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Comme quoi Audiard mène à tout…

Il y a de grandes chances pour que le cinéma me soit arrivé avec celui d'Hunnebelle, de Grangier ou de Lautner. C'est le cinéma qui avait droit de cité à la télé de mes souvenirs, ceux en noir et blanc, avec des dames qui annonçaient les programmes, lisses, tellement lisses. Je la regardais le dimanche d'un dessous de table du salon de ma grand-mère, attendant Dim Dam Dom avec impatience. Le cinéma aussi était aussi en noir et blanc, comme l'époque, j'en ai l'impression.

Il me reste en tête, de cette époque, des pans entiers de Grandes familles, fabuleux duo Gabin-Brasseur, de Pacha avec ses cons sur orbite, et de Président chenu et orgueilleux. À propos, notez que chenu, dont la signification usuelle est "blanchi par l'âge" est aussi défini par le Larousse comme : "se dit d'un arbre dont la cime se dépouille".

Pour en revenir à mon cinéma, je m'en rends compte, tous ces réalisateurs ont un point commun : Michel Audiard aux dialogues.

Je vous avais fait part de mon admiration pour les auteurs, et spécialement les dialoguistes, dont deux tout spécialement : Audiard et Jeanson. Ce sont donc ceux-là qui m' ont embarqué vers le cinéma, pas les images,  mais les mots. Et aussi cet esprit-là qui fit le succès du cinéma français, avant la nouvelle vague qui le fit autant, mais après avoir dû secouer le grand cocotier de l'institué.

Or, il y a quelques temps, proches de je ne sais encore quelle imbécilité européenne débouchant une nouvelle fois sur la consternation générale, ah, il est beau, l'espoir des peuples!, une amie m'avait envoyé ceci...

 

Ah quel bonheur, cette diatribe! Et finalement assez similaire au style de celui qui inspira le personnage de ce Président : Georges Clémenceau, celui-là même qui trouva le titre d'une autre diatribe célèbre : le "J'accuse" de Zola dont il était l'ami et le directeur. À tel point que la rumeur lui attribue directement une des répliques du film. Lors d'une discussion au cours de laquelle son petit-fils disait qu'il connaissait des magistrats intègres, il lui répondit sèchement : « J'ai vu aussi des poissons volants, mais ce n'est pas la généralité». Ce qui fit bien sûr le délice d'Audiard.

Parler de Clémenceau nous ramène fort en arrière dans le temps, de 1841 à 1929. Il fut successivement maire du 18e arrondissement de Paris et de Montmartre, conseiller municipal de Paris, président du conseil municipal de Paris, député, sénateur, ministre de l'Intérieur, président du Conseil.

Il fut élu à l'Académie française, sans y sièger jamais. Il dirigea l'Aurore, fut l'ami de Courbet et de Zola; et s'il se fit une réputation de Tigre, ce fut autant par son action de ministre de l'intérieur que pour son esprit vachard. Ses contradictions apparentes et successives, il les légitima par ces mots : "L'homme absurde est celui qui ne change jamais."

Ainsi, du Père La Victoire qui vainquit en 1918, on lit :

"La guerre ! C'est une chose trop grave pour la confier à des militaires."

"Il suffit d'ajouter "militaire" à un mot pour lui faire perdre sa signification. Ainsi la justice militaire n'est pas la justice, la musique militaire n'est pas la musique. "

"En définitive, les victimes des guerres sont mortes pour rien. Seulement, elles sont mortes pour nous."

"On ne ment jamais tant qu'avant les élections, pendant la guerre et après la chasse."

 

Il fut politique, ministre et président du Conseil, mais en dit:

"En politique, on succède à des imbéciles et on est remplacé par des incapables."

"La France est un pays extrêmement fertile : on y plante des fonctionnaires et il y pousse des impôts."

"Les fonctionnaires sont les meilleurs maris : quand ils rentrent le soir à la maison, ils ne sont pas fatigués et ont déjà lu le journal."

"La politique me fait l'effet d'un immense cabestan auquel sont attelés un grand nombre d'hommes pour soutenir une mouche."

"Une commission d'enquête pour être efficace, ne doit compter que trois membres, dont deux sont absents."

 

Il fut Académicien, mais en dit :

"Donnez-moi quarante trous du cul et je vous fais une Académie française."

 

Ce fut un grand amoureux et on lui doit :

"Le meilleur moment de l'amour, c'est quand on monte l'escalier."

