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Le retour du prophète

Que ce soit clair d’emblée : je n’ai pas l’intention de ne présenter dans CUK que les résurrections virtuelles de vieux synthés mythiques. Mais ce sera le cas cette fois encore, avec le Pro-53 de Native Instruments, un plug-in qui reprend l’aspect sonore et visuel du Prophet-5. Et ceci pour la bonne raison que j’en ai reçu un depuis quelques semaines et que, ma fois, il me semble tout à fait digne d’intérêt.

Alors, comme la dernière fois, commençons par plonger dans l’histoire.

La merveilleuse histoire du Prophet

En 1977, Dave Smith était ingénieur chez Standard Microsystems, une firme californienne d’informatique. Passionné de musique, mais pas (encore) très à l’aise financièrement, il passait ses nuits à bricoler des appareils qu’il n’avait pas les moyens de s’offrir. C’est ainsi qu’il avait créé un séquenceur analogique pour piloter son Minimoog, puis un séquenceur numérique. Ses travaux commençaient à intéresser les musiciens du voisinage, et Dave Smith décida de franchir le pas : il se mit à son compte et créa la firme Sequential Circuits.

Cette année-là, la maison SSM (Solid State Music) lança sur le marché des modules de synthétiseurs sous forme de circuits intégrés : l’un contenant un oscillateur, un autre un filtre, etc. « Si je reliais ces modules à un microprocesseur, se dit Dave Smith avec son accent de la Silicon Valley, je pourrais fabriquer un synthé polyphonique et programmable. » Il se met alors à l’ouvrage, et se fait aider au passage par le musicien John Bowen pour la conception de son projet. Ce dernier lui dira surtout quels boutons sont nécessaires, et où il faut les placer. Dave Smith dessine la platine principale (la carte-mère en quelque sorte), crée la carrosserie, développe le logiciel, tout ça tout seul, ou presque (ses amis de la maison E-mu ont un peu mis la main à la pâte). Et six mois plus tard, en janvier 1978, le Prophet-5 est prêt et il est présenté au NAMM Show, la principale foire de la musique américaine.

Et là c’est le choc : aucun des concurrents (Moog, Oberheim, ARP,…) ne propose de machine équivalente. Le Prophet-5, polyphonique (à cinq voies, comme son nom l’indique) et programmable (40 sons), est une révolution. Même en faisant passer le prix de 3500 à 4500 Dollars, Sequential Circuits est complètement submergé de commandes. En tout, et jusqu’en 1985, il s’en vendra environ 8000.

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Au cours de son existence, le Prophet-5 sera passablement remanié. Notamment, les circuits SSM, peu fiables, seront remplacés par d’autres, de la marque Curtis. Il y a des spécialistes qui estiment que les Prophet équipés de SSM sonnaient mieux. Ouais, bof… Il y en a aussi qui déclarent dans des revues de hi-fi que certains câbles de haut-parleurs sont meilleurs pour le classique que pour le jazz. C’est du même acabit.

Pourquoi cinq ?

On se demande souvent pourquoi avoir créé un synthé avec cinq voies de polyphonie. « Facile, disent certains, c’est parce qu’on a cinq doigts dans une main. Pas la peine d’avoir plus de voies ». Eh bien pas du tout. Et même si ç’avait été la vraie raison, c’en aurait été une très mauvaise. Que ce soit dit une fois pour toutes : il faut toujours beaucoup plus de voies de polyphonie que de doigts, parce que, souvent, le son ne disparaît pas immédiatement quand vous lâchez le clavier. Ainsi, avec un son où le relâchement (release, en v.o.) est assez long, si vous jouez sur un Prophet-5 de simples accords à trois sons, au moment ou vous changez d’accord il y a forcément une note qui saute. Et ça s’entend très bien. Et désagréablement. Et je ne parle pas du rôle de la pédale, qui maintient le son quand la note est relâchée, ni des jazzmen qui pressent trois touches avec le même doigt. C’est marrant, on entend toujours des musiciens prétendre qu’il n’est pas nécessaire d’avoir plus de voies que cinq ou dix (pour les deux mains, donc). A croire qu’ils n’ont jamais essayé.

Dave Smith n’a pas retenu le nombre cinq pour cette raison-là. A l’époque, on trouvait chez Yamaha, chez Oberheim ou chez Roland des synthés à 4, 6 ou 8 voies. Et il a tout simplement choisi un nombre différent pour se démarquer de la concurrence.

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Le Pro-53

On va gagner un peu de temps : je ne vous explique plus ce que c’est qu’un plug-in VST, et je ne vous parle pas de l’installation (on met le CD et on fait ce qu’il dit).

A l’ouverture, on se trouve face à une copie photographique d’un vrai Prophet-5. Avec son cadre en bois et ses potentiomètres noirs à bord argenté. Euh… mais non, finalement, il y a bien plus de boutons que sur l’original. Chic.

