petit parisien quand il prenait son bain hebdomadaire ;-)

Chaque semaine, la production de légumes, quelques poulets et lapins était sacrifiés pour être vendus au marché hebdomadaire de La Ferté-Macé. Cette vente était l’unique source de revenus du couple. Je me souviens qu’en hiver, ils faisaient venir des fleurs de Nice pour les vendre sur le marché.

Comme j’étais déjà curieux de tout, j’observais et je donnais un coup de main dans la mesure du possible. C’est ainsi que j'ai beaucoup appris du maraîchage, de la culture des légumes et des soins nécessaires aux poules et aux lapins. Deux choses que je n’ai jamais pu faire parce que j’en étais physiquement incapable du fait de mon âge : bêcher la terre et tailler les haies.

Ah ! Si, une troisième : les jours de grande lessive, j’étais incapable de soulever la brouette qui contenait les draps trempés que «La Mémé» transportait jusqu’au lavoir, à plus d’un kilomètre de là, par un chemin vicinal empierré (et en sabots, s’il vous plaît).

Plus de soixante ans plus tard, je n’ai qu’une seule pensée : Respect absolu pour ces gens qui travaillaient du lever au coucher du soleil et ne pouvaient prendre aucun jour de vacances, avec un argument imparable : « Et si je m’éloigne, qui va soigner les bêtes ? ».

La politique

Curieusement, c’est à la même époque que j’ai compris l’inanité du suffrage universel.

Un locataire occupait à l’année une des chambres du haut de la maison. C’était «Monsieur Henri», que je voyais partir chaque matin au travail, sa sacoche à outils en bandoulière sur son cyclomoteur (une Mobylette de l’époque).

Nous le retrouvions le soir dans la tonnelle pour partager la soupe du dîner.

À cette époque où le journal de 20 Heures n’existait pas, c’était lui qui meublait le repas de toutes sortes d’histoires qu’il avait à raconter, le plus souvent sur sa participation active au maquis lors de la seconde guerre mondiale. Certains soirs, je trouvais qu’il en faisait un peu trop mais comme je n’avais pas droit à la parole, je me contentais d’écouter ses exploits et je laissais les adultes le relancer.

Un soir, alors qu’il prenait place à table avec un certain retard, il avait un air renfrogné et restait muet. C’était tellement étonnant de sa part que les adultes finirent par lui demander la raison de son mutisme. Il prit un air très sérieux et d’une voix grave, il annonça la sinistre nouvelle « Les Russes ont débarqué à la Ferté-Macé ». Je rappelle que bien que la Seconde Guerre Mondiale soit terminée depuis 1945, on était en pleine Guerre de Corée.

Devant l’interrogation inquiète des adultes réunis autour de la table, il lança « Vous n’avez pas vu la nouvelle Station-Service avec l’Étoile Rouge en bas de la rue de Maur ? ».

Intérieurement, j’étais stupéfait car je savais qu’avec un tel panonceau ce ne pouvait être qu’une Station Caltex, donc américaine. Comme les enfants ne parlent pas à table, je restai coi mais je n’en pensais pas moins.

La suite pris une tournure plus grave. Il fallait mettre en place un comité de résistance et descendre en ville pour mettre le feu à cette station-service, avant-poste de l’envahisseur !

Monsieur Henri était un électeur, il allait voter aux prochaines élections et avait une influence certaine sur ses auditeurs du soir ! Quel crédit apporter à un tel système sous prétexte de démocratie ?

L’exemple récent du Brexit nous montre bien les limites du système et que rien n’a changé. Comment concevoir que dès le lendemain du vote une pétition soit lancée, qui recueille plus de trois millions de signatures pour demander un nouveau référendum, parce que « Non, on s’est trompé, on veut recommencer » ?

Le bocage normand

Contrairement à Philippe de Villiers qui a écrit avoir vécu en direct la destruction du bocage normand pour cause de réaménagement du territoire, j’en ai constaté les méfaits vingt ans après, lors d’un retour en France. J’étais étonné que l’on cultive du blé et du maïs en Normandie. En fait, cela avait été rendu possible en augmentant la taille des parcelles cultivables, ce qui les rendait accessibles aux énormes Moissonneuse-batteuses-lieuses Massey-Ferguson construites par les USA et commercialisées au titre du Plan Marshall après la guerre. Conséquence directe sur la disparition des haies : problèmes de ruissellement accéléré des eaux de pluies et d’énormes investissements en captage et drainage. C’est malin !

