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Les sanglots longs des violons virtuels

Avec son plug-in M-Tron, la firme G-Media fait revivre les sons du Mellotron.

Petite remontée dans le temps

Le Mellotron est digne de figurer dans le Guinness Book, à la rubrique des instruments de musique les plus incroyables qui aient jamais été inventés. Son histoire est un peu compliquée, mais disons en résumé qu’il est né au début des années 60, dans l’atelier des frères Bradley, fabricants de têtes de lecture pour magnétophones à Birmingham.

Un Mellotron – ici le modèle M 400 – se présente comme ceci :

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Sous chacune des touches du clavier se trouve une tête de lecture et une bande magnétique d’environ 1m80 de longueur. Lorsque vous appuyez sur une touche, la bande est plaquée contre l’axe d’un moteur et est lue jusqu’à ce que vous relâchiez la touche, ou jusqu’à ce qu’elle arrive en bout de course, au bout de 9 secondes environ. Un ressort la rappelle dans sa position initiale dès que la touche est relâchée, avec un bruit d’avalage de spaghetti. Chaque bande possède trois pistes parallèles. Un bouton permet de déplacer toutes les têtes de lecture en bloc et de choisir ainsi la piste que l’on souhaite entendre.

« Et qu’y a-t-il d’enregistré sur ces bandes ? », vous demandez-vous. Eh bien, des sons d’instruments réels : violon, flûte, trompette, chœur d’hommes ou de femmes, etc., que l’on pouvait choisir dans une longue liste lorsqu’on était l’heureux propriétaire d’un Mellotron, sans oublier qu’on ne pouvait avoir que trois sons dans un jeu de bandes. En quelque sorte, le Mellotron est un ancêtre de nos samplers actuels.

Il existait également à l’époque un modèle équipé de deux claviers, le MK-II, qui possédait aussi des pistes d’accompagnement : un orchestre entier (basse, batterie, piano, guitare, etc.) enregistré sur bande, chaque touche dans une autre tonalité.

Tiens, voici d’ailleurs une autre photo où l’on voit un Mellotron M 400 ouvert avec les 35 bandes, les 35 têtes de lecture et l’axe du moteur juste devant elles :

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On peut entendre le Mellotron sur d’innombrables albums des années 60 et 70 : le son de flûte dans Strawberry Fields Forever des Beatles, le violon dans Nights in White Satin des Moody Blues, les chœurs dans pleins de morceaux de Genesis. A l’époque, certains syndicats de musiciens s’étaient élevés contre cet engin diabolique qui les imitait si bien qu’il les privait de travail.

Aujourd’hui, sa qualité sonore fait plutôt sourire : le moteur génère un bruit de chauffage central et il est loin d’être stable, ce qui fait que le Mellotron sonne presque toujours faux. Les bandes soufflent, elles manquent cruellement d’aigu et elles s’usent rapidement, quand elles ne se font pas déchiqueter en s’emberlificotant dans l’axe du moteur. Mais ce sont justement ces défauts-là qui font le charme de l’instrument.

La copie d’un instrument qui copie les instruments

Si vous voulez jouer du Mellotron aujourd’hui, vous pouvez tenter de trouver un modèle d’occasion (comptez Fr. 4000 et des mois de recherche), ou encore vous offrir un MK-VI : un Mellotron presque identique à l’original M 400, qu’une firme canadienne met depuis peu sur le marché pour 5200 dollars, ou enfin – et c’est ce que je vous conseille vivement – acheter le plug-in M-Tron que propose la firme G-Media pour 45 livres sterling.

Juste une petite explication au passage : un plug-in est un programme que l’on ajoute à un autre. Le M-Tron est aux formats VST et AudioUnit : pour l’utiliser, vous devez posséder un logiciel musical qui peut lire ces formats, tel que Cubase ou Logic audio, par exemple.

L’installation s’effectue sans difficulté, sur Mac ou PC, à partir du CD livré dans une amusante boîte cubique en carton.

Une fois installé le plug-in, il vous faut ouvrir votre logiciel musical, créer un nouvel instrument VST ou AudioUnit, puis choisir le M-Tron dans la liste des plug-in disponibles (je ne m’attarde pas trop là-dessus : au besoin vous pouvez vous référer à la doc du logiciel en question).

Apparaît alors l’engin : une copie presque photographique d’un véritable M 400, marques de cigarettes et ronds de verre de bière inclus (non, ce doit être plutôt du coca-cola).

