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Le sourire de Lisa, une enquête de Marie Machiavelli (15 et fin)

 

Chapitres précédents:

 

Les chapitres précédents d’un roman policier sont trop difficiles à résumer. Nous y renvoyons le lecteur: le feuilleton paraît le dimanche et peut être consulté en ligne.

 

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XV

 

Entre les vérifications qu’il voulait encore faire, la recherche d’illustrations, les délais d’impression, les lubies de la rédaction, l’article de Rico a fini par paraître dans un des hebdomadaires de la région en mars. Un modèle du genre : il était centré sur l’angoisse de l’enfant Yves, qui n’était jamais identifié sinon par un nom d’emprunt (comme dans l’article que Rico avait écrit vingt ans auparavant, et auquel il se référait). Il y avait le tableau de Merteau et la photo de Lisa, mais à elle aussi Rico avait créé une identité fictive – Lise M. tout de même, car il se référait à des articles parus avec ce nom-là au moment de sa mort. C’était très informatif, cela rendait bien le problème d’Yves, sans être sensationnaliste. Je ne sais pas comment Rico se débrouille, mais il y arrive souvent. Chez certains de ses collègues ça donnerait une histoire sordide, chez lui c’est un conte à portée sociale sans qu’à aucun moment il ne fasse la morale à personne.

Trois jours après la parution, par un après-midi déjà printanier, j’ai vu se pointer à l’agence, sans rendez-vous, l’inspecteur Léon. Sophie et moi avons échangé un regard stupéfait. Léon à l’agence, ce n’était pas sans précédent, mais c’était rare.

Il s’est laissé tomber dans mon miteux fauteuil des clients.

«J’avais à faire en ville, j’ai préféré venir plutôt que téléphoner.»

«Qu’est-ce qui se passe ?»

Il m’a fixée un instant sans me voir et a fini par dire, sur le ton de la confession :

«L’autre jour, j’ai rencontré Calame à la Cafétéria.»

«Qui est Calame ?»

«Un commissaire d’une soixantaine d’années. Il est entré dans la police il y a près de quarante ans, et il se souvient de tout et de tout le monde. Il y a des gens comme ça – et dans ce domaine Calame est un spécimen particulièrement réussi. Comme ces gens qui voient les vieux films et qui vous disent le nom de tous les figurants, vous savez, et les titres des films où on a pu les voir. J’ai une amie lyonnaise comme ça, c’est affolant. Calame, c’est pareil, mais lui c’est pour les criminels et les victimes. Ce qui fait qu’il a lu l’article sur les problèmes de Boissellier et qu’il a aussitôt reconnu la situation.»

Encore une longue pause. Léon était ému, ma parole.

«Vous savez», a-t-il fini par avouer, «je m’en veux. Parce que, si j’avais pris en main cette affaire lorsque vous m’en avez parlé, j’aurais entrepris les recherches de routine, j’en aurais fait état autour de moi, et je suis certain que Calame en aurait eu vent plus tôt. J’aurais même dû penser à lui poser la question. Mais, avec la politique des économies, on travaille constamment en sous-effectifs, je n’ai pas eu le temps de réfléchir à tout ça, et vous, vous avez fait ce que vous pouviez. Mais ce n’était pas le maximum.»

«Allez-vous enfin me dire où vous voulez en venir, Léon ?»

«Calame me fait : “ Un drôle d’oiseau, ce pasteur May. ” Vous voyez mon étonnement. Personne ne s’était jamais particulièrement concentré sur le pasteur, qui ne pouvait en tout cas pas être l’assassin de sa fille, j’ai constaté depuis hier que son alibi avait été vérifié avec un soin particulier. May était très loin d’Épesses, en chaire, au vu de cent personnes. “ Pourquoi me parlez-vous du pasteur ? ” “ Allez voir dans les archives, vous verrez. Il a un passé. ” “ Quel genre de passé ? ” “ On ne parlait pas de pédophilie, à l’époque. Mais il aimait les filles un peu trop jeunes. Si mes souvenirs sont bons, il a eu des ennuis déjà vers vingt ans, à cause d’une fille de treize ou quatorze. Il a de nouveau eu maille à partir avec le synode et même avec la police lorsqu’il était jeune pasteur. Et puis, vers trente ans, il a épousé la petite Tibault. Petite, c’est le mot. Elle avait seize ans et elle était déjà enceinte. Ses parents ont donné au pasteur le choix : ou le mariage ou la prison. Il a choisi le mariage. Il a fallu toutes sortes de dispenses. ” Et pour couronner le tout, en se levant Calame me fait : “ Un pasteur, à l’époque, lorsqu’il avait une histoire de ce genre, on le mutait. On ne prenait pas d’autres mesures. ” Là-dessus il s’est dirigé vers la sortie.»

