Profitez des offres Memoirevive.ch!
Soleure fait son cinéma

Soleure (Suisse) fait son cinéma

C'est une petite ville tranquille, qui doit au fait d'être restée à l'écart des grands conflits d'avoir encore une vieille ville intacte. Certaines rues datent de la fin du Moyen Age, d'autres ont été modernisées à l'époque baroque. Soleure est une ville où l'influence française a longtemps été prépondérante: de 1530 à 1789 (une source donne même 1815, et j'ai de la peine à décider laquelle est juste, mais enfin, soit jusqu'à à la Révolution française, soit jusqu'à la chute de Napoléon) c'était le siège officiel des ambassadeurs de France auprès de la Confédération.

Soleure, ville moyenâgeuse... .... revue et corrigée à l'ère baroque

Comment cette petite ville est-elle devenue, une semaine par an, la capitale du cinéma national helvétique?

C'est une longue histoire que raconte avec verve Charles Leippert, cofondateur des Journées cinématographiques de Soleure, fidèle depuis le premier jour, il y a près de 40 ans. Soleure est née, en 1965, de l'imagination d'une association de ciné-clubs, qui décidaient d'organiser trois journées pour montrer une cinématographie nationale à l'époque peu abondante, et surtout largement ignorée.

Après les succès fracassants de l'époque de la guerre de '39-45, où le cinéma de fiction avait été considéré comme une des armes de la résistance psychologique à une idéologie nazie avec laquelle l'écrasante majorité des Suisses ne voulait rien avoir à faire, il avait un peu périclité. Lui consacrer 3 jours en 1965, cela tenait un peu de la vision - ou de l'intuition qu'une nouvelle génération allait éclore.

Charles Leippert, un des hommes (un peu visionnaires) des débuts

Dans l'esprit des organisateurs, souligne Charles Leippert, les trois jours de 1965 étaient un événement unique. Et pourtant... En 1966, les Journées se structuraient, se donnaient un nom, un directeur, Stefan Portmann, un comité directeur (les fondateurs de l'année précédente), et les Journées cinématographiques de Soleure prenaient leur envol.

Stefan Portmann est resté président pendant un quart de siècle et a donné à la manifestation une assise solide, dont elle bénéficie encore aujourd'hui. Cette année, Stefan est le grand absent: il est mort il y a quelques mois.

Stefan Portmann, le grand absent de 2004

Au départ, les Journées se sont déroulées dans un seul cinéma, puis dans deux, dans trois, et au bout d'une vingtaine d'années, il y avait six ou sept salles, comme aujourd'hui, avec cette différence que les salles actuelles sont pour la plupart cinq à dix fois plus grandes que les précédentes (l'ancien manège, la Reithalle, peut contenir jusqu'à 900 spectateurs!).

Aujourd'hui, trois jours ne suffiraient plus à voir tous les films. Les journées durent toute une semaine, et il faut tout de même sélectionner: il faudrait un mois pour voir toute la production suisse de 2003, alors que les trois jours de 1965 avaient largement suffi à voir la production de 1964.

Un cinéma qui a vu 39 éditions

D'autres manifestations périodiques ont, depuis 40 ans, été mises sur pied en Suisse: mais Soleure, grâce sans doute à sa gestion intelligente, d'abord sous la direction de Stefan Portmann, puis sous celle de l'actuel directeur Ivo Kummer, grâce à son ouverture et au charme que dégage une convivialité jamais démentie, est restée LA manifestation cinématographique helvétique de tête, connue, entre-temps (dans les milieux du cinéma) dans le monde entier. Il y a plus de 200 journalistes étrangers à Soleure en ce moment. Des directeurs de festival, des programmateurs, des cinéastes.

 

Et le Mac, là-dedans?

Le Mac occupe une très grande place, dans les Journées cinématographiques de Soleure.

Tout d'abord parce qu'il y a des Macs partout. La part mondiale Apple de marché est peut-être de 2, de 3, de 4 ou 6 %, ça dépend des sons de cloche et je ne sais plus qui croire à ce propos, mais je rappelle que la part suisse est de 7,5 %; et la part des Journées cinématographiques de Soleure doit avoisiner les 100 %.

Deuxièmement parce qu'un très grand nombre de cinéastes montent, directement ou indirectement, sur Mac.

Directement: ce sont les auteurs de vidéos qui montent eux-mêmes avec Final Cut, quand ce n'est pas avec iMovie. Je n'ai pas réussi à découvrir de chiffres, les Journées n'ont pas fait cette statistique-là. Mais chaque fois que j'ai posé la question à des vidéastes - mon sondage n'est bien sûr pas scientifique -, la réponse a été (parfois avec un de ces regards de commisération qui signifient plus clairement que des mots que vous devez être un demeuré): sur Mac évidemment.

Semi-directement: ce sont les auteurs (j'en ai rencontré plusieurs) qui tournent leur film sur pellicule, tirent des cassettes vidéo de leur matériel, montent sur Final Cut (sur Mac) une maquette de leur film, puis vont avec le résultat faire un montage "en ligne", comme on dit dans le jargon.

"Hans hilft", une image qui pourrait cacher un Mac...

