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Avoir mal à son travail…

Durant toute leur scolarité, rares sont les enfant qui échappent à la question "et toi, qu'est-ce que tu veux faire quand tu seras grand-e ?" Et à bien y réfléchir, ce qu'ils sont devenus, professionnellement, ces enfants, est peut-être moins important que "comment vivent-ils leur métier ?"

Il arrive que la "chance" soit au rendez-vous, faisant du lieu de travail un endroit intéressant, valorisant, formateur, où des contacts allant au-delà des relations professionnelles se créent : les liens d'amitié noués au cours des huit ans que j'ai passés dans le dispositif médico-social de mon canton sont aujourd'hui encore vivaces et source de plaisir. Vous me direz "ouais mais ce job, tu l'as quand même quitté un jour". Oui, en particulier parce que je commençais à tourner en rond - je n'aime guère la répétition - et que j'ai eu l'opportunité de me réorienter une nouvelle fois, ce qui fait de moi une chanceuse, j'en suis bien consciente.

Lorsque le destin se montre moins clément, tenant soit à l'environnement dans lequel on vaque, soit à l'ambiance instaurée par la direction au sens large, on peut s'ennuyer copieusement sur sa place de travail, trouver les tâches répétitives et peu stimulantes; parfois, découverte qui m'a étonnée plus jeune, un tel poste est un choix : j'ai connu des gens qui avaient une passion dévorante, dont ils ne pouvaient vivre, et qui étaient relativement contents de ne pas investir toute leur énergie, intelligence ou leurs forces dans l'exécution de ce qu'ils voyaient comme étant purement alimentaire. Ils ne sont d'ailleurs selon moi pas les pires professionnels : leur coeur battant pour autre chose (peu importe, sport, art, étude des insectes ou soutien aux réfugiés), ils sont généralement très calmes, ne se sentent pas investis de la tâche divine de sauver l'entreprise et ne s'identifient pas à la bonne ou mauvaise marche des affaires. Bref, ils ne disent pas sans cesse "nous" en parlant de la société X ou Y, n'en déplaise à la bande de charlatans consultants qui parvient régulièrement à vendre des séances de team-building au mieux inutiles, au pire dangereuses, à des directions en mal d'inspiration.

Vous me voyez venir, je passe du + au - : au cours de ces dix dernières années, un terme a été prononcé de plus en plus souvent dans mon entourage au sens large, peut-être parfois à tort mais là n'est pas le propos : "burnout".

Vous trouverez sans mon aide des kilomètres d'articles sur le sujet, des listes de symptômes, des discussions sans fin sur la question de savoir comment et en quoi le burnout se distingue (ou non) de la dépression, les traitements généralement prescrits, la durée moyenne que prend la convalescence : pour avoir parcouru un certain nombre de ces sites, je retiens surtout qu'il peut frapper aussi bien un vendeur dans une simple échoppe de quartier qu'un employé postal dans une grande structure ou une docteur en chimie. Comment le prévenir, en revanche, déclenche des débats sans fin, aucune réelle solution ne pouvant être dégagée, même si pour ma part, sur base de mon expérience de spécialiste en droit du travail, je constate que souvent, lorsque le burnout s'invite, il y avait notamment une problématique de tâches peu claires, de cahiers des charges flous et une organisation "branlante".

Le plus étonnant, dans le burnout, c'est que le ou la principal-e intéressé-e ne se rend que rarement compte du piège qui est en train de l'engloutir, les collègues et la hiérarchie - lorsqu'ils sont très attentifs - le pressentant et tentant, plus ou moins maladroitement - de le prévenir. D'accord, parfois, ces tentatives de prévention sont parfaitement hypocrites "fais attention, lève le pied, le dossier TrucMuche, tu peux me le rendre demain ?"

Bien que cette "casse" soit très moche, imposant à la personne concernée une remise en question profonde - sauf à viser un rétablissement de façade -, un tâtonnement peu évident pour retrouver un certain équilibre, rendant la vie de l'entourage familial en particulier très pénible, il est un phénomène encore pire : les travailleuses et les travailleurs dont la souffrance est telle qu'ils mettent fin à leur vie.

France Télécom détient, à ma connaissance (mais je confesse ne pas être capable de faire des recherches sortant des langues "classiques" et je ne sais pas si l'Inde ou la Chine présente des chiffres encore plus accablants), le triste record de 60 suicides, dont 35 en l'espace de deux ans ! Le monde des soins français fait également la une, ce qui exclut l'explication simpliste "c'est rien que la faute de l'employeur" - ce qui ne le dédouane pas pour autant, qu'on soit bien d'accord ! -

Admettre que le monde professionnel a mal, reconnaître qu'il y a un problème implique qu'il existe une responsabilité, politique, sociale, collective et probablement individuelle aussi, pour que de tels drames ne se jouent plus jamais. Oui mais... mais comment, sous quelle forme, par où commencer ?

