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Que la montagne est (re)belle

Avez-vous entendu parler de la « trilogie de Chartreuse » ? Probablement pas, si vous n'êtes pas cycliste, mais si vous ne l'êtes pas ne fuyez pas, une bonne partie de ce qui suit pourrait vous intéresser quand même.

Dans les Alpes françaises, il y a plusieurs façons de joindre la ville de Chambéry, en Savoie, et celle de Grenoble, en Isère. On peut le faire en restant en plaine tout en contournant le massif de la Chartreuse qui sépare ces villes, soit par l'est et la vallée du Grésivaudan (l'itinéraire le plus direct) soit par l'ouest en passant par la cluse de Voreppe et les Échelles. Ou bien on peut choisir de passer au contraire « en plein dedans ». Ce faisant, si on suit l'itinéraire le plus direct on doit franchir trois cols : le Granier, le Cucheron et Porte (dans l'ordre du sens Chambéry-Grenoble), d'où la trilogie en question.

Dimanche dernier, la trilogie de Chartreuse constituait le cœur de ma sortie cycliste : en partant de la banlieue nord-est de Grenoble, je me suis dirigé vers Chambéry en longeant la vallée du Grésivaudan tout d'abord, jusqu'à la petite ville de Chapareillan à la limite entre l'Isère et la Savoie (certains Savoisiens vous diront : à la frontière entre la France et la Savoie). C'est en effet à Chapareillan que se situe l'accès au Granier le plus proche de Grenoble, et c'est donc en partant de là que je voulais entamer la trilogie, plutôt que de Chambéry, nettement plus loin. Mais surtout, le versant du col du Granier partant de Chambéry même est beaucoup moins pentu, et moi, comme vous le savez probablement, je recherche les fortes pentes en montagne !

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Le Mont Granier et sa vertigineuse falaise de 900 m de haut, décor quotidien des Chambériens. Notez sur la droite les traces d'un éboulement, datant de janvier 2016.

Seulement voilà, j'ai appris seulement une fois arrivé à Chapareillan que la route qui mène au Granier était fermée, en raison d'un éboulement récent.

Vidéo de l'éboulement du 7 mai 2016.

J'ai donc été contraint d'emprunter un accès nettement plus éloigné que prévu, à Saint-Baldoph précisément — aux portes de Chambéry en fait. Au bout de sept kilomètres de montée, très rude par endroits (les deux dernières bornes très irrégulières et à 10 % de moyenne notamment), on rejoint la route qui vient de Chambéry pour aboutir enfin au col du Granier via des pourcentages nettement plus faibles. De là j'ai enchaîné comme prévu avec les cols du Cucheron et de Porte, pour redescendre sur la banlieue de Grenoble. Une belle randonnée de 115 km au total.

Mais cela m'aura fait encore une fois réfléchir à la montagne et au fait qu'elle semble parfois réticente à notre présence humaine… particulièrement la montagne qui a donné son nom au col situé en contrebas : le mont Granier, à l'extrême nord du massif de Chartreuse.

Saint-Baldoph, par lequel j'ai entamé la montée du col du Granier donc, est justement un des villages de la zone dite des « Abymes de Myans », une région viticole notable soit dit en passant.

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Vignoble de la région des Abymes de Myans, au nord-est du Granier.

Pourquoi ce nom un peu effrayant, « Abymes » ? C'est que tout le relief de cette région est le produit d'un cataclysme d'une ampleur sans équivalent dans l'histoire des Alpes. En 1248, un pan entier de la falaise du Granier s'est effondré, entrainant en contrebas un gigantesque glissement de terrain qui ensevelit plusieurs villages et des milliers de personnes. Ces terres effondrées sont celles qui forment aujourd'hui le paysage des Abymes… Toute cette histoire vous est présentée en détail dans la passionnante vidéo ci-dessous.

Une émission sur la catastrophe du Granier de 1248.

Depuis, assez régulièrement, des portions de la falaise s'écroulent, mais cela n'a jamais plus eu, heureusement, l'ampleur de ce cataclysme. Il n'empêche, vu les récents éboulements, de nombreux habitants de la région doivent prier Notre-Dame de Myans pour que le Granier ne s'énerve pas trop…

Une autre façon, pas forcément moins meurtrière à la longue, qu'a la montagne d'être inhospitalière est sa propension à être utilisée comme bastion de défense guerrière… C'était notamment le cas de la montagne de la Bastille, à l'autre extrémité du massif de Chartreuse, qui surplombe ma ville natale, Grenoble.