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Sur le plug-in, le clavier fonctionne : vous pouvez cliquer sur une touche pour faire sonner la bande correspondante.

Tout en quatre boutons

A gauche se trouvent les commandes traditionnelles : boutons de volume, de tonalité (à l’origine surtout pour couper les aigus et masquer tant que faire se peut le souffle produit par les circuits de l’époque) et accord de l’instrument. Le bouton ON-OFF ne sert à rien, mais c’est assez joli.

Petite entorse par rapport à l’original : le bouton à trois positions A – B – C ne sert pas à sélectionner le son, par déplacement des têtes de lecture. Ici, c’est la position C qui propose une liste des sons disponibles.

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Heureuse surprise, ce ne sont pas trois mais 28 choix qui s’offrent à l’utilisateur. Tous les classiques y sont, y compris certaines bandes d’accompagnement du MK-II. Les techniciens de G-Media ont patiemment récolté de vraies bandes, sur plusieurs Mellotrons encore utilisables, et les ont samplées telles quelles, en entier, note par note. Et si vous n’y trouvez pas votre bonheur, vous pouvez acheter des CD de sons supplémentaires : trois volumes, d’une vingtaine de sons, sont disponibles pour la somme de 33 livres chacun, ce qui est à mon avis fort cher en regard du prix de base du plug-in.

Mais revenons à nos boutons. La position B offre une fonction qui n’existe pas sur l’instrument original : deux curseurs permettent de régler l’attaque et le relâchement (release) du son. Très pratique.

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La position A enfin ne sert… à rien. Sur un vrai Mellotron, on pouvait placer le bouton entre deux positions, et entendre un mélange de deux sons à la fois. Avec le M-Tron, cette astuce n’est plus possible. Le truc, c’est de créer deux instances du M-Tron, avec chacune un son différent, et de leur faire jouer la même piste. D’ailleurs, dans le même esprit, on peut aussi créer deux instances avec le même son, les placer en stéréo l’une à gauche et l’autre à droite, désaccorder d’un poil l’une des deux et la déplacer de quelques millisecondes dans le temps : avec les chœurs, par exemple, le son est énorme.

Et ça sonne !

Chaque note du M-Tron a été samplée, comme on l’a dit, à partir de bandes originales, sans boucle, y compris les craquements, le souffle et les problèmes de justesse. Puisque le vrai Mellotron n’est pas dynamique, et qu’il joue lui aussi la même bande à chaque pression sur une touche, on parvient par cette technique à une imitation très convaincante. Dans un mix, je vous mets au défi de pouvoir identifier l’original de la copie.

Il reste que le Mellotron n’est pas un instrument universel. Très typé années 60 et 70, limité dans son ambitus (3 octaves), on le reconnaît immédiatement et on s’en lasserait assez vite. Un peu comme d’une épice, il faut savoir en utiliser avec parcimonie et n’en pas mettre à toutes les sauces. Mais pour le prix, le jeu en vaut la chandelle.

G-Media travaille actuellement à une version améliorée du M-Tron, le MegaTron, qui inclura un filtre, des enveloppes complètes de type ADSR, ainsi que d’autres ajouts. J’avoue que cette version-là ne me tente pas vraiment. D’une part, ce que j’aime chez le M-Tron, c’est justement le fait qu’il soit fidèle à l’original. D’autre part, comme c’est un plug-in que je n’utilise que de temps en temps, j’hésiterais à débourser plus cher pour quelques boutons de plus. Cela dit, avec mon M-Tron de base, je m’amuse un max.

7 commentaires
1)
Obi1
, le 20.10.2003 à 08:33

Un grand merci pour cet article passionant. Je me réjouis du prochain! cuk.ch ajoute ainsi une belle corde à son arc (musical).

2)
serge
, le 20.10.2003 à 12:09

Il existe également une autre version du mellotron, peu connue celle-là, qui utilisait un disque plutôt que des bandes.

3)
Okazou
, le 20.10.2003 à 15:33

Merci, Jean-Damien, de faire connaître (reconnaître ?) le Mellotron qui fait partie de ces instruments à clavier — ondes Martenot, orgue Hammond, Fender Rhodes, Minimoog et même Vocoder – qui, contrairement aux synthétiseurs « ordinaires » ne tentent pas d'imiter un ou des instruments traditionnels mais, fort courageusement, offrent un timbre typé, unique, qui leur confère un statut d'instruments, non pas « Canada dry », mais à part entière.