Aujourd’hui, les paysans d'antan sont devenus des «Exploitants Agricoles» qui sont acculés à la ruine et se suicident ! Quelle tristesse…

10 commentaires
1)
Lutoblerone
, le 05.07.2016 à 07:10

Bonjour, et merci de ces souvenirs pleins de chaleur humaine. Et je ne peux que conforter ton analyse et conclusion relative à l’évolution totalement suicidaire et contre productive de l’agriculture française (pas que…) pour répondre à des impératifs qui seraient risibles si les conséquences 60 ans plus tard n’en étaient si dramatiques. Cela me fait penser à cette anecdote que j’ai vécu lors de mon VSNA en Guinée Cnakry (pour le CCCE tu dois connaître) ou j’ai vu les tracteurs soviétiques « offerts » du temps de Sekou Touré dont les pots d’échappements étaient munis d’ailettes et passaient dans la cabine pour en assurer le chauffage !! Utile certainement en Sibérie, moins dans les plaines d’afrique…

2)
ToTheEnd
, le 05.07.2016 à 08:05

dont les pots d’échappements étaient munis d’ailettes et passaient dans la cabine pour en assurer le chauffage !! Utile certainement en Sibérie, moins dans les plaines d’afrique

J’ai bien ri ce matin en lisant ça. C’est certain que parfois, il y a tout de même des décisions qui dépassent tout entendement…

T

3)
ysengrain
, le 05.07.2016 à 08:11

Ton Monsieur Henri aurait pu inspirer Michel Audiard qui a, entre autres choses écrit:  » Les cons, faut pas leur parler: ça les instruit ».

Merci pour ce joli partage

4)
M.G.
, le 05.07.2016 à 09:02

Sur les « aides » apportées par l’Union Soviétique en Guinée, j’en ai une autre : des montagnes de bidets en faïence blanche ont encombré le Port de Conakry pendant des mois. Ils ont fini comme remblai du nouveau quai en construction…

Quant à la « Caisse Centrale », elle est remplacée aujourd’hui par l’A.F.D. qui finance les projets de développement avec une certaine efficacité dans le domaine industriel. En revanche, elle oublie régulièrement le monde paysan largement inféodé aux « marabouts » détenteurs des terres cultivables. On n’en sort pas !

5)
fxc
, le 05.07.2016 à 09:17

J’ai bourlinguer 15j. dans le bocage normand il y a peu et je peux assurer que les haies, les cathédrales de verdures, les routes et chemins bordés d’arbres sont là, peut-être que les paysans du coin ont soit changés leur fusil d’épaules au niveau des cultures, soit ont compris que dénaturer le bocage n’était pas la solution.

6)
M.G.
, le 05.07.2016 à 11:35

les haies, les cathédrales de verdures, les routes et chemins bordés d’arbres sont là

Voila une très jolie description du bocage normand. Certes, des îlots entiers du bocage subsistent et c’est tant mieux. Mais les champs sont rarement cultivés et servent de pâturage au bétail. Là, pas de clôtures électrifiées et de très belles bêtes vivant en toute quiétude.

Un survol de la région dans Google Earth permet d’apprécier le changement de taille des parcelles en « remontant » le temps.

7)
Caplan
, le 05.07.2016 à 12:22

Philippe de Villiers qui a écrit avoir vécu en direct la destruction du bocage normand pour cause de réaménagement du territoire

… d’où son surnom: « l’agité du bocage »! ;-)

8)
Jaxom
, le 05.07.2016 à 16:33

… d’où son surnom: « l’agité du bocage »!

Ca ne devrait pas être « l’alité du bocage » ?

–> Je suis déjà sorti.

9)
François Cuneo
, le 05.07.2016 à 18:16

Et finalement, elle a survécu la station service???

10)
M.G.
, le 07.07.2016 à 23:00

Et finalement, elle a survécu la station service???

Certainement… Les fourches ont été rangées et l’on est passé à une autre comédie de bistro…