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Les étapes

Non, pas celles du Tour de France, dont l'intérêt, n'en déplaise aux plus cyclistes des Cukiens, ne m'est jamais apparu. Je pense à ce qu'on appelle, à raison ou à tort, les "étapes de la vie".

Si les premiers mots et les premiers pas sont sans conteste des étapes importantes, elles le sont surtout pour "Maman-Papa", voire "Grands-Parents", Bambin étant relativement inconscient de ses conquêtes. Lire et écrire, en revanche, prend déjà une autre saveur pour Enfant : plus besoin de demander d'aide pour taper, dans youtube, un titre, un nom, plus besoin d'assistance pour comprendre les instructions d'un jeu-vidéo. Et ne levez ni les bras ni les yeux au ciel : je le sais bien que rédiger et prendre connaissance d'un texte, c'est bien plus que ça mais il s'agissait de faire "bref".

Parce que l'étape - ou plutôt les étapes - dont j'aimerais parler aujourd'hui sont bien plus complexes, plus délicates, plus douloureuses aussi. Dans la vie, impossible d'échapper au deuil. Aux deuils devrais-je dire.

Si j'excepte la mort de Micamou le chat, il y a peut-être comme premier deuil dans une existence celui de l'enfance, dont on sort d'abord très fier - sans vous mentir, je crois que Junior, 13 ans et demi, a été (presque) heureux de voir se pointer son premier point noir quand bien même il serait aujourd'hui ravi de se défaire des suivants - mais dont on réalise un jour que c'était quand même bien, ce temps où on partait sur les chemins....

Il y a ensuite les deuils d'amitié, au gré de déménagement (surtout quand on est enfant et que le village d'à côté, c'est comme l'autre bout du monde), de brouilles plus ou moins expliquées et explicables, en raison d'opinions dont on ne débat plus et qui finissent par diviser parfois définitivement : je dois admettre que si l'un(e) de mes ami(e)s devenait brusquement UDC convaincu (traduisez "FN" si vous êtes dans l'Hexagone), je crois que j'aurais bien du mal à rire de certaines choses avec cette personne.

Le deuil d'un emploi, d'une formation est clairement difficile : se rendre compte qu'on ne pourra jamais devenir (cochez la bonne case) astronaute, géomètre, danseur étoile, juge ou ébéniste, peu importe que ce soit pour des raisons financières, les formations étant généralement longues et onéreuses ou parce que le niveau scolaire barre la route à ce projet, prend du temps pour être "reconnu" puis "intégré", accepté, les plans B ne se trouvant pas toujours au coin d'une rue (au contraire des Pokémon, petit clin d'oeil à Junior et Mini). Et quand je vois à quel point la question est classique "tu fais quoi dans la vie ?", je ne peux que compatir au désarroi des chômeuses et chômeurs "longue durée".

Constater qu'une relation amoureuse est arrivée à son dernier souffle alors qu'on l'avait espérée pour la vie, bague au doigt ou pas, reste une épreuve dont on ne se remet qu'avec patience et... patience, sauf à s'étourdir dans d'autres bras trop vite, trop souvent.

Puis il y a tous ces moments où on se retrouve devant une tombe, hébété(e), entouré(e) par des tonnes de fleurs, les bras ballants et le coeur en miettes, à être enlacé(e) par des tas de gens, sans comprendre un seul mot des condoléances dites, murmurées, écrites, soufflées.

Qui entend encore le rire de l'être aimé, qui se rend compte qu'il ne sait pas bien faire le thé, qui aimerait être celui qu'on porte en terre si cela avait pu laisser la vie sauve à son enfant... Et en lettres capitales, "plus jamais" alors qu'on range ou des jouets ou les mille et une choses qui faisaient cette personne.