Ce qui m'émerveille, dans cette quasi famille d'instruments, ce sont les moyens mis parfois en œuvre : Bande magnétique pour le Mellotron, résonnance et électro-aimant pour le Fender Rhodes, hauts-parleurs rotatifs pour les cabines Leslie de l'orgue Hammond et roues phoniques…

Toute cette ingéniosité pour parvenir à obtenir un timbre typé, qui marque, sans provoquer pour autant de lassitude ; avec le risque de ne pas toujours y parvenir, c'est le cas, me semble-t-il, du Mellotron, dont on n'imagine pas une utilisation d'instrument soliste sur tout un CD, au contraire de l'orgue Hammond.

Un site à visiter :

http://perso.wanadoo.fr/egrefin/Studio/homestudio.html

J'attends avec impatience ton prochaine article sur Cuk.ch, le site universel !

4)
Jean-Damien
, le 21.10.2003 à 11:17

Merci de ces différentes remarques, conseils et encouragements. Je n'ai jamais entendu parler d'un Mellotron utilisant des disques à la place des bandes. Cet instrument, s'il existe, ne doit pas provenir de la même firme. Il y a eu de nombreuses tentatives dans ce domaine dans les années 50-60 (cf. notamment le Chamberlain, dont parle le site mentionné par Okazou), mais peu ont abouti à des instruments commercialisés.

5)
g.chatelain
, le 24.10.2003 à 21:33

Bonjour
Ci-joint une petite histoire du Mellotron qui pourrait vous intéresser ou vous amuser, ainsi que vos lecteurs.

Pour la petite histoire du Mellotron en France
Je m’appelle Georges Chatelain, et j’ai créé en 1966 le studio CBE, à Paris, avec l’aide précieuse d’un ingénieur suisse de Lausanne, Gunther Loof, grâce à qui j’ai pu avoir le premier
magnétophone 8 pistes en Europe, puis le premier 16 pistes et le premier 24 pistes, passant outre le refus catégorique de mes associés (ça ne marchera jamais, qu’ils disaient!!! On s’en servira au
maximum une fois par semaine!!!).
J’avais entendu parlé de ce Mellotron dans un des studios de Londres où je me rendais souvent.
J’ai donc eu le premier Mellotron en France, commandé dans une petite boutique de musique à Paris tenue par Jacques Moralli, qui devait créer plus tard les Village People.
Puis j’ai entendu parler par les musiciens de Lee Hazzlewood (compositeur entre autre de Frank Sinatra) , qui était venu enregistrer un album chez moi, de l’origine du Mellotron:
En fait c’était une copie d’un autre appareil, le Chamberlain, beaucoup plus complet et sophistiqué, créé par Mr Chamberlain, vivant près de Los Angeles.
Je suis donc allé voir ce Monsieur dans son atelier qui ressemblait à l’atelier d’un savant génial, et quelques semaines plus tard, je recevais à CBE le premier et sans doute le seul “Chamberlain” en
Europe.
Nous le cachions sous des couvertures de peur que les musiciens ne refusent de venir enregistrer chez moi.
Grâce à cet instrument j’ai fait, entre autres, pas mal de pubs avec…Pierre Bachelet. Avant qu’il ne fasse sa carrière de chanteur, il était dans la création publicitaire audio.
Récemment, j’ai revu Laurent Voulzy, et la première chose dont il m’a parlé était de ce fameux “Chamberlain”.
Puis quelques temps après, le Moog est arrivé, et vous connaissez la suite.

Si cela vous intéresse, je pourrai aussi vous raconter comment j’ai créé l’acoustique du studio CBE, à l’origine du fameux “son CBE”.
Juste pour une autre histoire, j’ai été le "producteur son", (sound designer et casting director) des Guignols de l’info depuis leur création, en 1988, et pendant 5 ans.
Cordialement
Georges Chatelain
g.chatelain

6)
Roger Baudet
, le 26.10.2003 à 09:37

Tiens, les musiciens se réveillent sur CUK, quelle bonne nouvelle !
Il y a deux sons intéressants dans le M-TRON. Les choeurs et la flûtes. Ces sont, retraités, peuvent donner un grand nombre de tapis sonores très "chauds" et agréables à l'écoute. Un bon outil de travail donc. Mais comme dit plujs haut, je ne vois pas pour
l'instant l'intérêt d'une version plus sophistiquée.

7)
Roger Baudet
, le 26.10.2003 à 09:40

Aïe, pardonnez les fautes de frappe.
J'ai écris mon commentaire sur mon lit et ce n'était pas une très bonne idée !