Les politiques, je leur fais confiance, ils sauront faire de grandes déclarations, d'intention généralement, peu concrètes (presque) toujours. Soit, les hommes et les femmes politiques ne déçoivent jamais quand on n'attend pas trop d'eux.

Le peuple peut-il être le bon "porte-parole" de cette souffrance en demandant des modifications de la législation ? C'est probablement plus "simple" quand on est Suisse, le référendum et l'initiative constituant un certain bras de levier. N'empêche : même si une prise de conscience existe et que de très nombreuses voix s'élèvent, dont en France contre la loi "travail", il faut reconnaître que ce peuple, il est ou "mou" ou perdant, voire perdu. Notamment parce qu'il a peur, justement, de perdre son travail...

Ainsi, to make a long story short, je crains que ces suicides ne prennent jamais fin, qu'il se trouvera toujours des secteurs d'activité et/ou des entreprises dans lesquelles certaines personnes finissent par étouffer au point de ne voir aucune autre issue que la mort. J'en suis profondément peinée et espère que même si votre emploi ne vous procure pas un plaisir ininterrompu, il n'est pas à l'origine de souffrances durables.

Tiens, d'ailleurs, votre pire souvenir professionnel, c'est quoi ? Promis, je vous lirai attentivement à mon retour de... vacances !

 

 

10 commentaires
1)
grandegigue
, le 12.09.2016 à 05:15

Dans la thématique du billet (le travail, France télécom…) je vous conseille le roman Retour aux mots sauvages de Beinstingel. Peut-être une lecture de vacances pour M. Poppins.

2)
Jaxom
, le 12.09.2016 à 09:27

Sans remettre en cause la souffrance de ces suicides, je me suis demandé si ces chiffres étaient différents de ceux de la population en général. Il y a beaucoup d’employés à FT. Si ces chiffres ne sont pas différents, alors le problème ne serait pas seulement dans cette société, mais bien plus général, malheureusement.

3)
ToTheEnd
, le 12.09.2016 à 11:54

A l’époque, sur FT, il y avait eu un audit externe assez important sur les conditions de travail et sauf erreur, le taux de réponse avait été élevé sur les 100K employés (genre 80%)…

Ceci dit, un des éléments qui avait retenu mon attention c’est que le taux de suicide était proche de la population en général… sans vouloir totalement occulter les difficultés du travail chez FT, la boîte a du se transformer dans une période difficile (privatisation, dette, etc.) et bien entendu, changer est un verbe qui passe très bien dans le texte mais assez mal dans les faits.

En Suisse, quand les PTT sont passés à Swisscom pour 25K employés, il y a eu pas mal de grabuge initié par les syndicats de l’époque… mais de mon souvenir, pas de suicide.

Enfin, d’une façon générale, je pense qu’il est aussi important pour les parents et les structures de formation de bien « conseiller », « orienter » ou « diriger » (notez les guillemets) les études histoire de ne pas finir dans les 25% qui sont malheureux au travail.

T

4)
ysengrain
, le 12.09.2016 à 12:23

Les conditions économiques sont devenues hyper prégnantes – je n’ai aucune capacité d’analyse fine de la situation, je suis ici monsieur Toutlemonde.

Mon monde, le monde de la santé a commencé à devoir tenir compte des implications économiques à partir de 1981.
« On » disait, la rumeur disait, qu’il existait une sorte de lobby dirigé contre le monde de la santé – les médecins en particulier – dans les instances dirigeantes.
Nous avons eu un ministre de la santé se prononcant CONTRE LA MISE SUR LE MARCHÉ de l’érythropoïétine , indispensable à l’élaboration des globules rouges, sans laquelle l’anémie profonde des insuffisants rénaux ne peut être corrigée, au prétexte d’un prix très élevé alors que ça ne profite qu’à une population restreinte.
Ce fut le premier et un pire moment de ma carrière.

En 1996, le gouvernement crée les agences régionales de l’hospitalisation, remplacées en 2009 par les agences régionales de santé.
Depuis des années, ces administrations ont mis en place et imposé des protocoles de soins: la prise en charge des patients doit se faire suivant une liste établie et approuvée par les ARS.
Ce qui conduit,en particulier pour les infirmières, à un travail manuscrit très important, où on coche toutes les cases… ce qui prend du temps… non consacré au soin. cf les prochaines grèves infirmières en France où les suicides « professionnels » sont fréquents.

