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Ces portes qui s’ouvrent

 

Cela a commencé fin novembre. Dans les grandes rues marchandes de Zurich, des lumières brillaient depuis des semaines déjà, pour inviter le chaland à acheter (du moins je suppose). Dans notre quartier, le premier arrondissement (en allemand Kreis 1), dit aussi «Vieille ville à droite de la Limmat», les commerçants et l’Association de quartier se sont concertés il y a une dizaine d’années pour faire plus nuancé. Certes, les magasins (petits, en général) espèrent faire de bonnes affaires pendant la période de Noël - mais tout le monde était d’accord pour dire qu’on ne voulait pas de lumières tape-à-l’oeil. Nous avons tous été invités à mettre la main à la poche, et nous nous sommes exécutés. Voici le résultat.

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Neumarkt (Rue du Marché neuf), le théâtre à gauche de la deuxième image était autrefois la Maison des syndicats où se sont tenues des réunions de l'Internationale communiste.

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Spiegelgasse (Rue des Miroirs, la rue où Georg Büchner a vécu et il est mort, et où Lénine a vécu pendant son séjour zurichois en 1916-1917)

Les loupiotes s’allument dans la semaine qui précède le premier dimanche de l’avent, et égaient rues et ruelles. Et ce soir-là, tous les magasins sont ouverts, non pour vendre, mais pour recevoir: ceux-ci offrent de la soupe, ceux-là servent du vin chaud, d’autres tentent les passants avec des biscuits faits maison, et devant certaines boutiques, on vous offre même une coupe de champagne - sans oublier ceux qui servent du thé. On fait visiter le stock ou l’arrière-boutique, les artisans expliquent leur travail. Bref, c’est amical et chaleureux. Très suivi, non seulement par les gens du quartier, mais par de nombreux Zurichois venus d’autres quartiers.

 

Le calendrier de l’avent

 

Mais cela ne s’arrête pas là. Le quartier offre pendant tout le mois de décembre un «calendrier de l’avent» sur le modèle du calendrier en papier, vous savez, avec des petites fenêtres qui s’ouvrent, une par jour du 1er au 24 décembre. 

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Voici un calendrier classique, zurichois lui aussi: la Bibliothèque centrale le publie chaque année, et derrière les petites fenêtres il y a des documents précieux qu'elle conserve.

Le calendrier du Premier arrondissement de Zurich est différent en ceci qu'il est, disons, vivant: chaque jour, une porte s’ouvre. Une vraie porte, derrière laquelle il y a des gens en chair et en os. Vous êtes invités chez des privés, dans des bistrots, dans des commerces, dans des arrière-salles, vous êtes comme il se doit nourri et abreuvé, et il se passe quelque chose d’inattendu.

On trouve le calendrier dans les boîtes à lettres vers la mi-novembre. Il se présente comme ceci.

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Pour chaque jour un rendez-vous, une porte qui s'ouvre, des rapports humains qui se nouent. Cliquez dessus pour lire les détails (en allemand, bien sûr)

Cela commence le 1er décembre avec un concert dans une école construite comme un palais, elle est d’ailleurs classée monument historique.

Le 2, on écoute une conteuse qui lit ou récite des histoires dans les locaux, très exclusifs le reste du temps, du club de canoë.

Le 3 Fay, Gudrun et Heinz inaugurent dans la rue leur sapin de Noël, qui descend le long de la façade du 5e étage. Soupe et vin rouge pour se réchauffer, et grosse ambiance.

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Voici Gudrun qui distribue la soupe devant sa porte. Ça rit, ça danse dans la ruelle; il fait -5, mais ça ne paraît déranger personne.

Et ainsi de suite, jour après jour. Il y a ce couple qui a une grande cheminée et invite à s’asseoir autour du feu. Il y a les trois femmes qui organisent un concert dans leur cage d’escalier, il y a le club de cuisiniers qui offre de petits plats sur la place publique, l’orphéon des pompiers volontaires donne un concert, les riverains d’une petite place organisent un feu d’artifice, pendant la nuit la plus longue un feu brûle jusque tard sur une autre place, et cela se termine par un repas pakistanais à la maison de quartier le soir du 24 - seule porte poussée pour laquelle il faut s’inscrire, histoire qu’il y ait assez à manger pour tout le monde.

Je n’ai pas pu aller partout, mais j’ai essayé de participer à un maximum de «portes ouvertes de l’avent».

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Une cage d'escalier qui se transforme en salon…

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…puis en salle de concert.

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Une habitante du quartier a inventé pour l'occasion un Musée des boîtes d'allumettes: elle distribue des boîtes vides d'allumettes et nous sommes priés de les transformer en oeuvres d'art. Il y en avait plusieurs centaines, visibles pendant une soirée (le 4 décembre)

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Une boîte d'allumettes…

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.…qu'y a-t-il dans une boîte d'allumettes?