Léon s’est tu et nous nous sommes regardés pendant un long moment : je savais qu’il pensait ce que je pensais.

«Et alors ?» Ma voix est sortie étranglée.

«Calame est revenu sur ses pas et il m’a fait : “ Il me semble qu’il y avait aussi quelque chose de pas net avec la mort de sa femme, vous devriez sortir le dossier. ” Je me suis précipité, évidemment, mais il m’a fallu du temps. Il était mal classé, et j’ai eu de la peine à mettre la main dessus. J’ai fini par trouver où il était hier aux petites heures, et ce n’est que ce matin que je l’ai eu en main.»

«Vous croyez que c’est lui qui a violé Lisa ?»

«Oui, Mac. Tout va dans cette direction. Et je crois même qu’il l’a violée plusieurs fois entre cette pseudo-chute dans les escaliers et le moment où elle est partie de chez elle. Et je crois par ailleurs que c’était chaque fois un viol avec coups, parce qu’à mon avis May est un déséquilibré. Et aussi parce que probablement Lisa s’est défendue comme un beau diable.»

«Et la mort de sa femme ?»

«Elle est tombée dans les escaliers pour de bon, elle, comme par hasard, et s’est brisé la nuque. Elle était couverte de bleus. Il y a eu une enquête, mais on n’en est jamais arrivé à un procès, parce que rien n’inculpait le pasteur directement. Mais l’inspecteur qui s’occupait de l’affaire a laissé des notes dans le dossier, dans lesquelles il fait état de sa conviction qu’elle avait été gravement battue avant de tomber, et que la chute n’était que la conséquence des coups.»

«On est certain que May n’a pas pu aller jusqu’à Épesses, le jour où Lisa est morte ?»

«Absolument.»

«Si on retournait voir Mme Jurieux, qui a été sa femme de ménage ? Et la voisine de banc de Lisa au lycée ? Et les voisins de la cure à l’époque, s’il en reste ? Parce que, si ce type avait des pulsions de ce genre, il pourrait les avoir toujours.»

«Mac, c’est là que j’ai l’estomac dans les chaussettes. J’ai tiré de l’ordinateur une liste des plaintes déposées depuis vingt ans pour viol avec coups et blessures. Il y a un certain nombre de cas non élucidés où un homme agresse une très jeune fille, la bat, la viole et s’en va. Aucune n’est morte, mais ça ne console personne. Depuis qu’on procède à des analyses d’ADN, c’est toujours le même ADN. Et depuis que May est à Yverdon, il y a eu quelques cas dans la zone, mais bien entendu personne n’a fait le rapprochement. Surtout pas avec un pasteur.»

J’ai fermé les yeux. Je revoyais les longues mains de May, ses yeux fous, ce visage implacable. Je ressentais la sensation d’être en danger qui m’avait saisie soudain lorsque cet homme taciturne et calme avait soudain été saisi par la colère et m’avait chassée de chez lui.

«Qu’est-ce qu’il y a, Mac ?»

Je le lui ai dit. Il s’est levé d’un coup et s’est mis à arpenter furieusement la pièce.

«Nom d’un chien, ce type-là est cinglé. Et avec cet article, il pourrait être devenu fou furieux.»

Il a empoigné mon téléphone et a appelé sa centrale.

«Je vous expliquerai, mais je crois qu’il y a urgence, il faut que vous envoyiez quelqu’un surveiller un type vingt-quatre heures sur vingt-quatre», a-t-il aboyé. Et il a craché l’adresse comme une volée de coups. À l’autre bout on avait des objections.

«Favez, débrouillez-vous comme vous voulez. Je vous aurai prévenu, et si ce type viole une femme cette nuit et que vous n’y étiez pas, vous l’aurez sur la conscience. … Je vous assure que je fais aussi vite que je peux, mais pour l’arrêter il faut que j’aie une raison concrète. Je cherche des preuves.»

Lorsqu’il a raccroché, j’ai reparlé de Mme Jurieux.

«Elle a travaillé à la cure pendant vingt ans. Je n’ai sans doute pas posé les bonnes questions, l’autre jour, j’étais loin de me douter…»

«Vous êtes d’accord pour me donner un coup de main, Machiavelli ? Je ne peux pas être votre client, parce que je ne peux pas vous payer, mais si…»

«Arrêtez votre char. Allez donc chez Mme Ju­rieux ; moi, j’irai chez celle des camarades de classe de Lisa qui était sa voisine de banc. Après on se retrouve, et je vous propose qu’on aille ensemble dans le quartier où le pasteur vivait. Il n’y a que quatre ou cinq ans qu’il a déménagé.»

«Trois ans, j’ai contrôlé. Allons-y.»

Nous avons passé dans la pièce d’à côté.

«Sophie, vous avez l’adresse de Mme Jurieux ? Et celle de la voisine de banc de Lisa May, comment s’appelait-elle ?»