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La Bastille, au premier plan. À l'arrière-plan, le Néron.

Lorsqu'on cherche une image, un cadre, une carte postale qui représente Grenoble, on trouve une fois sur deux une représentation de sa Bastille, ou une photo aérienne de la ville prise de son sommet, le plus souvent avec son téléphérique, comme ci-dessous. Celui-ci est, probablement d'assez loin, l'attraction touristique la plus fréquentée de la ville.

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La photo-phare de Grenoble

Et c'est vrai qu'il est fort agréable de prendre le téléphérique pour monter au sommet de cette montagne, y profiter des vues splendides sur la cité et les montagnes alentours, puis redescendre par un des nombreux itinéraires pédestres possibles. Entre autres mon préféré, le sentier sinueux et varié qui mène au somptueux Jardin des Dauphins.

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Le Jardin des Dauphins, au pied de la Bastille.

Mais le site de la Bastille en lui-même témoigne d'occupations anciennes beaucoup moins pacifiques que le tourisme actuel. C'est que toute cette montagne servait en son temps de poste de défense de la ville contre les envahisseurs de toute sorte, particulièrement ceux venus du duché de Savoie voisin. Aujourd'hui, ce qui reste des fortifications sont devenus simplement des attractions touristiques pittoresques, plutôt bien conservées et entretenues.

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Une partie des fortifications de la Bastille, vers le quartier Saint-Laurent.

Last but not least, il y a également une route qui mène à la Bastille. Vous m'avez vu venir : si je vous parle de cette route, c'est qu'elle intéresse particulièrement le cycliste que je suis ! Jetez donc un œil aux pourcentages ci-dessous…

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Pourcentages de la montée de la Bastille.

1,9 km de montée pour 270 m de dénivellation, soit une moyenne de 14,2 %. On peut même lui faire dépasser les 15 % de moyenne si on prend un autre accès, plus direct (rejoignant l'itinéraire habituel après les 300 premiers mètres de celui-ci), ce qui permet de peindre absolument tout le profil en rouge. Autrement dit, un monstre ! Et ce n'est pas l'ancien champion cycliste Bernard Hinault qui nous contredira, lequel avait dû y mettre pied à terre en 1977 lors du Critérium du Dauphiné Libéré après une chute spectaculaire dans la descente du col de Porte… des images qui ont marqué beaucoup de téléspectateurs d'alors. Il se ressaisit néanmoins et finit par gagner l'épreuve.

Bernard Hinault chute dans la descente du col de Porte et met pied à terre dans l'ascension de la Bastille.

Cette ascension, je l'ai refaite mardi dernier, pour le fun (enfin, façon de parler) avec un braquet de 26/34 et en un temps de 14 min 20 s, soit une moyenne de 7,7 km/h… Si vous vous dites qu'un piéton irait tout aussi vite, sachez que d'une part marcher à cette vitesse sur une pente pareille implique en fait de courir, et que d'autre part j'ai croisé pendant ma redescente du monstre un promeneur qui montait cette même route à pied et qui s'était arrêté dans un lacet, l'air complètement cuit. Quand je lui ai demandé comment ça allait, il m'a dit qu'il trouvait cette montée vraiment très raide… et qu'il m'avait vu le dépasser pendant que je montais. Comme quoi !

Si vous voulez faire cette montée vous-même un jour, à pied, à vélo ou en voiture, sachez que la route est en assez mauvais état (rapiécée de toute part) et vraiment étroite, ce qui rend les croisements délicats. La pente n'y facilite pas les manœuvres, bien sûr. Les automobilistes, en particulier, auront donc tout intérêt à disposer d'une motorisation et de freins en parfait état. Ainsi, en mai dernier, une voiture s'est renversée après être partie en marche arrière pendant qu'elle grimpait la route !

Les cyclistes, quant à eux, pourront s'adonner à cette expérience dans une ambiance festive lors de la Prise de la Bastille, la montée chronométrée officielle de la côte organisée tous les ans début septembre. Je l'avais faite il y a 16 ans, mon temps ayant été de 12 min 32 s, pas loin de deux minutes de mieux que mon temps actuel. C'est pas beau de vieillir ! :-(

7 commentaires
1)
Lebarron
, le 11.08.2016 à 01:02

Dans la forêt au dessus de Chapareillan il y a une borne marquant la frontière avec la Savoie, je l’ai vu avec une gerbe de fleurs.
La Chartreuse c’est aussi le parapente avec le site de Saint Hilaire du Touvet et sa célèbre coupe Icare

2)
djtrance
, le 11.08.2016 à 08:14

La Chartreuse, c’est aussi une très bonne liqueur (enfin, moi j’aime bien). C’est une magnifique région Grenoble, je vous conseille!