Et ce que je qualifie de montage indirect, ce sont tous ceux qui montent sur AVID, le système de montage professionnel pour les professionnels. AVID a été mis au point pour monter le matériel vidéo haute définition. Sur Mac, au départ. J'ai moi-même (pour qui ne le saurait pas je travaille à la Télévision suisse et je connais bien les instruments) toujours monté sur des systèmes AVID pilotés par Mac. Mais entre-temps AVID a sorti une version Windows. Je me suis laissé dire que ce ne serait pas aussi génial que sur Mac, mais comme je n'ai jamais fait l'expérience moi-même, je me garderai de l'affirmer péremptoirement - comptez sur moi si jamais cela s'avérait un jour exact (mais je ne connais que des opérateurs AVID + Mac, pour l'instant).

On peut donc conclure que le Mac, dont on ne parle guère dans les critiques, est un outil omniprésent à Soleure.

 

Coups de cœur

Les films, maintenant.

Achtung!... Un film qu'on aime ou qu'on déteste, mais qui frappe.

Pour les lecteurs (suisses et non suisses), une précision: l'aide à la culture suisse n'est pas particulièrement généreuse. Et l'aide au cinéma est notoirement insuffisante. Il n'y a pas beaucoup d'argent pour faire des films de fiction, et chaque fois que l'un d'entre eux réussit, qu'il perce la barrière de la confidentialité, c'est un petit miracle. Cette année, le film suisse le plus vu était "Achtung, fertig, Charlie”, qui raconte les aventures de quelques jeunes gens qui font ce qu'on appelle en Suisse leur école de recrues, c'est-à-dire les 4 mois de service militaire obligatoire. Leur passage sous les drapeaux suscite chez la plupart des recrues un sentiment de frustration dont on parle encore des années, des décennies plus tard. “Achtung, fertig, Charlie” raconte ces frustration, sur un ton ironique et mordant qui a fait le succès du film auprès d'un très large public.

Ce n'est pas mon film préféré (peut-être parce que je n'ai jamais dû aller sous les drapeaux), mais tous ceux qui s'y sont reconnus m'ont assuré qu'il frappe juste. En tout cas, dans la salle soleuroise où il était projeté, il fallait se battre pour entrer.

Portrait sensible de Bach et de son génie

Autre film de fiction distingué, parce qu'il a reçu le Prix du cinéma suisse, “Mon nom est Bach”, film aux magnifiques images baroques qui va prochainement sortir dans toute l'Europe. Il a fallu six ans pour arriver à le tourner, et par rapport à un film européen normal, le budget était diminutif.

De tels films sont des exceptions, pas parce que les idées manquent, mais parce que l'argent manque.

Cette situation crée un résultat paradoxal. Comme il faut généralement moins d'argent pour faire un film documentaire que pour une fiction, les cinéastes suisses sont devenus des champions du film documentaire. Et là, Soleure est passionnante. En une semaine, on peut voir des documentaires magnifiques qui traitent des sujets les plus divers, et qui donnent l'occasion au spectateur de se faire une idée assez claire des préoccupations du pays.

Si vous voulez en savoir plus, plutôt que de vous énumérer des titres, je vous renvoie au site www.solothurnerfilmtage.ch. Vous y trouverez (aussi en français) le programme, ainsi que le catalogue, qui donne des précisions sur chacun des films.

Krokus, hier et aujourd'hui.

Je vais juste vous parler de mon coup de cœur, un documentaire intitulé “Krokus - as long as we live”. Il parle de l'aventure de cinq adolescents soleurois des années '70 qui sont partis à la conquête du monde et étaient devenus, à la fin des années '80, un groupe de rock célèbre (plusieurs disques d'or, des tournées dans le monde entier) dont on avait fini par oublier qu'il était suisse - et même soleurois. Au début des années '90, c'était la chute. Aujourd'hui ils sont tous revenus à leur case départ, ils sont cinquantenaires, ils ont des professions qu'ils ont apprises il y a 30 ans, ou qu'ils se sont inventées depuis. Maintenant que le film est sorti, cela leur a donné envie de voir s'ils arrivent encore à jouer ensemble, et ils vont donner prochainement quelques concerts live. Quel que soit le résultat de leur tournée à venir, le film est attachant, et magnifique.

J'aurais pu vous parler d'autres films qui m'ont beaucoup plu: “Mission en enfer” de Frédéric Gonseth, par exemple, qui rappelle une page noire de l'histoire suisse, lorsque la Croix-Rouge avait été piégée par l'Armée allemande et avait envoyé des infirmières et des médecins soigner les blessés du front russe (sous-entendu TOUS les blessés). Ces Suisses jusque-là protégés s'étaient retrouvés sur le front, à ne soigner que des Allemands, avec interdiction, en pratique, de soigner les Russes - contrevenant ainsi à toutes les règles de la Croix-Rouge.

J'aurais pu... J'aurais pu...

Il faut que j'arrête, malheureusement, votre patience n'étant sans doute pas illimitée, cette chronique non plus. Mais bon, j'espère voir avoir incité à dresser l'œil la prochaine fois que vous apercevrez dans les programmes un film suisse. La conclusion que je tire de ce que j'ai vu à Soleure, des discussions passionnées avec des gens qui, question cinéma, ne pensent qu'à ça, est simple: ça vaut la peine.

Aucun commentaire pour l'instant…