Toutes les commandes du Prophet-5 sont là. Les deux oscillateurs, le mixeur qui règle de volume de chacun d’entre eux ainsi que du générateur de bruit, le filtre de 24 dB/oct avec sa propre enveloppe ADSR, une deuxième enveloppe pour le volume, le LFO et la célèbre section de modulation polyphonique (une spécialité du Prophet).

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Le Pro-53 ajoute une section nommée « Delay Effect ». La durée de ce « delay » peut être réglée dans une très large échelle, de 1 ms. à 1 sec., ce qui permet de passer du flanger au chorus et jusqu’à l’écho. C’est simple et le résultat est bon.

Et puis, çà et là, on trouve d’autres enrichissements : tout d’abord, le nombre de voies n’est pas limité à cinq. On peut, en cliquant sur l’écran « Voices » passer de 1 à 32. Bon, à 32, mon vénérable G4 400 explose. Cela dit, je monte sans problème jusqu’à 20, ce qui est déjà pas mal (celui qui dit « de toute façon, tu n’as pas vingt doigts » est renvoyé !).

Un potentiomètre nommé « Analog » permet, en créant de petites différences d’une voie à l’autre, de doser entre un son numériquement pur – et du coup très froid – et un son vivant et chaud comme sur un vrai Prophet (devinez quelle position je préfère). Le bouton « Vel » permet de rendre le son sensible à la dynamique du clavier (VCA et VCF). Certains regretteront qu’on ne puisse pas doser ce réglage. Pour ma part, ça convient très bien comme ça : le mieux est l’ennemi du bien et je préfère mille fois avoir moins de paramètres, mais les bons.

Le suivi du clavier dans le filtre (keyboard tracking) est un potentiomètre, et non un bouton comme sur l’original ; le filtre peut être réglé en mode passe-bas ou passe-haut ; le LFO peut être synchronisé en MIDI (pas bête !). Ah oui, on peut aussi dépasser le clavier de cinq octaves représenté à l’écran : le Pro-53 répond aux 128 notes de la norme MIDI. Si vous avez un clavier de 88 touches, le Pro-53 le couvrira en entier (bien vu !).

Petit problème : comme sur l’original, l’intensité de la modulation (par le LFO) est uniquement réglée par la molette de modulation. Sur le Pro-53, la position de cette molette est mémorisée pour chaque programme. Ça c’est bien, parce certains sons changent réellement de caractère en fonction de la quantité de modulation. Le problème, c’est que les séquenceurs remettent automatiquement toutes les molettes à zéro lorsqu’on les stoppe. C’est normal et pratique : si j’arrête le séquenceur à un moment où j’ai poussé une molette qui baisse le son d’un quart de ton, je n’aimerais pas qu’il reprenne, à un autre endroit, un quart de ton trop bas. Mais ça signifie aussi que, pour le Pro-53, vous perdez du coup toutes les belles modulations que vous avez patiemment réglées. La solution consiste à enregistrer la position de la molette de modulation sur le premier temps de la première mesure de votre morceau, puis de régler le séquenceur de sorte qu’il détecte la dernière position enregistrée (« chase events »). Pas très pratique, mais ça marche.

Autre chose à savoir : le Pro-53 est livré avec 512 sons préréglés. Il va de soi que vous pouvez les modifier et enregistrer vos modifications avec la touche « Record », comme sur le vrai Prophet-5. Mais attention, si vous ouvrez un autre morceau, le Pro-53 réapparaîtra avec ses sons d’origine. Pour retrouver vos sons à vous, il faut les enregistrer en cliquant sur le bouton « File – Save », puis en leur donnant un nom sur votre disque dur (comme n’importe quel fichier). Après avoir ouvert une nouvelle instance du Pro-53 dans un autre morceau, vous devez commencer par recharger (« File – Load ») le fichier de sons que vous aurez enregistré.

Le son

Au début des années 80, j’aurais fait n’importe quoi pour m’acheter un Prophet-5. Mais, à passés 10'000 francs, l’engin n’a jamais été à ma portée. J’en ai essayé quelques-uns dans des magasins ou chez des amis musiciens (qui travaillaient aux PTT plutôt que de suivre des études ; comme je les enviais !), pas assez pour en avoir un souvenir net. Cela dit, j’ai tout de même encore un vieux Korg Polysix, qui utilise (mais oui) une version remaniée des mêmes circuits SSM que le Prophet-5. Et puis, on trouve tellement de disques sur lesquels on entend le Prophet qu’il est assez facile de le comparer avec le Pro-53. Et en l’occurrence, je trouve que c’est tout à fait réussi. Le Pro-53 a le gros son : des basses qui écrasent (ok, c’est pas un Minimoog, mais tout de même), des nappes très larges (merci le « Delay-effect »).