Qu'est-ce qu'on y voit?

Conséquences?

 

Avant, je n’y croyais pas vraiment, mais c’est vrai. Si, comme moi cette année, on fait preuve d'une certaine persévérance, en un rien de temps on connaît un nombre impressionnant de voisins, des gens qu’on avait déjà vus, dont on sait où ils habitent même, mais avec lesquels on n’aurait eu aucune raison de discuter dans la hâte des rencontres quotidiennes. Ici, on se parle, on trinque, on échange des histoires, des impressions, des indignations: «ils» ont autorisé la démolition de telle maison, autorisé la construction de telle autre. Nous avions fait opposition, individuellement, mais les autres ne le savaient pas, et tout à coup on décide que la prochaine fois… On échange des numéros de téléphone, des adresses électroniques.

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Les gens aiment visiblement beaucoup qu'on leur lise des histoires, il y en a eu plusieurs soirs, de toutes sortes.

Dans certaines maisons, il y a des restes de la vie zurichoise d’autrefois. Le plus spectaculaire pour moi cette année a été la découverte de la synagogue. 

Le 22 décembre, le magasin de musique «Notenpunkt» ouvrait ses portes pour une soirée musicale. Et j’ai découvert alors que l’arrière-boutique était, au moyen âge, la synagogue. J’ai ainsi appris plein de choses sur ce petit local.

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L'arrière-boutique qui fut la synagogue. Pour qu'on ne l'oublie plus, on y a placé de façon permanente une hanoukkia, ou chandelier juif à neuf branches (j'ai trouvé plusieurs orthographes, j'en ai choisi une…)

 

Les Juifs s’étaient installés à Zurich au XIIIe siècle parce que les Chrétiens n’avaient pas le droit de faire commerce de l’argent, leur religion le leur interdisait. L’industrie zurichoise de la soie était alors était en plein essor, l’argent était une nécessité — d’où l’autorisation aux Juifs de s’installer. Vers 1330, il y avait à Zurich entre douze et quinze familles juives.

Leur première disparition est le résultat d’un pogrom, et Zurich n’est pas ici un cas isolé. Dans toute l’Europe, la grande peste de 1348/49 tue une bonne partie de la population. Souvent, on accuse les Juifs d’avoir empoisonné les puits, provoqué l’épidémie, et on les massacre. On ne sait trop comment cela s’est passé à Zurich, mais quelques documents laissent deviner que cela a dû être épouvantable.

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Une des rues qui formaient le quartier juif, elle borde l'ancienne synagogue, raison pour laquelle elle a été rebaptisée récemment “Ruelle de la Synagogue

Pourtant, après l’épidémie ils sont revenus. Il a fallu attendre 1423 pour que la ville expulse définitivement, «pour la plus grande gloire du Seigneur et de la Vierge Marie», expliquait-on, la vingtaine de familles juives qui vivaient dans la ville. Leur quartier s’est transformé, la mémoire s’en est perdue peu à peu. La rue des Juifs est devenue la rue des artisans. Mais depuis un siècle environ, au hasard des travaux, des fresques reparues sous les stucs, des restes archéologiques, des documents, on a redécouvert le passé juif du quartier, dont le cœur était sans doute la synagogue, un lieu où l’on trouve aujourd’hui des notes de musique, et où on nous a offert biscuits et vin chaud par un des soirs de l’avent.

Conclusion?

Si je vous raconte toutes ces histoires, c’est parce que j’ai trouvé l’idée du calendrier «vivant» tellement bonne qu’il me semble qu’elle mériterait de faire des petits. Quant à moi, je réfléchis depuis à ce que je pourrais faire l’an prochain, pour participer activement, et ouvrir une des p ortes de ce calendrier vivant de l’avent.

 

Les photos pour cette chronique (qui paraît en remplacement - temporaire - de Mme Poppins, elle vient d'acccoucher d'un petit garçon) ont été prises (sans flash) soit avec mon Leica D-Lux4 quand je l’avais, et parfois avec mon iPhone quand je n’ai pas eu le temps de passer à la maison le chercher.

14 commentaires
1)
Saluki
, le 28.12.2009 à 02:09

Je croyais qu’il n’y avait que des gnômes à Zurich : il y a aussi des gens de chair et de sang (flesh & bones) mais, de plus, avec une âme .

Ici, à Paris, on a tenté une « journée des voisins » à la belle saison, qui fonctionne dans certains quartiers, pas du tout dans d’autres.

