Profitez des offres Memoirevive.ch!
Surprises londoniennes

Je rentre de Londres.

C’est une ville où j’ai beaucoup séjourné il y a quelques années. Aussi, lorsque j’y retourne, j’arrange mes itinéraires pour passer par des coins que j’aime particulièrement. Celui-ci, par exemple: un magasin de parapluies et de cannes comme on n’en fait plus, dont la vitrine n’a pas changé depuis plus de 100 ans, et où on a la sensation que les vendeurs sont là depuis les origines du magasin, en 1830. Il est à Bloomsbury quelques centaines de mètres de Oxford Street, du British Museum et de ce qui était jusqu’à il y a trois ans la Bibliothèque nationale. L’autre jour, je décide en passant de faire une photo. Je la fais. La voici.

Les clients se sont appelés Karl Marx, Oskar Wilde ou Churchill; aujourd’hui la clientèle va de la star rock à Mme Tout-le-monde.

Première surprise

Ma photo prise, je me retourne pour passer mon chemin. Et je faillis tomber à la renverse en voyant... Non, ce n’est pas possi-ble... Mais oui, c’est vrai. Je vois ceci.

Un centre Apple tout neuf à Bloomsbury

Pour expliquer mon étonnement, il faut vous dire qu’il y a une douzaine d’années, j’allais souvent à Londres (et dans le reste de l’Angleterre) pour mon travail. Pour prendre mes notes et copier des textes qu’on ne sortait pas des bibliothèques, je disposais alors d’un petit bijou injustement oublié: le Z88 (format A4, 900 g), un précurseur du PowerBook qui permettait de transférer sans problème les textes sur le Mac. Il fonctionnait (il fonctionne même toujours) à piles AA. Mais bon, le formatage était presque inconnu, c’était du texte au kilomètre, l’écran était minuscule. Le jour où le PowerBook est sorti, je l’ai troqué contre un PowerBook: avec lui, je pouvais aller partout, et écrire mes textes formatés, les envoyer même (le PowerBook avait un modem et un programme fax – nous étions avant le courriel généralisé).

Un jour j’ai eu un ennui technique, avec ce PowerBook, pendant que j’étais à Londres. Je suis tombée de haut. le Z88 avait été inventé à Cambridge, il suffisait d’entrer dans le premier magasin d’électronique venu, tout le monde vous aidait. Le Mac? Pour tout dire, l’Angleterre n’avait pas vraiment fait le pas. Oui, bien sûr, ils savaient ce que c’était, pour qui était bien informé il y avait quelques magasins - rares: mais grosso modo, on me regardait avec commisération. J’écrivais avec un jouet. M’aider? Même s’ils avaient voulu, ils n’avaient pas la moindre idée de comment fonctionnait ce machin-là. L’Angleterre c’était le royaume de Windows. J’avais péniblement déniché un revendeur Apple, le jour où j’ai eu besoin de lui il était fermé. J’avais fini par repérer un vague atelier graphique dans le quartier où je dormais parce qu’ils arboraient un grand autocollant de la Pomme sur leur vitre: les deux folos qui le tenaient m’ont dit qu’ils allaient chercher leur matériel à Paris ou aux US, et faisaient venir leurs programmes par poste. Ils ont résolu mon problème en un rien de temps, et depuis lors, lorsque j’ai eu un ennui, je suis allée chez eux ; avec le temps, ils m’ont même laissé squatter leur imprimante.

Avec les années, la présence du Mac a, si possible, encore dimi-nué: les dicos électroniques, qui au début avaient de doubles versions, n’en avaient plus pour “nous”, et à part les deux gra-phistes, je n’ai jamais croisé un seul utilisateur de Mac, dans un milieu, pourtant, où tout le monde écrit. On me dira peut-être que je n’ai pas su chercher. Peut-être. Mes vicissitudes prouvent en tout cas que le Mac était peu connu et peu répandu.

Alors dans une rue passante en plein centre de Londres voir un Apple Centre sur deux étages, avec toutes les machines et tous les softs, ça m’a renversée. On m’y a accueillie avec gentillesse, mais les vendeurs ont fait comme si le Mac avait été là de tout temps, c’était de bonne guerre. J’ai compris que je ne tirerais rien d’eux, sinon un enthousiasme sans borne pour leurs "real cool machines".