Sophie, qui par principe prétend ne jamais écouter aux portes, nous a tendu à chacun une adresse qu’elle avait déjà sortie de l’ordinateur.

Nous sommes partis.

Nous avons marché en silence jusqu’à la rue de la Caroline, où nous nous sommes séparés. Léon est parti du côté de la Pontaise, je suis allée du côté de la piscine de Mon Repos où logeait Mme Rose-Marie Huillet, ex-Zahnet. Nous avons pris le risque, tous les deux, que la personne que nous allions voir ne soit pas chez elle. Nous ne voulions pas leur laisser le temps de fabriquer des souvenirs.

Mais Rose-Marie Huillet était là.

«Bonjour, je ne sais pas si vous vous souvenez, je suis Marie Machiavelli, ma collaboratrice vous a téléphoné l’automne dernier pour…»

«Alors ça c’est étrange. Je me demande depuis trois jours à qui je vais parler, et j’avais fini par me dire… Bref, c’est vous que j’allais appeler.»

«Ah bon ?»

«Mais oui, j’ai lu l’article sur la mort de Lisa May, et tout d’un coup il m’est revenu quelque chose. Mais j’ai eu du mal à retrouver… Entrez, entrez donc.»

Elle m’a fait asseoir dans un salon meublé design. Au mur une tapisserie de Le Corbusier.

«Lorsque votre collaboratrice m’a appelée, j’ai répondu sans trop réfléchir, sans creuser. Mais depuis, j’y ai repensé. Et il m’est revenu des bribes.»

«Quel genre de bribes ?»

«À la réflexion, je pense que Lisa a dû être battue plus d’une fois. Les derniers mois avant le bac, elle est venue plusieurs fois à l’école avec des bleus. Mais elle n’a jamais rien dit de spécial. Je me suis souvenue qu’elle m’a suppliée de l’inviter chez moi pour l’Ascension, on était très amies ; je lui ai proposé de venir dans notre chalet des Paccots, nous y allions tous les ans entre l’Ascension et la Pentecôte. Mes deux plus jeunes frères, des jumeaux, étaient d’âge préscolaire, on y allait pour qu’ils puissent s’ébattre. Mon père descendait chaque jour à Lausanne, et il nous amenait à l’école. On allait le chercher à son boulot en sortant, ou alors moi j’y allais, et on allait prendre Lisa à son cours de danse. Lorsque je lui ai fait la proposition de rester dix jours, elle a dit : “ C’est toujours ça de pris. ” Je m’en souviens parce que c’était sur un ton si étrange. Vous buvez quelque chose ?»

«Un verre d’eau s’il vous plaît.»

Elle est allée chercher de l’eau minérale à la cuisine, et a continué sans que je doive poser la moindre question.

«Et puis un soir nous attendions devant l’École de danse, et il y avait le pasteur. J’ai vu Lisa sortir et se figer. Je revois son regard. Elle était terrorisée. Mon père a dit : “ Qu’est-ce que c’est que cet individu ?” “ C’est son père. ” “ Regarde-la, elle a peur qu’il la batte. ” Mon père est médecin, c’est un spécialiste des urgences, il a beaucoup vu de femmes battues.»

Le père Zahnet était sorti de la voiture d’un air nonchalant et était allé chercher Lisa. Le pasteur, qui avait plaidé à jet continu lorsqu’il était seul avec sa fille, avait tout simplement tourné les talons sans dire un mot. Lisa était restée là, comme paralysée, elle tremblait de tout son corps, mais n’avait pas voulu donner d’explication.

«Le jour où votre collaboratrice a téléphoné, elle a posé des questions sur l’école, et je n’ai plus repensé à cette scène. Mais, en lisant l’article, tout m’est revenu.»

Elle s’est levée.

«Il a fallu que je fouille un peu, mais j’ai fini par trouver ceci.»

C’étaient quelques lettres. «Chère Rosie», et elles étaient signées «Lisa». Une écriture ferme, carrée, un peu maniérée. Des lignes qui partaient vers le haut. Du papier bleu.

«Prenez-les, vous me les rendrez. Je ne les avais jamais relues entre le moment où je les ai reçues et hier. Maintenant, je vois qu’elles sont un grand cri à l’aide, mais à l’époque je n’ai pas compris. Elle raconte même que son père a jeté sa mère en bas des escaliers.»

«Comment ?»

«Oh, pas comme ça directement. Elle me dit combien elle est déprimée. Elle fait des cauchemars. Et il y en a un qui revient tout le temps – celui-là. Son père bat sa mère, elle essaie de se défendre mais elle n’y parvient pas, et pour finir il la jette en bas des escaliers en hurlant : “ Va te faire voir ailleurs, puisque c’est comme ça. ” Et sa mère ne se relève pas.»

