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Textures

Outre sa fonction vitale consistant à mettre plein de carburants différents dans une machine à la complexité redoutable, la cuisine s'adresse à plusieurs de nos sens. Quand on est dans la position de l'heureux convive invité, en premier lieu, les yeux ou l'odorat, ça dépendra du sens et de la vitesse du vent, soit on va commencer à sentir le plat avant même que l'on soit dans la même pièce, soit, on en découvrira l'aspect au moment où il arrivera sur la table. Ensuite, évidemment, le goût, au moment de la mise en bouche; et puis, concomitamment, on va jouir de la texture grâce à notre sens du toucher et à notre ouïe. Et oui, l'ouïe est aussi impliquée, n'est-il-pas, Louis ? On sentira sous la dent la dureté d'un aliment et certaines textures, à l'écrasement de la molaire, vont provoquer des sons bien particuliers, spécifiques, et qui dans certains cas, ont une importance capitale dans le plaisir gustatif.

Un exemple, le pavé au chocolat fondant de Patrice Pelé, qui tient boutique à Versailles, est un petit truc formidable : un carré assez plat de dix par dix de pâte feuilletée simplement fourrée d'une crème pâtissière et agrémenté de nombreuses pépites de chocolat, une viennoiserie somme toute assez classique, mais chez lui, délicieuse. Un jour, j'en prends deux, comme à chaque fois (le premier pour le bâfrer, tellement c'est bon, le deuxième, pour le déguster tranquillement ;o) et là, le premier me semblait moins bon que d'habitude, je goûte l'autre qui me semble meilleur, je les compare, et l'un des deux arborait sur sa face supérieure dorée à l'œuf deux ou trois cicatrices, alors que l'autre était scarifié plusieurs fois par centimètre...

C'était donc ça ! celui qui n'avait que trois traits de couteau était plus mou sur le dessus, moins croustillant, plus quelconque (j'avais envie d'aller faire la remarque, mais ce regrettable incident ne s'étant jamais reproduit, il y a quand même dû y avoir des plaintes). Donc, avant de dorer un pithiviers (j'en fait souvent), je le scarifie longuement en diagonale, de sorte qu'il aie plus de croquant avant d'attaquer le cœur bien fondant (je charge grave en frangipane !). Je pense depuis un moment à me bricoler un outil spécial en assemblant entre elles une dizaine de lames de cutter avec un petit espace entre chaque pour pouvoir faire une dizaine de cicatrices d'un coup (mais il faut trouver un moyen de pouvoir le nettoyer sans s'enlever une tranche de doigt par lame, ça fait toujours désordre, les traces de sang sur les gâteaux, après, on est obligé de masquer avec un coulis de fruits rouges) !

Une autre application du même principe avec les patates au four, deux méthodes : on fait blanchir des pommes de terre cinq minutes, et ensuite, on les raye consciencieusement avec une fourchette, tout partout, comme nous sommes de gros consommateurs, il faut en faire beaucoup, et c'est assez fastidieux, ensuite, je les fait rôtir avec un peu de gras qui dore bien, huile de tournesol, graisse de canard, beurre clarifié, ou directement dans le même plat que le gigot ou le poulet qui commence à suinter; ça ne marche pas trop bien à l'huile d'olive ou à l'huile de pépin de raisin, on n'obtient pas une jolie dorure et un bon croquant avec. Et je les retourne très régulièrement, au moins une fois tous les quart d'heure. Quand elles sortent du four, elles ont un aspect rigolo avec toutes ces rayures, et surtout, cette méthode donne un résultat formidable du point de vue texture, croustillant dehors et bien moelleux dedans. Une autre méthode, plus élégante, consiste à couper les tubercules dans la largeur tous les trois millimètres environ, jusqu'à la moitié seulement, comme si on voulait faire des chips mais qu'on avait changé d'avis et coupé seulement la moitié de la patate, ensuite, on fait rissoler, longtemps, en retournant régulièrement et en arrosant aussi; que l'intérieur (en dessous) soit bien gorgé et l'extérieur (au dessus, là où l'on a coupé, si vous suivez), comme un petit accordéon croustillant.

Je trouve que c'est un élément qui n'est malheureusement pas très souvent relevé dans la « cuisine bourgeoise » française, tout au plus, dans la pâtisserie, arrive-t-on assez souvent à des accords de textures, mais ce n'est pas quelque chose sur lequel on met assez l'accent en général, comme par exemple la cuisine japonaise dans laquelle, outre la simplicité des assaisonnements qui visent à sublimer le goût originel, naturel, de l'aliment principal, la façon dont ça va bruire sous la dent est parfois un des grands bonheurs. Je pense en particulier au plateau de sashimi « de rêve » dans lequel l'extrême moelleux de la poitrine de thon tempèrera le son incroyable du calamar et celui aussi assez particulier, encore plus caoutchouteux de l'aka gai, un coquillage entre la palourde et le clams d'une très jolie couleur rouge, n'oublions pas les petites explosions provoquées par les œufs de poisson, minuscules pour ceux du poisson volant et très intenses pour ce qui est du saumon, et on fini dans les poissons à chair blanche à la délicate finesse (si, si, j'insiste), le bar, la sole et la dorade, tous différents les uns des autres aussi sous la dent, et puis bien sûr un oursin et une ou deux petites crevettes et les rares accompagnements, riz blanc, daikon (énorme radis blanc) cru râpé et ou mariné et feuille de shiso (espèce de basilic au parfum très particulier, et dont la feuille est assez râpeuse) ont aussi chacun son style en bouche.