J’aime beaucoup la manière dont fonctionnent les paramètres. Leur plage de réglage est très large (0 à 30 secondes pour le relâchement des enveloppes, 0.05 Hz à 25 Hz pour le LFO, par exemple), et surtout très régulière. Vous savez, sur certains synthés, de 0 à 7 vous n’entendez rien, puis tout se passe entre 7 et 10. Ici ce n’est pas le cas.

Ceci pour dire que si vous avez besoin d’un seul synthé, le Pro-53 fera parfaitement l’affaire, tout comme il fera l’affaire si vous avez envie d’enrichir, à moindre frais, votre parc de bons gros sons analogiques.

6 commentaires
1)
Roger Baudet
, le 19.01.2004 à 16:59

Superbe test bien présenté.

Mais je me pose une question qui peut-être un débat :

A quoi ce synthé virtuel peut-il servir ?
Je l'ai essayé en version demo. Oui, il sonne bien,
aussi bien que le vrai , et alors ?

Les synthés d'aujourd'hui (par exemple Absynth du même
Native Instruments) est beaucoup plus complet et puissant.

Le seul de ces synthés "vintage" virtuel qui m'épate, c'est
le Arturia Moog. (Rappelez-vous, le mur de boutons !)
Mais trop pointu à utiliser en version virtuelle et en fait
… peu adapté à un ordinateur (essayez de construire un son et vous verrez, tout est trop minuscule et on s'y perd !
Avec un écran 40" peut-être …). Là, j'avoue que le Pro-53
est plus commode.

J'avais craqué il y a quelques temps pour le PPG virtuel de Waldorf car j'ai possédé plusieurs année le "vrai" PPG".

Et bien j'avoue ne pratiquement jamais m'en servir !

J'ai bien connu tous ces synthés "vintage" (même le Prophet 10 !) mais avoue n'avoir aucune nostalgie et préfère de loin
les instruments d'aujourd'hui .

Bien sûr, le débat est ouvert …

2)
momo
, le 19.01.2004 à 23:27

Sans vouloir jouer la tête de veau, François, les câbles, en HIFI jouent un rôle plus important que ne laisse supposer ta remarque "Il y en a aussi qui déclarent dans des revues de hi-fi que certains câbles de haut-parleurs sont meilleurs pour le classique que pour le jazz". Et en HIFI, certains transistors (les MOS-FET) sonnent mieux en effet, car ils fonctionnent un peu comme les lampes, à savoir qu'ils divergent et que ça fabrique une sonorité particulière. les amplis à lampes sont jugés meilleurs car ils fabriquent une tonalité qui n'est jamais exacte. En gros, l'oreille n'aime pas le son "sec" et "froid". Comme celui des CDs d'ailleurs… vivement l'échantillonage sur DVD…

3)
François Cuneo
, le 19.01.2004 à 23:45

Heu, j'ai rien dit moi à propos des câbles…

4)
Satellio
, le 20.01.2004 à 01:08

C'est ça, François, fais l'innocent ! :-))

Pour répondre à Roger, par analogie (si j'ose dire), on peut aimer les jeux d'aujourd'hui et apprécier un émulateur de temps en temps pour retrouver les anciens jeux, l'origine du "groove", quoi…

—————————————-
Au royaume des aveugles, à bon chat bon rat.®

5)
Roger Baudet
, le 20.01.2004 à 08:37

Oui Satellio, c'est vrai qu'il est amusant de jouer avec des vieux synthés.

6)
Jean-Damien
, le 22.01.2004 à 16:31

Le débat sur les nouveaux et les anciens est intéressant. Je me demande pourquoi je suis attiré par ces vieilleries. Il y a certainement une part de nostalgie. Et c’est assez nouveau chez les claviers. Jusqu’ici, on se moquait des guitaristes et de leur amour immodéré pour leurs vieilles « Strat » décrépies. Depuis quelques années, la mode du « vintage » a envahi tout le monde, y compris les ingénieurs du son, qui veulent des lampes partout.

Mais il n’y a pas que ça. Ça faisait un moment que j'avais envie d'un synthé où le son se fait avec une trentaine de paramètres. Sur un Kurzweil ou un Korg récent, d'une part, avec 500 paramètres au bas mot, on perd beaucoup de temps à se faire un son. D'autre part, on a 300 formes d'ondes qui imitent à peu près tout, mais pas comme il faut. J'avais envie d'un instrument qui ne fasse que des sons de synthé, mais qui les fasse bien. L'avantage des instruments virtuels, c'est qu'au prix où ils sont, on peut en acheter un par type de son.

Autre chose, avec le Pro-53, je nage en terrain connu : on a créé dans les années 70-80 des machines où tout était à peu près au même endroit (oscillateurs à gauche, filtre au milieu, ampli à droite, etc.). Si vous connaissez le Minimoog, vous êtes tout de suite à l’aise avec un Prophet, mais aussi avec un Oberheim, un Jupiter-8, etc. Ce n’est pas le cas de l’Absynth.