"Il n'y a pas de vieux messieurs, il n'y a que des femmes maladroites. "

 

Mais hors de ces citations populaires, souvent attribuées à d'autres, on lui doit nombre de belles choses, souvent encore très actuelles, voire de première nécessité en ces temps de politiques troublantes.

"L'honneur, c'est comme la virginité, ça ne sert qu'une fois."

"Etre vaincu vaut mieux que d'être vainqueur du côté des scélérats."

"Il n'y a pas de repos pour les peuples libres ; le repos, c'est une idée monarchique."

Et cet extrait d'un discours célèbre, que je viens de lire :

"C'est que cette admirable Révolution par qui nous sommes n'est pas finie, c'est qu'elle dure encore, c'est que nous en sommes encore les acteurs, c'est que ce sont toujours les mêmes hommes qui se trouvent aux prises avec les mêmes ennemis."

Deux mots de la fin?

Pour décider, à 82 ans,  Marguerite Baldensperger, de 40 ans sa cadette, à vivre à ses côtés :"Je vous aiderai à vivre et vous m'aiderez à mourir, voilà notre pacte."

Et finalement :

"Pour mes obsèques, je ne veux que le strict minimum, c'est-à-dire moi." Ce qui fût.

Bref, merci à Michel Audiard de m'avoir provoqué cette curiosité pour le bonhomme. Que j'espère bien sûr vous transmettre à mon tour!

 

19 commentaires
1)
PSPS
, le 30.06.2014 à 05:21

Oui, sacré bonhomme, en effet, ami intime et exécuteur testamentaire de Claude Monet, qui déclara aux agents des pompes funèbres venus préparer les obsèques du peintre : « Non, messieurs ! Pas de noir pour Monet »…

Chaque fois que mes pas me portent vers les Champs-Élysées, je ne manque pas de faire halte devant la statue de bronze qui le représente superbement…

2)
Abelard
, le 30.06.2014 à 06:22

Clemenceau était un sinistre personnage. Ministre de l’Intérieur, il a fait tirer plusieurs fois sur des ouvriers grévistes. Militariste convaincu il a pourchassé les pacifistes.

Et plus grave c’était un ignoble individu dans sa vie privée. Il a collectionné les maîtresses durant toute sa vie, se comportant plus en hussard qu’en gentleman. Sa femme américaine, Mary Plummer, lassée de ses infidélités a fini par prendre un amant. Son digne mari l’a fait mettre en prison pour adultère (elle y a passé deux mois) et l’a ensuite expulsée vers les États Unis en bateau de troisième classe.

Il serait temps de ne pas oublier cette face du personnage.

3)
PSPS
, le 30.06.2014 à 07:39

Militarisme forcené, face sombre d’un personnage, qui permit accessoirement aux citoyens français d’échapper aux griffes de l’impérialisme germain… Mais, bon, juste un détail :-)

4)
Argos
, le 30.06.2014 à 07:45

Ouais. Clémenceau est l’exemple du personnage qui ne saurait être réduit à une formule. On peut le considérer comme un géant, si on le compare à nombre politiciens de la Troisième République, mais arrivait-il seulement à la cheville de Jaurès ? « Père la victoire », certes. Mais son intransigeance et son mépris à l’égard des Allemands lors des discussion du Traité de Versailles a largement contribué aux conditions conduisant à la Seconde Guerre mondiale.

La politique française est souvent faite de mots, et Clémenceau s’y est illustré, après et avant d’autres. Aujourd’hui, on parle de petites phrases, cela permet aux chroniqueurs de commenter celles du week-end et évite d’aborder l’essentiel.

Le cinéma français est souvent aussi fait de mots. Audiard, comme Prévert, pouvait faire oublier le réalisateur, ce qui l’a conduit derrière la caméra. J’ai eu la chance de le rencontrer un certain nombre de fois et ses répliques dans la vie égalaient parfois ses films. Carmet et lui faisaient un duo incroyable. Tous deux sont morts trop tôt.

5)
soizic
, le 30.06.2014 à 08:40

Merci Modane pour cette plongée dans le cinéma de ma jeunesse.
Merveilleuse diatribe d’hier mais aussi d’aujourd’hui. La magie des mots sublime le sordide.

6)
PSPS
, le 30.06.2014 à 09:15

Mon grand-père maternel, trop jeune pour connaître la défaite de soixante-dix et l’épouvantable répression de la Commune, s’était engagé en 1916.