Merci Franck pour la balade et pour tous les bons souvenirs remémorés :)

3)
François Cuneo
, le 11.08.2016 à 08:52

Impressionnant cette vidéo de l’éboulement.

Et tout autant celle d’Hinault et de sa chute.

Merci pour cette course virtuelle et bravo pour avoir passé ces trois cols.

4)
Franck Pastor
, le 11.08.2016 à 09:58

De rien François, mais tu sais, la « Trilogie », c’est traditionnel dans la région, j’étais loin d’être le seul cycliste sur ces routes dimanche dernier. Comme dirait une de mes amies, il faut être complètement cinglé, mais on assume !

Puisqu’on parle des attractions du massif de Chartreuse, je peux compléter quelque peu mon article dans ce sens. D’abord la Chartreuse c’est aussi (oserais-je dire surtout ? ;-)) le monastère de la Grande Chartreuse. Sans lequel la liqueur dont tu parles n’existerait pas, djtrance ! :-b

Je voudrais bien y retourner demain, d’ailleurs, j’aime beaucoup me balader dans les environs.

Les adeptes du parapente font souvent appel à une attraction touristique spectaculaire pour accéder à Saint-Hilaire : le funiculaire de Saint-Hilaire-du-Touvet, qui part de Montfort dans la vallée du Grésivaudan pour arriver sur le plateau des Petites Roches à deux pas du site de parapente. C’est le transport ferroviaire plus raide d’Europe, paraît-il : 85 % maxi ! Hors de portée du plus fada des grimpeurs cyclistes.

Pas loin du col du Granier, à Entremont-le-Vieux, on trouve le sympathique Musée de l’ours des cavernes, agréable à visiter. Au cœur du mont Granier lui-même, on a découvert une caverne contenant des dizaines de squelettes d’ours des cavernes, espèce disparue depuis 10 000 ans, d’où l’ouverture de ce musée.

Entre le col du Cucheron et le col de Porte, se trouve le village de Saint-Pierre-de-Chartreuse, qui a la particularité de proposer, chaque mois de juillet, un festival Jacques Brel.

Et on pourrait ajouter bien des choses à la liste. Ce serait une idée pour un prochain article plus complet !

5)
Dom' Python
, le 11.08.2016 à 10:07

Merci pour cette chouette balade, magistralement documentée.

Mais, sauf vot’respect, m’sieur Pastor, je trouve dommage que tu termines sur cette note négative. Le principal n’est-il pas le plaisir de l’effort, des paysages, tout ça, et m… au chrono?

Allons, allons! Et puis zut, quoi! Même: ne perdre que deux minutes en 16 ans, je trouve ça plutôt pas mal, non? Moi, dans le même temps, j’ai pris 20 kilos.. De quoi te plains-tu!

En tout cas, y faut que je vienne faire un saut à Grenoble. Depuis le temps que je me dis ça, habitant Genève, ce serait la moindre d’y aller au moins une fois!

6)
Franck Pastor
, le 11.08.2016 à 21:45

Dom’Python : j’aime bien effectivement chronométrer mes ascensions de montagne, pour voir si je progresse d’année en année. Dans le cas de la Bastille, il y avait 16 ans entre mes deux dernières ascensions, et je voulais voir ce qui différenciait le Franck Pastor de 28 ans de celui de 44 ans (à part plein de cheveux en moins et quelques rides en plus). J’ai vu :-( Finalement, tu as raison, je devrais ignorer un peu plus le chrono !

Grenoble est une ville assez particulière. Je ne sais plus qui avait dit qu’il s’agissait d’un bijou en toc dans un écrin de diamants. L’écrin étant bien sûr les montagnes, Bastille comprise. C’est très exagéré, mais il faut se faire accompagner d’un connaisseur de la ville pour en découvrir les charmes, sinon on passe à côté. Si tu y viens un jour, n’hésite pas à te faire accompagner par un local voire même suivre une visite guidée !

7)
djtrance
, le 12.08.2016 à 09:07

… il faut se faire accompagner d’un connaisseur de la ville pour en découvrir les charmes, sinon on passe à côté.

C’est exactement cela, tu fais bien de le dire! Par chance, moi, c’était avec une locale ;)