«Elle a pu croire que c’est un rêve, mais ce n’en était pas un : sa mère est morte d’une chute dans les escaliers, dans des circonstances restées inexpli­quées.»

Elle s’est laissée aller contre le dossier de son fauteuil, m’a regardée un instant bouche bée, et soudain elle s’est mise à pleurer.

«Mon dieu, et moi qui n’ai rien compris. Non-assistance à personne en danger. Je n’ai même pas imaginé. Son père ! C’est ma faute, ma faute.»

«Non, non, madame Huillet, vous ne pouviez pas imaginer.»

«Elle vivait l’enfer, et moi…»

Elle m’a regardée un instant fixement, la mâchoire soudain dure.

«Vous êtes enquêteuse privée, madame Machiavelli, j’ai compris correctement ?»

«Oui.»

«Je peux vous engager ?»

«Oui, mais…»

«Je vous engage. Mettez-moi ce salaud en taule. Faites tout ce que vous pouvez pour qu’il paye. Ça coûtera ce que ça coûtera, peu importe.»

«Même si vous ne m’engagez pas, je le fais tout de même. C’est un autre qui a finalement tué Lisa, accidentellement. Mais le responsable de sa mort, c’est lui. Et je n’ai aucune intention de le laisser filer. La police non plus.»

J’ai appelé Sophie pour qu’elle fasse un contrat, pour la forme. Je compterai une demi-journée de travail, pour que «Rosie» ait la satisfaction d’avoir participé à faire justice. Sa cérémonie Malanggan à elle.

J’avais pris rendez-vous avec Léon au buffet du Lausanne-Ouchy. Il était déjà là.

«Alors ?»

«La femme de ménage ne se souvient de rien. Mais ce qui l’a intriguée une ou deux fois c’étaient des draps tachés de sang. Et bien sûr les contusions de Lisa. Mais elle n’a jamais pensé au père. Au viol, oui, mais au père jamais. Avec elle, il ne s’est jamais énervé. La seule chose qu’elle a remarquée, c’est que Lisa ne rentrait plus qu’en cas de nécessité. Et vous ?»

Je lui ai tendu la lettre, pathétique, dans laquelle Lisa racontait son cauchemar. Elle était datée d’avril, quatre mois avant sa mort.

À mesure qu’il avançait dans la lecture, le visage de Léon se durcissait. Une des raisons pour lesquelles j’aime bien Léon en dépit de son caractère de chien, c’est la haine qu’il voue aux hommes qui font violence aux femmes : je n’ai jamais vu quelqu’un travailler avec autant d’acharnement lorsqu’il s’agissait d’attraper un violeur.

Et lorsque je lui ai raconté ce que m’a dit Rose-Marie, il est devenu blanc de rage.

«On le tient, avec cette lettre.»

Mais nous ne nous faisions pas d’illusions. C’était insuffisant. Léon a emballé les lettres et il est parti, le dos rond. J’allais prendre le chemin de chez moi lorsque j’ai eu comme une vision. Comment avais-je pu… J’étais une imbécile.

J’ai couru jusqu’à la station de taxis, et je me suis fait conduire à Épesses. Il était six heures passées, je trouverais Tibault chez lui, et s’il n’y était pas j’attendrais.

La porte était fermée, les volets aussi.

J’ai sonné chez les voisins.

«Ils s’en sont allés il y a plus de deux mois. Ils ne nous ont rien dit.»

Je suis repartie avec un grand point d’interrogation dans la tête et une frustration rageuse dans le cœur. Les choses honteuses restent dans la famille, c’est ce qu’ils disent tous. Tibault, un psychiatre, avait eu affaire à un psychopathe, et ça faisait plus de trente ans qu’il le laissait courir. Pire, il avait laissé sa sœur, sa nièce, entre les mains de ce déséquilibré. Pauvre Lisa ! Je n’étais pas loin de penser que c’était une héroïne. Elle avait essayé de s’en sortir sans impliquer son père. Elle avait choisi une méthode stupide, mais elle était seule contre toute la société. J’avais les larmes aux yeux lorsque je pensais à ce qu’elle avait dû endurer pendant les deux derniers mois de sa vie. Toujours enjouée, avec ce sourire d’enfant aux lèvres. Personne n’y avait rien vu. Même pas son oncle qui la chérissait. Ils voulaient tous savoir qui avait tué Lisa May. Je pouvais le leur dire : son père. Il l’avait poussée au désespoir, et la décharge de chevrotines n’avait été que le coup de grâce.

Le lendemain, j’ai pu me passer de canevasser le quartier où May avait vécu : Léon avait enfin persuadé son chef qu’il était sur un cas tout ce qu’il y avait de plus actuel, et il a obtenu le personnel pour une enquête.