2)
coacoa
, le 28.12.2009 à 07:49

Merci pour cette belle histoire de Noël. Si ce qu’on appelle “l’esprit des Fêtes” existe, il doit sans doute ressembler à ce que tu décris. Ca me réjouit.

3)
LC475
, le 28.12.2009 à 08:18

Très sympa, ça donne envie d’aller à Zurich rien que pour ça. Merci et bonne fin d’année à tous ;)

4)
Filou53
, le 28.12.2009 à 09:40

Chouette idée…

Cela donne envie d’aller voir sur place…

Mais je suis horriblement casanier ! ;-)

5)
François Cuneo
, le 28.12.2009 à 10:18

Ça m’a l’air très beau.

Dans notre village, on fait une fenêtre par famille pour une date donnée du calendrier.

Dans certains cas, il y a apéro (qui se prolonge).

L’idée des concerts et des activités me semble encore plus agréable.

Mais bon, à Zurich, il y a plus de possibilités que dans un village avec 172 habitants…

6)
nic
, le 28.12.2009 à 11:12

dans notre quartier à lausanne (bergières) il y a aussi cette tradition, c’est très agréable et sympa, on a l’occasion de parler avec des gens qu’on croise régulièrement et parfois de gouter à des bonnes choses :-) mais il n’y a pas des concerts ni des lectures, c’est dommage!

anne, j’aime beaucoup le quartier des premières photos de ton articles, dans la ruelle qui monte à droite (première photo) il y a un magasin de percussions du monde, c’est juste?

bonne année a tous

ciao, n

7)
Anne Cuneo
, le 28.12.2009 à 11:58

anne, j’aime beaucoup le quartier des premières photos de ton articles, dans la ruelle qui monte à droite (première photo) il y a un magasin de percussions du monde, c’est juste?

La seule ruelle qui monte sur la première photo est plutôt à gauche. C’est la Spiegelgasse, dont il y a le détail dans la photo No 3. La rue de droite (qu’on ne voit pas) est à plat. Le magasin de percussions du monde, cependant, n’est pas non plus dans cette rue-là, mais dans une rue parallèle, encore plus à droite, la Brunngasse.

8)
nic
, le 28.12.2009 à 12:04

merci anne, il faut donc que j’y retourne au plus vite pour rafraichir mes souvenir ;-)

ciao, n

9)
Anne Cuneo
, le 28.12.2009 à 12:05

il n’y a pas des concerts ni des lectures, c’est dommage!

Cela s’organise, bien que cela demande plus de travail que de simples apéros. Personne ne recherche la perfection, dans ce genre de manifestations: il y a souvent des amateurs, musiciens, comédiens, artistes, des gens qui ont des dons ou des envies mais qui n’en ont pas fait leur métier, et qui profitent de ce genre d’occasion pour se faire plaisir en faisant plaisir aux autres.

Mais, je le répète, c’est vrai que cela demande plus de boulot (lancer un appel aux talents, trier – car il y a toujours plus d’offres que de possibilités). Le bon côté de la chose, c’est qu’on découvre des dons insoupçonnés chez ses voisins.

Ah, ce fonctionnaire qui jouait du tuba, il y a une quinzaine de jours! On n’aurait jamais pensé que c’était un rigolo, quand on allait le voir dans son bureau.

10)
ysengrain
, le 28.12.2009 à 19:01

Merci Anne de rapporter et donc de faire vivre ça.

Dans ma région, rien, ou si peu, des marionnettes père Noël qui descendent des toits; aucune célébration. Quel gâchis.

11)
pelerin
, le 28.12.2009 à 21:34

Merci également, Anne, pour nous avoir rapporté ces tranches de vie “humaines”…

Chaque fois que je vous lis, je me dis que j’ai, comme tous les lecteurs de CUK.CH, une chance incroyable.

Et Bonne Année 2010 !

Le Pèlerin

12)
pat3
, le 29.12.2009 à 13:05

Merci Anne, ça donne envie de venir voir sur place; moi qui cherche une destination familiale pour les vacances de Noël, voilà une idée qui n’est pas trop éloignée. Toulouse/Zurich, ça fait combien de kilomètres?

13)
Anne Cuneo
, le 29.12.2009 à 19:26

Toulouse/Zurich, ça fait combien de kilomètres?

960 km exactement en voiture, en train sans doute un peu moins, c’est plus direct, ça met 9 à 10 heures, selon les trains. Une paille, quoi. A bientôt donc! ;-))

14)
pat3
, le 30.12.2009 à 11:42

C’est jouable si on reste plus de quatre jours, sinon… Ça fait beaucoup de route, en effet. Bon, j’ai un an pour convaincre mon entourage que le jeu en vaut la chandelle ;-)