Deuxième surprise.

Le lendemain, je passe à Tottenham Court Road. Cette rue présente sur sa première moitié une densité de magasins électroniques inégalée. Juste pour dire, comme ça.

Le rez-de-chaussée de chaque maison est un magasin d’électronique où tout se vend, de la machine à café au Palm.

Vitrine après vitrine, il n’y a QUE des magasins d’électronique. Comme c’est un sujet qui m’intéresse, je vais régulièrement y faire un tour: je me demande parfois pourquoi, parce que je n’ai jamais vu un Mac à Tottenham Court Road, mais enfin, ça m’avait, à une époque où ce n’était pas si répandu, permis de connaître en primeur des gadgets tels le Psion ou le Palm. Là, j’avais envie de jeter un coup d’œil aux appareils de photo. Je m’engage, parcours une cinquantaine de mètres, et mon regard tombe sur... Oui, vous avez compris.

et ça

Des Macs et autres produits Apple tout plein les vitrines

Là, je n’y ai plus tenu. C’était un des magasins où il n’y avait pas si longtemps on m’avait traitée de demeurée parce que je venais avec un problème de Mac! Je suis entrée, j’ai joué à la cliente, et je me suis fait expliquer un PowerBook G4. La faconde du gars, je ne vous dis pas: il a tout décrit avec une précision étonnante, il connaissait sa machine jusqu’à la dernière soudure, j’ai posé les questions les plus dures, il a toujours eu la réponse correcte. Au moment où il allait sortir le contrat, il a fallu lui confesser que j’étais seulement une journaliste en enquête. J’ai ensuite posé la question qui me démangeait: “Comment se fait-il que vous ayez à tel point changé?”

La réponse a fusé, sans hésitation: “C’est à cause de l’iPod. Quand l’iPod est sorti et que les gens sur PC ne pouvaient pas l’acheter, ça les rendait fous. Maintenant qu’il est disponible sur PC, une fois qu’ils l’ont essayé, les gens commencent à s’intéresser au Mac. J’ai plein de clients qui passent du PC au Mac, en ce moment.”

Il a ensuite essayé de prétendre que lui, le Mac, il avait toujours adoré, mais il a vite vu que j’étais sceptique, il n’a pas insisté. Je n’ai pas pu prendre de photo de l’intérieur du maga-sin. Sachez qu’ils y vendaient toutes les marques. Mais que la petite foule qui se pressait autour des Macs était particulière-ment dense.

Je suis sortie de là avec des catalogues de périphériques où on peut lire une précision qui eût été inouïe il n’y a pas si longtemps encore: “Pour Mac et PC”.

Mes amis graphistes ont confirmé en le corrigeant le diagnostic du vendeur: “Il y a eu un premier frémissement à la sortie de l’iMac, que beaucoup ont admiré. Ça s’est un peu accentué à la sortie des Titanium. Mais c’est vrai que le tournant, c’est l’iPod. Jusque-là, à part les graphistes et quelques rares originaux, le Mac n’avait pas vraiment percé.”

Troisième surprise

La dernière surprise, je l’ai eue ici.

Même Shakespeare a désormais adopté des Macs...

C’est le théâtre du Globe de Shakespeare, reconstitué à l’identique, et auquel on a adjoint un magnifique musée du théâtre que je ne saurais trop vous recommander ; c’est intéressant sur le plan architectural, culturel, artisanal et même électronique. Il y a entre autres un coin interactif où on peut travailler à l’ordinateur. On y trouve plusieurs machines. Là aussi, c’était interdit de photographier, mais croyez-moi sur parole: ce sont des iMac. J’en ai fait des musées et des bibliothèques, en Angleterre, pour mon boulot! C’était la première fois que je rencontrais des Mac.

Conclusion?

Avec son gadget, l’ami Steve a eu du nez: en créant l’iPod, il a conçu le lecteur MP le plus cool du marché, et avec ça il a conquis un public qui lui échappait largement. Même ceux qui ne l’adoptent pas (pas encore) savent que le Mac existe, et vous disent spontanément : « C’est top, comme machine.” Moi, franchement, en quittant Londres, je me suis félicitée d’avoir toujours tenu bon et de m’être accrochée au Mac. On restera minoritaires, mais tout ça m’a mise de bonne humeur.

Aucun commentaire pour l'instant…