Mais, à vingt ans de distance, c’était difficile. Personne ne se souvenait d’avoir rien vu, rien entendu. Après la mort de sa fille, May avait vécu seul. Oui, certes, on le voyait arpenter les rues la nuit, parfois. Mais toujours calmement. Personne n’en avait jamais rien pensé. Aucune jeune fille n’avait été agressée dans le quartier.

La touche finale du tableau est venue d’une direction inattendue.

J’ai reçu un coup de fil de Renata Cohn.

«Vous savez, mon père a une mémoire défaillante. Il sait énormément de choses, elles sont là, mais elles ne sont plus toutes accessibles. Et puis soudain, il en sort une.»

«Et de quoi s’est-il souvenu ?»

«C’est en voyant le reportage sur la mort de Lisa, et surtout la photo. Il m’a dit : “ Je connais cette jeune fille. La pauvre, elle est bien malheureuse. ” J’ai posé une ou deux questions, mais il faut y aller délicatement. Et j’ai fini par reconstituer que, cet été-là, mon père était allé rendre visite à Merteau à Épesses, dans son atelier ; il le faisait souvent avec les artistes qu’il avait sous contrat. Grâce à l’ordre parfait de ses papiers, j’ai même retrouvé la date dans son agenda de cette année-là : début août. Lorsqu’il est arrivé, Merteau n’était pas là et, accroupie devant la porte, il y avait Lisa. Il s’est assis près d’elle et ils ont commencé à bavarder. Il faut vous dire que mon père est un grand charmeur, et que les gens se sont toujours confiés facilement à lui.»

«Et qu’est-ce qu’elle lui a dit ?»

«Beaucoup de choses, mais ce qui a frappé mon père au point de lui revenir lorsqu’il a vu la photo, c’est : “ Comment puis-je continuer à vivre, alors que mon père a tué ma mère et que mon amant me repousse ? ” Mon père lui a dit : “ Il faut vous éloigner. ” Et elle : “ C’est ce que j’essaie de faire, mais je suis sûre qu’on me rattrapera avant que j’aie réussi. ” Que faut-il penser de cela ?»

«Que son père avait tué sa mère à force de la rouer de coups, et que Lisa, qui n’en a jamais parlé ouvertement à personne sauf, pour autant que je sache, à votre père, avait assisté à l’assassinat. Et que ce même père l’a battue et violée, elle aussi. Pourquoi est-ce que votre père n’a rien dit, lorsque Lisa est morte ?»

«Je ne sais pas. Le souvenir est reparti comme il était venu. Il se peut qu’il ne l’ait pas crue. C’est tout de même une affirmation énorme. Il n’a probablement jamais appris sa mort, il n’y avait pas de raison.»

«Quand j’y pense, ça me glace. Lorsqu’elle a raconté à droite et à gauche qu’elle était tombée dans les escaliers, Lisa disait en fait tout autre chose : que son père la battait, et qu’il finirait par la tuer comme il avait tué sa mère. C’était ça le message. Mais il était trop chiffré pour être compréhensible. Elle devait être au bord du suicide. Je finis par me demander, par moments, si elle n’a pas provoqué Merteau elle-même, pour qu’il la tue.»

Il a fallu des semaines pour prendre May la main dans le sac. Léon avait fini par mettre sur le coup une jeune inspectrice, judoka expérimentée, qui s’était encore rajeunie pour l’occasion par des coiffures et des vêtements appropriés, et qui finalement, par une nuit de pleine lune, a réussi à provoquer May suffisamment pour qu’il tente de la battre et de la violer.

Aujourd’hui, May est dans un asile psychiatrique. Il ne parle plus, se sustente à peine. Il n’a pas supporté d’être confronté à ses actes et à leurs conséquences. Il ne passera probablement jamais en jugement.

Quant à Merteau, il attend son procès – pour complicité de vol et de recel. La mort de Lisa est classée accident.

Léon m’a beaucoup surprise en m’apprenant, au hasard d’un coup de fil, qu’il avait acheté le tableau-aveu aux Cohn, qui en étaient les propriétaires. Il l’avait intitulé «Le Sourire de Lisa» et l’avait suspendu dans son bureau.

«Pour qu’elle me rappelle que nous devons toujours être attentifs.»

«C’est à tous ces gens qui se sont si mal occupés du petit Yves il y a vingt ans, et qui se sont si peu préoccupés de rendre justice à Lisa, qu’il faudrait le dire.»

«Vous savez ce que m’a appris Calame, qui s’est rafraîchi la mémoire en relisant le dossier ?»

«Quoi donc ?»

«L’inspecteur qui s’est occupé de l’affaire savait que c’était le pasteur qui avait violé sa fille.»

«Quoi ? Et il n’a rien dit au juge ? À la famille ?»