Tous ces deuils, avec des intensités bien entendu variables, ont un point commun : certaines personnes ne savent pas quoi dire, quoi faire.... Face à un jeune qui, suite à un accident, a perdu l'usage de ses jambes, face à un homme qui promène maintenant son chien seul le matin, le soir d'ailleurs aussi, face à un parent confronté à un diagnostic sans appel pour son enfant, il y a toujours cet instant où la solitude est si totale qu'on pourrait en devenir fou parce qu'en face, l'autre, qui peut être le parent, l'ami, le voisin, le médecin, le policier, le collègue, est mal à l'aise, a peur, fuit.

Quand je repense notamment à la mort de ma soeur, il y a 23 ans, heureusement, tous n'ont pas pris leurs jambes à leur cou, tous n'ont pas été "absents" : les personnes qui m'ont accompagnée ont eu en commun le fait de ne pas vouloir "faire" mais simplement d'être. Etre à mes côtés, être en pensée avec moi, être celui ou celle qui suit le rythme de ce deuil qui vient et qui va, comme des vagues, comme des lames, comme des marées....

Jeudi marquera le 7e "anniversaire" de la mort accidentelle du fils d'une amie : il avait six ans. J'espère que je pourrai alors juste être, être avec elle et sa famille, partager un moment ou de silence ou d'évocation de souvenirs, peut-être les deux, le sourire et les larmes étant alors souvent si proches.

J'espère surtout que toi, Cukienne, Cukien, qui vis peut-être aussi un deuil, tu pourras un jour, ce soir, demain, l'année prochaine, comme mon amie, dépasser la douleur qui paralyse, qui tétanise : elle et son mari ont eu, des mois plus tard, un autre enfant. Non, on ne remplace pas un enfant mais nous avons toutes et tous besoin d'aimer et d'être aimé. Et rien ne me ferait plus plaisir que d'apprendre que même si la cicatrice est là, au-delà de la souffrance, il y a un nouveau souffle, un nouvel élan, un nouveau projet, un nouvel objectif, un nouvel amour.

D'ici là, prends soin de toi, puisse la chaleur de l'été te réchauffer un peu, mes pensées t'accompagnent.

 

 

 

 

8 commentaires
1)
Puzzo
, le 08.08.2016 à 07:25

Merci pour ce très beau texte.

Dans les termes que tu emploies (être au lieu de faire), cela me fait énormément penser à un livre que je viens de lire sur la communication non-violente « cessez d’être gentil, soyez vrai » [Thomas d’Ansembourg]. De nombreux passages m’ont beaucoup parlé.

Je trouve très difficile d’être « juste » présent face aux difficultés des autres (deuil, chômage, peine de cœur ou simplement petite difficulté de la vie). On nous a appris à être efficace et à essayer de trouver des solutions. Simplement être là en écoute est donc très dur (en tout cas pour moi).

2)
Dom' Python
, le 08.08.2016 à 08:47

Merci, Madame, pour ce billet plein d’humanité, comme à ton habitude.

Question ô combien délicate que celle du deuil. Personellement, je suis de plus en plus convaincu que si mourrir peut, dans certaines situations, être source de douleurs et d’angoisse, être mort ne présente – à mes yeux – aucune difficulté. En ce sens, si je peux avoir quelques crainte quant à ma propore mort, il ne s’agit que des derniers instants. Maladie, douleurs, angoisses, tout ça me fait peur, mais ce ne sera à mes yeux qu’un mauvais moment à passer. Très mauvais peut-être, suivant les circonstances, les souffrances, l’angoisse, la durée, l’encadrement, l’environnement… Par contre, l’état de mort, l’au-delà comme on l’appelle (s’il y en a un), cela ne sucite en moi aucune inquiétude. Je suis même pas loin de penser que, une fois le passage accomplis, je serais très certainement moins à plaindre que celles et ceux que j’aurai laissé derrière moi.

Oui, je sais, le sujet est le deuil et non la mort. Mais j’y viens.