Dans mon service, nous avions établi « notre protocole » de soin des cathéters à demeure. Nous avions d’excellents résultats: moins de 2% d’infection en 10 ans et aucun décès, alors que les protocoles recommandés par l’ARS établissaient un score entre 20 et 25% avec des décès.
Lors de la visite d’accréditation, nous avons été durement critiqué de notre pratique qui ne correspondait pas aux recommandations.

Aujourd’hui en France, « on » soigne votre protocole de prise ne charge, et pas vous !! et ça, ma bonne dame …

5)
Oeil Neuf
, le 12.09.2016 à 12:47

J’ai eu la chance de commencer ma carrière comme journaliste dans un prestigieux magazine. Cinq années de bonheur à travailler jour et nuit, sans me rendre compte que je TRAVAILLAIS pour mon employeur. Plus l’impression d’être payé pour faire ce qui me plaisait. Puis licenciement économique.
Suivent quinze années de piges diverses et variées, de CDD, de CDI, avec pas mal de chance : rédactions sympas, collègues chaleureux, boulot toujours intéressant. Mais quand même, de 9 h 00 à 19 h 00 tous les jours, à 100 % des capacités intellectuelles… Le seul moment de répit, c’est lors des pauses pipi…
On profite du rachat de la société pour partir dans des conditions financières correctes (la direction estimait à 10 le nombre de partants, nous à 20, finalement, on est 45 à partir, c’est dire le malaise !). Tentative de travailler ailleurs, puis carrément à l’étranger.
Retour catastrophique en France, TS, HP, des années à se remettre. Facultés intellectuelles fortement diminuées, reprise du travail précaire tout en bas de l’échelle sociale (ce qui ne me dérange pas outre mesure).
Ce dont je me rends compte aujourd’hui, c’est que dans mon entourage, sur 10 chômeurs, 9 veulent travailler, alors que sur 10 salariés, 9 estiment travailler trop.

6)
pbook
, le 12.09.2016 à 13:57

@Jaxom et TTE: Non. Le taux de suicide est beaucoup moins élevé chez FT (ou dans n’importe quelle entreprise)que dans le reste de la population.
Les principales victimes de suicides dans la population sont les personnes âgées (et dans une certaine mesure les ados), les personnes inactives au chômage, « précaires », atteintes dans leur santé. Catégories qu’on ne retrouve pas chez FT.

Il faudrait comparer bien plus finement: sur la durée, sur la répartition démographique (âge, sexe, …), sur le secteur d’activité, etc pour arriver à une comparaison sérieuse. En plus, sur la question du suicide, les données sont très difficiles à obtenir.

Après, c’est sûr qu’il y a des modes d’organisation pathogènes, et ça c’est inexcusable.

7)
ToTheEnd
, le 12.09.2016 à 19:35

Ce dont je me rends compte aujourd’hui, c’est que dans mon entourage, sur 10 chômeurs, 9 veulent travailler, alors que sur 10 salariés, 9 estiment travailler trop.

Je suis assez d’accord sur ce constat sans pour autant pouvoir donner des chiffres… La question serait aussi de savoir s’il n’y pas un décalage entre ce que les gens savent faire et ce que le marché du travail a besoin.

T

8)
amonbophis
, le 12.09.2016 à 21:22

A un médecin du travail à qui je demandais : qui sont les plus heureux dans leur travail : les salariés du public ou les travailleurs du privé? sans hésitation: ceux du privé.

La non reconnaissance du travail fait est le plus court chemin pour l’absence d’estime de soi…

9)
Saluki
, le 12.09.2016 à 22:14

Je suis intervenu dans une société en faillite pour la redresser après reprise par un groupe.
Avant la Noël, j’ai organisé un pot de fin d’année.
Durant les 62 années précédentes… il n’y en avait point eu.

10)
ysengrain
, le 13.09.2016 à 13:07

La technicité du soin et des missions d’accompagnement semble dans bien des circonstances primer sur leur humanité. La disponibilité à l’égard des personnes est reniée au bénéfice du temps consacré à la mise en oeuvre des procédures et des protocoles, dans un contexte où, trop souvent, le rationnement entrave les capacités d’intervention. Cela au motif d’une exigence de rationalité dans l’organisation des fonctions et d’une adaptabilité des compétences à des métiers et à des savoirs qui perdent ainsi à la fois leurs identités et leurs motivations humaines