«Autres temps, autres mœurs, Machiavelli. Lisa était morte, ce n’était apparemment pas l’inceste qui l’avait tuée, mon collègue était un vieux monsieur en fin de carrière, pour lui comme pour pas mal de gens Lisa n’avait été qu’une petite coureuse qui ne valait pas la peine qu’on se donnait. Le juge des mineurs lui était antipathique, à ce qu’il paraît, et il n’en a parlé qu’à quelques collègues, une fois en passant, plus tard.»

«Mais enfin, May avait des antécédents…»

«Ils ont tous fait l’erreur de penser que May n’était violent qu’à l’intérieur de la famille, il y a beaucoup de types comme ça.»

«Oui, du moment qu’il avait détruit ses femmes dans le cadre sacré de la famille, on n’en parlait plus.»

«Quelque chose comme ça. Moi, je réagirais autrement, mais eux…»

J’ai laissé tomber. Tout ce que j’aurais encore pu dire n’aurait ni ressuscité Lisa et sa mère ni annulé ce que May avait fait à ses victimes des années suivantes, une dizaine au moins à ce qu’il paraissait.

Récemment, je suis allée avec Rico faire un tour sur la grande roue des Girot qui est à Ouchy. Daniel nous a accompagnés.

«On ne t’a jamais remerciée comme il convenait, Marie.»

«De quoi ? D’avoir mis en évidence que s’il y avait un assassin de Lisa, c’était son père ?»

«Betty m’assure que c’est parce qu’ils s’étaient rendu compte que quelque chose clochait qu’ils avaient tout fait pour qu’elle quitte la cure et qu’elle aille en Amérique. Mais bien entendu ils n’avaient pas compris que son père l’avait violée. J’ai appris qu’en fait le pasteur avait des crises et qu’il était allé en traitement chez Tibault pendant quelque temps. Lorsque la mère de Lisa est morte ils se sont demandé… Mais finalement la police n’a pas poussé l’enquête plus avant, ils se sont dit qu’ils se faisaient des idées. Et puis, à la fin, Lisa a soudain eu un comportement si étrange, si capricieux…»

«C’est bien ce que je dis. Ils l’ont laissée seule face à son malheur. Ne parlons plus de cette histoire, c’est trop sordide. Jacqueline et Yves sont heureux, au moins ?»

«Oui. Ils se marient cet automne et parlent de faire de toi un de leurs témoins.»

«Non. Je refuse. Qu’ils prennent un témoin étranger à cette triste affaire.»

«Ma tante Betty en a fait une maladie.»

«J’espère bien. Elle et son mari, ils ont été en dessous de tout. Malgré leur bonne volonté. Ils ont peut-être compris qu’il fallait soustraire Lisa au pasteur, mais ils n’ont rien vu de ses souffrances. Elle a protégé son père jusqu’au bout, en dépit de tout. Elle ne se gênait pas pour se faire acheter des robes. Qu’elle n’ait pas osé leur demander l’argent pour avorter, car je n’ose penser qu’elle ait voulu garder l’enfant de son père, c’est tout de même révélateur.»

«L’éducation calviniste…»

«Elle a bon dos, l’éducation calviniste. Quand je pense à ce Tibault qui adorait sa sœur, c’est toi qui me l’as dit, et qui l’a laissée aux mains de ce malade. C’est à hurler de rage.»

Nous avons fait un tour en silence. Il avait plu pendant quelques jours, mais ce soir-là un petit vent frais avait balayé les nuages, et le Léman avait mis sa plus belle parure faite de mille nuances de rose et de bleu.

Nous avons quitté la roue dans un grand brouhaha de musiques diverses, avons pris congé de Daniel, et Rico et moi sommes partis main dans la main vers un lieu où nous sustenter.

Tout à coup, je me suis arrêtée net : à la caisse des autos tamponneuses brillamment illuminée, je venais d’apercevoir Betty Tibault. Très surprise (au champ de foire j’avais parfois vu Jacqueline, mais jamais sa mère qu’avant cette histoire je ne connaissais même pas), je me suis tournée vers Daniel, qui était resté en arrière et allait partir de son côté.

«Qu’est-ce que Betty fait là ?»

«Elle a quitté le domicile conjugal et s’est acheté une roulotte. Elle travaille avec nous. Le père Tibault s’est cassé.»

«Comment ça, cassé ?»

«Il a abandonné ses patients et il est en Sierra Leone, où il forme des travailleurs sociaux pour qu’ils prennent en charge les traumatismes de la guerre civile.»

Le troisième homme de l’affaire Lisa, ignoré par le bras de la justice, se punissait lui-même. Je ne sais trop pourquoi, mais il m’a semblé que cela avait quelque chose d’indécent.

«Qu’est-ce qu’il lui a pris ? Il voulait expier ?»

«Ne sois pas trop dure avec lui. Cette affaire l’a secoué.»

«Ç’aurait été encore mieux s’il s’était secoué vingt ans plus tôt.»