…qui aimerait être celui qu’on porte en terre…

Je comprends tout à fait cela et je souhaite que ce que je vais écrire ne blesse personne: En raison de ce que j’ai exposé plus haut, j’en viens à me dire que, si l’un des deux, de ma femme et moi, devait disparraître prématurémment, il serait presque égoïste de ma part de souhaiter que ce soit moi. Parce que, une fois la mort survenue, je suis convaincu que la suite serait infiniment plus difficile pour le survivant que pour le défunt. Dans ce sens, ce me semblerais presque egoïste de souhaiter prendre la « meilleure place » (être mort) et laisser à l’autre la plus difficile (continuer à vivre, souffrir de l’absence…)

Voilà. J’espère vraiment ne choquer – et surtout ne blesser personne en écrivant cela. Et que soit bien clair qu’il ne s’agit en aucune façon de juger qui que ce soit mais uniquement de partager une réflexion personnelle.

3)
ysengrain
, le 08.08.2016 à 10:24

Le deuil, c’est faire avec ce qui reste.
Et c’est là, la difficulté.

J’espère surtout que toi, Cukienne, Cukien, qui vis peut-être aussi un deuil, tu pourras un jour, ce soir, demain, l’année prochaine, comme mon amie, dépasser la douleur qui paralyse, qui tétanise

On sait depuis peu, grâce à l’IRM fonctionnelle que dans le cas où une émotion forte est présente, c’est à dire que le noyau ventro-caudal du lobe frontal est activé, site de la réception de l’émotion, la zone des raisonnements est inhibée.

En clair, une émotion forte sidère les systèmes objectifs.
Donc, le « ce qui reste » … on le trouve avec d’immenses difficultés. Il y a une période de sidération très forte, durant laquelle, il faut prendre le temps dit de la reconstruction.

Je sais que ce que j’écris ne change rien. Mais c’est ma manière à moi de gérer: comprendre avant tout. Il faut bine se raccrocher à quelque chose.

4)
Modane
, le 08.08.2016 à 15:12

Le deuil, c’est faire avec ce qui reste.

Très beau! Tout est là! Ce reste, auquel on se raccroche…

5)
NewAncien
, le 08.08.2016 à 17:29

Merci Madame Poppins pour ce texte et aux auteurs des commentaires. Je ne suis pas capable de faire des commentaires de ce type mais je suis touché par la qualité des textes et l’émotion que cela suscite en moi. Merci

6)
tibet
, le 09.08.2016 à 08:03

Je citerai juste un morceau de J. Brel :
 »
Et l’autre reste là, le meilleur ou le pire, le doux ou le sévère
Cela n’importe pas, celui des deux qui reste se retrouve en enfer
Vous le verrez peut-être, vous la verrez parfois en pluie et en chagrin
Traverser le présent en s’excusant déjà de n’être pas plus loin
 »
Amen !

7)
François Cuneo
, le 09.08.2016 à 10:04

Très beau en effet.

J’ai pu, grâce à ton lien sur « ne plus savoir faire le thé », réécouter j’veux pas qu’tu t’en ailles » puis tout le disque en public de Michel Jonasz.

Quelle humanité ce type! Une des idoles de ma jeunesse. Que fait-il maintenant?

8)
djtrance
, le 09.08.2016 à 10:25

Le deuil… Fort heureusement, ce n’est pas actuellement mon cas. Je constate cependant que les commentaires se sont rapidement tournés vers le deuil de la mort (alors que dans ton article, tu parles de plusieurs deuils…).

Pour ce qui est de la mort, bien évidemment, cela m’affecte, mais il y a différents niveaux. Par exemple, celui qui a sciemment joué avec sa vie et qui a perdu, cela ne me fait absolument rien, au contraire, limite cela m’énerve car dans certains cas il a mis d’autres personnes en danger et au final pour quoi, par pur égoïsme.

Au contraire de cela, très affecté et touché par un petit enfant de 4 ans qui a rien demandé à personne et qui succombe à une leucémie…