Pourtant brave bonhomme, il survécut à cette épreuve avec une haine viscérale de « l’Allemand ».
Sentiment pernicieux partagé par la plupart des individus de l’époque qui souhaitèrent faire payer l’addition à l’ennemi dont le territoire sortait indemne de la défaite, au contraire des provinces de l’est et du nord de la France ravagés par quatre années d’occupation et de combats…
D’où la dureté, catastrophique pour l’avenir, des clauses du Traité de Versailles.

7)
ysengrain
, le 30.06.2014 à 10:43

Il vit toujours ? Il parle de « nos » politiques ?

8)
Argos
, le 30.06.2014 à 12:03

Et puisqu’on évoque Clémenceau, je ne saurait passer sous silence cette extraordinaire et prémonitoire citation : « L’automobile est dangereuse, puante, inconfortable, ridicule assurément, vouée à un oubli rapide ».

9)
Modane
, le 30.06.2014 à 17:03

Ça ne l’a pas empêché d’en équiper ses fameuses Brigades!

10)
M.G.
, le 30.06.2014 à 21:20

En ce qui me concerne, j’avais vu le film étant gamin et gardé en mémoire le fameux discours du « Président ».

Depuis que le DVD existe, j’ai vu et revu très souvent ce film et je me régale à chaque fois de ces onze minutes inoubliables.

L’histoire est censée se passer sous la IIIe république. Le film date de 1961. Nous sommes en 2014.

Avouez que le discours de Jean Gabin est toujours d’une brûlante actualité, tant sur l’Europe des « Maîtres de forges et des Banquiers » que sur l’investissement rentable que constitue la « fabrication » d’un député.

« Une campagne électorale coûte cher mais pour certaines grosses sociétés c’est un placement amortissable en quatre ans. »

Ça ne vous rappelle pas furieusement notre actualité immédiate ?

Marc, l’Africain

11)
Modane
, le 30.06.2014 à 21:32

Effectivement, c’est terrible : tout y est!

12)
okgenial
, le 30.06.2014 à 22:49

et aussi celle-ci

« Les cimetières sont pleins de gens irremplaçables, qui ont tous été remplacés. »

13)
Hervé
, le 01.07.2014 à 12:30

Une petite phrase un peu plus plaisante qu’on lui attribue aussi :
Il y a deux choses inutiles dans la vie : la justice militaire et la prostate

14)
PSPS
, le 03.07.2014 à 19:54

Je me permets de signaler aux lecteurs intéressés par la vie et l’œuvre de Georges Clémenceau qu’un Journal inattendu lui sera consacré, samedi 5 juillet à partir de 12:30, sur les ondes de RTL à l’occasion du centenaire du déclenchement de la Première Guerre mondiale

Espérons que les intervenants évoqueront las turpitudes sexuelles et les déboires conjugaux du sinistre personnage…

15)
M.G.
, le 04.07.2014 à 10:17

Espérons que les intervenants évoqueront les turpitudes sexuelles et les déboires conjugaux du sinistre personnage…

Oh oui ! J’en salive à l’avance…

Et sur les turpitudes sexuelles et les déboires conjuguaux du Soldat Inconnu, vous avez des tuyaux ?

Marc, l’Africain

16)
PSPS
, le 04.07.2014 à 21:09

Moi, personnellement, non. Abelard, peut-être ?
:-)

17)
M.G.
, le 05.07.2014 à 09:23

Moi, personnellement, non. Abelard, peut-être ?

Autant pour moi ! Mais ce n’est pas bien de manier l’ironie à ma place ;-)

Ça m’apprendra à suivre le fil des commentaires avec plus d’attention…

Marc, l’Africain

18)
PSPS
, le 05.07.2014 à 13:37

L’essentiel n’est-il point de parvenir à communiquer en souriant ?…

Contrairement à ce que j’espérais, la partie « Clémenceau » du « Journal inattendu » de ce jour offrait un intérêt très limité, comme toutes ces émissions grand-public destinées à placer des spots de pub plein tarif.

19)
M.G.
, le 05.07.2014 à 14:28

@PSPS
La dernière émission du genre que j’aie vu avait trait à un personnage encore plus contesté que Clemenceau : le Maréchal Pétain. J’ai été étonné de l’objectivité des commentaires et de celle du montage des images et vidéos qui étaient proposées. Certaines étaient totalement inédites.

Pour en revenir aux dialogues d’Audiard dans « Le Président », ils resteront gravés dans l’histoire du cinéma. Ceux des « Grandes familles » idem.

Certes, le bonhomme avait une gouaille bien parisienne mais ce n’est pas pour me déplaire, puisque je suis moi-même parisien d’origine ;-)

Marc, l’Africain