«Tu n’es pas contente que ton travail ait servi à quelque chose ?»

Rico, qui me connaît bien, a essayé de me retenir, mais c’était trop tard.

«Écoute-moi bien, Daniel : un job comme celui-là, je préférerais cent mille fois ne jamais en avoir entendu parler.»

Daniel a fait un geste. Mais j’étais lancée.

«Et puis, Tibault, pour que je le croie, aurait dû s’occuper de femmes battues ici, près de chez lui. Je ne dis pas que les Sierra-Léonais n’ont pas besoin de suivi psychiatrique. Mais je dis qu’ils n’avaient pas besoin de lui en particulier, que partir loin de ses problèmes, loin de ses lâchetés, ce n’est pas réparer, c’est s’enfuir.»

Il allait continuer à expliquer, mais j’ai fait un geste, et je me suis éloignée. J’avais une boule dans la gorge. J’ai encore entendu Rico bougonner, en direction de Daniel :

«Chaque fois qu’on reparle de Lisa, elle se remet dans tous ses états.»

C’était vrai. Parce qu’un jour, lorsque tout a été fini, j’ai soudain réalisé que Lisa, ça aurait pu être moi. Nous avions le même âge, avions sans doute partagé quelques-uns des rêves de notre génération ; nous étions allées à la même école ; si ça se trouvait, nous avions gambadé dans les mêmes cours de récréation, ensemble sans jamais nous être connues. Nous avions toutes les deux perdu une mère qui n’avait pas trente ans. La seule différence entre nous, mais elle était de taille, c’était la chance que j’avais eue, moi, d’avoir un père respectueux et aimant, qui avait su être maman et papa à la fois. Bref, je m’étais rendu compte que, avec pour père un type comme May, le sort de Lisa aurait pu être le mien.

Rico m’a rejointe en courant et m’a mis une main sur l’épaule.

«Tu me trouves hystérique ?»

«Un peu.»

«Je suis peut-être un peu hystérique, après tout. Viens, allons dire bonjour à Betty, et puis allons enfin nous mettre quelque chose sous la dent, avant que je ne défaille.» 

 

FIN

 

 

 

Postface

 

 

 

J’ai toujours été frappée, tout au long de mon existence, par la fréquence de ce que les surréalistes appellent «hasard objectif», et que la psychanalyse jungienne nomme «synchronicité». J’en ai fait moi-même de nombreuses fois l’expérience : de ces gens auxquels on pense sans raison et qui soudain vous appellent – sans raison non plus. De ces choses qu’on trouve au moment même où on en avait besoin, mais qu’on ne cherchait pas, ou plus. À moi, cela arrive relativement souvent.

Je suis toujours étonnée de lire sous la plume des critiques combien ce type d’enchaînement d’événements, dans une histoire, dans un roman, leur paraît «invraisemblable». Ne sont-ils pas attentifs aux rencontres fortuites ? Au choc sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie dont parle Lautréamont, et auquel il suffit d’être sensible pour le ressentir très souvent dans la vie ?

Le livre qu’on vient de lire est issu d’un tel choc. L’automne dernier, j’ai fait un voyage de recherche pour un roman historique que je me propose d’écrire. Au cours de mon périple, j’ai logé dans des hôtels que j’ai toujours choisis petits et pittoresques parce que j’ai fait l’expérience qu’on y rencontre des gens intéressants.

Un soir je suis donc descendue, dans une petite ville dont le nom m’échappe, dans un hôtel qui comporte trois chambres, meublées à l’ancienne. Charmant.

Dans ma chambre il y avait une commode. Une fois ma petite valise vidée, j’ai voulu la ranger dans un de ses vastes tiroirs. J’ai ouvert celui du bas. Comme c’était souvent le cas autrefois, l’intérieur des tiroirs était tapissé avec de vieux journaux. Ceux-là ont attiré mon attention parce qu’ils m’ont semblé être particulièrement vieux : années trente, probablement. Je n’ai pas trouvé de date. Par contre, un gros titre m’a frappée d’emblée : «Accusé de meurtre à 9 ans, innocenté vingt ans après». Et c’est là que j’ai lu, racontée avec un grand luxe de détails, l’histoire d’«Yves» telle qu’elle est rapportée ici et qui avait été résolue comme je le raconte ici. Je l’ai recopiée, et je me suis promis d’en faire la trame d’une enquête de Marie Machiavelli un jour, lorsque j’aurais fini le roman historique.

Et puis, l’hiver dernier, je me suis cassé une jambe. J’étais condamnée à l’immobilité, et il était impossible de continuer mes recherches pour le roman historique.

C’est alors que j’ai repris cette histoire vraie (qui m’avait fascinée), que j’ai déplacée dans l’espace et dans le temps, et dans laquelle j’ai introduit quelques faits divers pris dans les journaux de maintenant (il va de soi que toute coïncidence de noms ne saurait être que cela : une coïncidence, et que tels qu’ils sont dans ce livre, tous les personnages sont le fruit de mon imagination – et uniquement d’elle).