Dans la cuisine occidentale, la bonne cuisson va bien évidemment déterminer la qualité du mordant et la texture obtenue est bien sûr parfois primordiale, mais on arrive quand même souvent à trop cuire les légumes, voire à en faire de la purée ou du velouté histoire d'en faire oublier cet aspect particulier des plaisirs de la table. Bon, j'en sais qui vont frémir ici ou là, mais effectivement, dans une tête de veau, on arrivera à trouver un assortiment tout à fait réjouissant pour les crocs : du tout fondant, du gélatineux, du cartilagineux, du tendre...

Il me semble que le bassin méditerranéen propose déjà plus de choses faisant du bruit dans la bouche, entre la feuille de brik, ou de pâte à filo, ça commence à craquer un peu, et puis ces biscuits secs, que ce soient les couronnes sucrées (très peu) ou les taralli, petits étrons d'apéro bien croquants : c'est une pâte au vin blanc, avec un peu d'huile d'olive, du sel, du poivre et on peut y mettre quelques feuilles ciselées de romarin, il faut les cuire d'abord à l'eau avant de les dessécher au four et ça fait du boucan en bouche ! Pas autant que les croquets de Sancerre, petites choses soufflées aux amandes proprement assourdissantes (très addictif).

La composition d'une salade de fruits devrait aussi s'orienter dans le même sens, je laisse les pépins du raisin et du fruit de la passion (mais pas les noyaux de pèches ;o), et d'ailleurs, dans une salade de tubercules hivernaux râpés que j'affectionne particulièrement en cette saison (radis noir, betteraves, céleri rave, ail, le tout râpé ensemble par petits tronçons pour bien mélanger la couleur, bien vinaigrée, au xérès et au cidre et adoucie d'huiles d'olive et de pépins de courge, avec plein de thym et de câpres), je sème aussi quelques graines de chènevis et de lin, qui font autant de petites surprises.

Alors c'est sûr, il faut bien mâcher pour profiter de ce que je vient de décrire, si on avale directement, c'est déjà moins bon pour la digestion, mais on risque de louper tout un tas de petites subtilités bien agréables.

Bon, je vous laisse, il y a une part du tiramisu de Didier, un voisin,  qui m'attend : du moelleux, et du fondant...

Et non, pas une photo, je vous l'ai déjà dit, quand je suis en cuisine, je n'ai pas vraiment les mains compatibles avec l'emploi d'un appareil photo, et pas le temps non plus, ce sont deux activités que j'affectionne particulièrement, mais qui, pour moi, sont totalement sans possibilité de concomitance.

11 commentaires
1)
Saluki
, le 12.01.2016 à 00:17

Souvent, je dècouvre l’humeur du jour en me couchant….

Aujourd’hui nous nous relevons, Madame Saluki et le rédacteur de la présente, et sonnons à ta grille dans 14 à 25 minutes !

2)
fxc
, le 12.01.2016 à 00:47

Même réflexion que Mr Saluki, sauf que c’est un peu plus loin et puis je ne sait pas si tout cela est bon au pti déj. résultat, je redescend dans la cuisine et j’avale tout ce qui dépasse, heureusement nous n’avons plus de poisson rouge.

3)
Radagast
, le 12.01.2016 à 08:53

Mmmh, un tiramisu, quelle bonne idée ! Merci pour cet article appétissant…

4)
Modane
, le 12.01.2016 à 08:53

Subtil, subtil!…

5)
infisxc
, le 12.01.2016 à 10:05

Ma parole zit, toi tu sais vivre !

6)
Caplan
, le 12.01.2016 à 10:15

Merci pour cette humeur craquante!

7)
Jean-Yves
, le 12.01.2016 à 15:18

Redoutable !
Victime d’une fringale irrépressible en cours de lecture, j’ai dû essuyer délicatement quelques épanchements salivaires sur le clavier avant de courir en hurlant vers la cuisine.
Pas sûr que les voisins aient apprécié. Un grand merci quand même :D

8)
pter
, le 12.01.2016 à 15:27

je hais cet article. je te hais Zit. Pter; au regime sec qui pleure devant tout cette luxure culinaire,,,raaaaaa…je ne supporte plus cette separation: Frigo!!! Frigo: viens me rejoindre vite !

9)
Laurent Vera
, le 12.01.2016 à 16:32

Pour avoir fréquenté quelques fois la cantine Zit, je confirme la qualité des réalisations !

10)
Gr@g
, le 12.01.2016 à 20:46

Je fonds devant ce texte…

11)
djtrance
, le 12.01.2016 à 21:27

Bon, ben, le rendez-vous est donné au prochain Rock’n’Poche :)

Ecouter de la bonne musique en mangeant un bon repas, au top quoi :)