J’ai décidé que ce livre serait ma (toute petite) contribution aux luttes contre la violence faite aux femmes, et contre les préjugés qui peuvent, pour les raisons les plus diverses, amener à des erreurs judiciaires.

Je suis dans la situation quelque peu paradoxale d’avoir une dette envers un certain nombre de personnes, qui refusent d’être nommées et que je ne peux remercier que de façon anonyme.

Je dois une grande reconnaissance à un certain nombre d’experts du monde de l’art qui m’ont renseignée sur le vol et la récupération d’œuvres : pour des raisons de sécurité, ils ne veulent pas être identifiés, mais ils se reconnaîtront.

Je dois par ailleurs des remerciements particuliers aux cyclistes et ex-cyclistes qui m’ont parlé de leur métier à condition de rester anonymes. Ils m’ont conseillé la lecture de deux livres : «Massacre à la Chaîne», de Willy Voet, et «Secret Défonce», de Erwann Menthéour.

Merci aussi au médecin des Urgences et aux travailleurs sociaux qui m’ont renseignée sur les femmes battues et les jeunes filles victimes d’inceste avec violence (dont on parle peu, mais qui ne sont hélas pas si rares), ainsi que sur les méthodes qu’on utilise actuellement pour confondre leurs bourreaux (eux aussi préfèrent ne pas être identifiés).

De même, je suis reconnaissante au Musée des cultures à Bâle, où j’ai passé d’inoubliables moments dans les salles consacrées à la culture océanienne.

Merci enfin à Me Marco Mona, véritable avocat-conseil de Marie Machiavelli qu’il suit depuis ses débuts, qui a bien voulu, cette fois encore, revoir tout ce qui, dans ce texte, a trait aux questions légales et au fonctionnement de la justice.

 

 

 

«Le Sourire de Lisa» 

a été réalisé par Bernard Campiche Éditeur, 

avec la collaboration de Marie Finger, Marie-Claude Schoendorff et 

Daniela Spring. Couverture: photographie de Laurent Cochet

 

Tous droits réservés © Bernard Campiche Éditeur Grand-Rue 26 – CH-1350 Orbe

7 commentaires
1)
Anne Cuneo
, le 31.05.2009 à 09:01

Chers Amis, Voici donc la fin du Sourire de Lisa. On va faire une respiration, et ce n’est que dans quinze jours que nous commencerons le prochain feuilleton: “Hôtel des coeurs brisés”, le policier qui traque le dopage dans le cyclisme, et qu’un grand champion (Ferdy Kubler) a qualifié de “pilule qui contient tous les ingrédients pour comprendre et expliquer le dopage”. A moins, bien sûr, comme d’hab, que vous disiez que vous en avez marre de feuilletons.

2)
Franck Pastor
, le 31.05.2009 à 09:53

Marre ? Ah non alors ! En plus, ça va parler du cyclisme, une de mes grandes passions ! Et tes références bibliographiques sur le dopage sont excellentes, donc je souhaite de tout cœur lire ce prochain feuilleton !

3)
Marc2004
, le 31.05.2009 à 11:13

Merci Anne, Je transfère chaque semaine le chapitre sur mon iPhone avec Files Lite et je me sers de mon iPhone comme un eBook pendant la semaine… Je commence à bien aimer cette Machiavel, un peu le même genre d’effet que Salander dans Millenium: un personnage attachant dont on devine les ressorts..; N’arretez surtout pas !

4)
Saluki
, le 31.05.2009 à 11:30

Merci Marie, euh…Anne pour ce cadeau dominical.

[mode ironie/on]

Donc, si j’ai bien compris, dans quinze jours nous retrouvons notre dose de dope du dimanche?

[mode ironie/off]

5)
Anne Cuneo
, le 31.05.2009 à 13:59

Donc, si j’ai bien compris, dans quinze jours nous retrouvons notre dose de dope du dimanche?

VOUI…

6)
zit
, le 01.06.2009 à 11:13

Ah, d’abord, merci Anne, et François, et Bernard.

Et doublement inquiet j’étais :

C’est fini, c’est quand la suite ?

Et cette histoire de dopage dans le cyclisme, quand en reparle–t–on ?

Doublement rassuré je suis…

z (et je préfère quand MM s’attaque à ce genre de “problèmes” plutôt qu’à ses escrocs habituels, je répêêêêêêêête : un type qui escroque une banque ou une assurance, avec succès, c’est un héros, pas un vilain…)

7)
Thierry F
, le 04.06.2009 à 22:01

Chère Anne,

Je vous remercie d’avoir mis en ligne deux de vos romans.

Ce sera avec joie que je lirai le prochain.